Reconstruire un rapport
de toute la société avec les plus âgés
Serge Guérin, sociologue et spécialiste du vieillissement, analyse les évolutions que doivent amorcer les établissements pour mieux répondre aux besoins des personnes âgées dépendantes.
Ehpad Magazine : Le récent débat sur la dépendance des personnes âgées n’a pas porté ses fruits. Doit-il, selon vous, être relancé au cours de cette campagne présidentielle ?
Serge Guérin : Le projet de réforme n’a pas abouti mais il a tout de même permis beaucoup de débats et d’échanges ainsi qu’une évolution des comportements et des représentations. Y compris chez ceux qui souhaitaient mettre en place une nouvelle loi. On a également commencé à évoquer les enjeux liés à l’accompagnement de la perte d’autonomie. Autrement dit, comment on la compense mais aussi comment elle peut être réversible si on fait de la prévention et du lien social. Ce débat a été l’occasion d’amorcer une nouvelle réflexion et de sortir d’une vision complètement négative du vieillissement, uniquement centrée sur les questions économiques. Lors de la campagne présidentielle, on pourrait espérer que la place réservée à ces questions-là soit plus importante. Mais elles sont, pour l’heure, très peu portées par les principaux candidats. Les problématiques tournent autour de l’endettement ou encore des jeunes… L’enjeu est de ne pas opposer les générations ni les intérêts. Les politiques sont-ils capables de porter un projet coopératif ? Comment favorise-t-on une société de l’intergénération ? Comment vit-on tous ensemble avec nos différences non pas d’âge mais de situation par rapport à une maladie et à une incapacité ? L’intérêt du débat sur le vieillissement est de rappeler que personne ne va échapper à cette situation. En s’intéressant à la situation des plus âgés aujourd’hui, on s’intéresse à la situation de nous tous demain.
E. M. : Les établissements accueillent des résidents de plus en plus dépendants. Faut-il des solutions de prise en charge qui soient encore plus innovantes ?
S.G. : Il y a certainement besoin, dans certaines situations, de lieux à très fort accompagnement médical. Nous n’avons pas mis assez de moyens sur des solutions telles que les foyers-logements. On est passé à côté d’autres formes plus douces, plus souples et plus diverses pour permettre d’autres choix et des choix multiples. Par exemple, le portage des repas est une prestation intéressante. Mais dans certains cas, n’est-il pas préférable de permettre à la personne âgée de sortir de chez elle et de prendre ses repas dans un lieu collectif ? Comment ouvrir demain les établissements à l’ensemble des personnes en perte d’autonomie mais également à d’autres catégories de populations ? Il faut reconstruire un rapport de toute la société avec la fragilité et avec les plus âgés.
E. M. : Les directeurs d’établissements ont-ils la capacité d’engager ces changements alors qu’ils doivent faire avec des budgets insuffisants et une pénurie de personnels ?
S.G. : Au-delà d’une question de moyens qu’il ne faut pas nier, c’est aussi une question de façon d’être, de mentalité, d’organisation, de désir et de volonté. En France, on a toujours privilégié le geste technique, la cure plutôt que le care. Certains établissements sont dans une logique très technique et très médicale tandis que d’autres sont dans une logique plus humaine avec davantage de lien social. On s’aperçoit que quand on construit des liens sociaux, on passe moins de temps sur les gestes thérapeutiques, on est moins dans la réponse médicamenteuse. C’est une affaire de culture. Dans un processus d’accompagnement et de soins, tout ce qui participe du lien social est au moins aussi important que ce qui relève du geste technique. Cela implique qu’il y ait suffisamment de personnel bien formé pour répondre à ces logiques.
E. M. : Les maisons de retraite souffrent encore et toujours d’un déficit d’image auprès du grand public. Comment l’expliquez-vous ?
S.G. : La mauvaise image des maisons de retraite est un fait social. C’est structurel. Comment voulez-vous avoir une bonne image de quelque chose qui est associé à la fin de vie, à la douleur, à la maladie et à la mort ? Qu’est-ce que cela veut-dire, à vingt ans ou à quarante ans, d’avoir une image des maisons de retraite ? C’est normal d’avoir une mauvaise perception puisque cela renvoie à son propre vieillissement. Les médias parlent généralement des établissements pour personnes âgées sous l’angle de la peine ou des prix. Les discours sont toujours négatifs. La maltraitance est toujours plus facile à détecter dans les lieux collectifs parce qu’on la repère mieux que dans les lieux non collectifs, c’est-à-dire les familles. Or, la maltraitance existe majoritairement dans les familles. On se focalise plus sur les structures que sur chaque cas individuel. Pour autant, cette mauvaise image des établissements n’est pas une fatalité. Les maisons de retraite sont encore trop souvent des lieux fermés même si la tendance évolue. Aujourd’hui, on situe ces lieux de vie dans la ville avec, à la clef, différentes organisations qui permettent plus de fluidité. Il faut créer plus d’échanges, plus de lien social sans toutefois les limiter, par exemple, à des visite de crèches. Les échanges doivent être plus denses et mieux accompagnés.