Alain Koskas Expert psychanalyste et gérontologue, Alain Koskas est engagé dans la lutte contre la maltraitance des personnes âgées, sous toutes ses formes (physique, psychologique, financière). Il est rapporteur de la conférence des OING* du Conseil de l’Europe où il anime la commission « Violences à l’égard des personnes âgées et droits de l’homme». Pour lui, l’une des clés repose sur le « temps consacré » : le temps du répit pour l’aidant familial et le temps de l’échange entre tous les professionnel de l’aide à domicile.
Comment la France se situe-t-elle en Europe dans le domaine de la prévention de la maltraitance ?
} Alain Koskas : De nombreux progrès ont été faits. La France a beaucoup de protocoles, elle a mis en place beaucoup de formations. La dernière loi d’adaptation de la société au vieillissement a parachevé les choses déjà lancées. En France, on insiste beaucoup sur le consentement éclairé. Il n’en demeure pas moins que de nombreux aînés sont en souffrance, souvent isolés.
Quelles sont les situations qui peuvent déboucher sur la maltraitance ?
} A. K. : J’en vois trois principales, qui concernent tout autant la personne âgée que l’aidant : l’isolement, la perte d’estime de soi et l’épuisement. Par ailleurs, la solitude et l’éloignement des proches attirent les prédateurs.
D’après vous, que faut-il faire pour les aidants familiaux ?
} A. K. : Les personnes âgées en difficulté sont dans une très grande attente affective vis-à-vis de leur aidant, ce qui est épuisant. Pendant des décennies, l’aidant donne sa vie à son proche. Il faut travailler sur le projet de vie de l’aidant pour que toute sa vie ne soit pas consacrée uniquement à l’autre. Il doit pouvoir continuer à vivre. Même dans les familles très unies, il y a l’épuisement. Le « droit au répit » est maintenant reconnu par la loi. Au Québec, il existe depuis des décennies le baluchonnage* qui relait l’aidant en cas de besoin.
D’où proviennent la majorité des cas de maltraitance ?
} A. K. : L’essentiel des maltraitances se déroule à domicile, bien plus qu’en établissement. En établissement il y a des regards, les collègues sont vigilants les uns avec les autres et ils sont susceptibles de s’entraider si les choses deviennent difficiles. Pour autant, les maltraitances ne proviennent pas forcément des professionnels de l’aide à domicile. Les aidants naturels, épuisés, sont aussi confrontés à ce risque. Les maltraitances peuvent venir du voisinage, de l’entourage ou de quelqu’un de complètement étranger qui vient rendre visite à un moment donné.
Comment savoir si une personne âgée est victime de maltraitance ? Que doit faire l’œuvrant à domicile s’il suspecte une maltraitance ?
} A. K. : Il y a des signes qui ne trompent pas : la personne âgée n’accueille plus l’œuvrant à domicile en souriant, elle refuse de manger, se dénutrit, se néglige… Face à ces signes, l’œuvrant à domicile doit essayer de parler avec la personne et doit alerter la responsable de service. Depuis la loi du 5 mars 2007, en cas de suspicion, le responsable de la structure saisit l’Agence Régionale de Santé ou le conseil départemental pour faire un signalement. En général, le suivi est assez rapide.
Que risque le directeur d’une société de services à domicile confronté à l’un de ses salariés maltraitant ?
} A. K. : Son autorisation peut être remise en cause. S’il y a des maltraitances graves (financières ou physiques aigues constatées par exemple), le directeur est pleinement responsable. Les directeurs sont extrêmement vigilants aujourd’hui. La problématique réelle est celle du temps consacré à tous les acteurs
En quoi le « temps consacré à tous les acteurs » est-il la problématique principale ? Pouvez-vous nous en dire plus ?
} A. K. : Le nœud du problème est de disposer de temps suffisant pour que les personnels et les coordinateurs de service puissent dialoguer avec les personnes âgées. Il s’agit de montrer qu’il y a d’autres personnes qui s’intéressent à cet aîné. Le coordinateur va s’enquérir de la qualité de la relation et de l’approche entre l’œuvrant à domicile et la personne. Les assistantes sociales et autres professionnels doivent jouer ce rôle également.
Pour prévenir la maltraitance, le maître mot serait donc le « temps » ?
} A. K. : Oui, on a moins un problème de technicité aujourd’hui que de temps. Y compris du temps passer entre les responsables et les équipes. Les œuvrant à domicile ne sont pas très bien payés, ils courent beaucoup toute la journée, ils ont seulement leur affect et leur bon sens pour accompagner des personnes âgées en perte d’estime.
La majorité du temps, ce sont des personnes dévouées qui se retrouvent dans des situations très complexes.
Quelles sont les possibilités existantes pour lutter contre l’isolement ?
} A. K. : Il y a les accueils de jour, les hébergements temporaires, les voyages… J’ai monté dans l’Yonne un accueil de jour itinérant qui va de village en village. Sans nous, les personnes ne sortiraient pas. Les villes françaises ne sont pas adaptées pour accueillir les personnes âgées : il faut pouvoir marcher en sécurité, trouver des bancs pour se reposer… C’est la capacité à entrer et sortir de chez soi qui va déterminer la bonne santé psychique.
Être cloîtré entraine la dépression et c’est le début d’un glissement propice à engendrer de la maltraitance. Les personnes âgées ont besoin de faire quelques pas et rencontrer des visages amis. C’est un élément fondamental.
Comment une structure (aide à domicile/Ehpad) doit-elle gérer la relation avec les familles, en cas de maltraitance ?
} A. K. : Il faut de la transparence et de la clarté. En Ehpad, par exemple : les familles ont souvent honte d’avoir procédé au placement. Elles culpabilisent terriblement. La personne âgée a honte elle-même. Ce n’est pas son mode de vie, ce ne sont pas son lieu, ses odeurs, ses repères. Il faut tout faire pour lui permettre de parler. Ces mondes-là (la famille et la structure) doivent accepter qu’il y a un contrat de dialogue. Les familles doivent se sentir très accueillies.
Que pensez-vous de l’identification par l’image (vêtements professionnels) : est-ce une bonne chose ? Est-ce que cela contribue à la bientraitance ?
} A. K. : Une personne âgée n’est pas une personne malade, donc le vêtement ne convient pas. Je suis favorable aux vêtements civils pour les professionnels de l’aide à domicile. En revanche, la personne peut porter un badge pour montrer qui elle est, cela peut rassurer.