La dimension sanitaire des Ehpad pourrait prendre le dessus sur leur dimension médico-sociale
Le président PS du Conseil général de l’Essonne (91) est membre de l’équipe de campagne de François Hollande et expert en matière d’offre médico-sociale destinée aux personnes âgées. Un domaine dans lequel il joue également les précurseurs en développant, dans son département, des Ehpad publics à des prix accessibles à tous. Fort de son expérience, il prend le contre-pied du gouvernement actuel sur de nombreux sujets.
Ehpad d Magazine : La réforme de la dépendance a été suspendue et reportée par le Gouvernement. Les socialistes la relanceront-ils s’ils remportent les prochaines élections ? Et ce, de quelle manière, avec quels moyens et selon quel calendrier ?
Jérôme Guedj : François Hollande a clairement annoncé et fait figurer dans son projet qu’il y aura une réforme de la dépendance afin d’assurer une prise en charge solidaire de la perte d’autonomie. De manière très lucide et honnête, il a précisé qu’il faudra mettre en place un nouveau prélèvement pour financer de manière solidaire la compensation de la perte d’autonomie. En clair, il tourne le dos à ce que l’on a entendu au cours de ces dernières années de manière assez insupportable et qui consistait à dire que les finances publiques ne permettent pas, à moyens constants, de financer la réforme de la dépendance. C’est d’ailleurs la raison qui a été invoquée par François Fillon et récemment par le candidat Nicolas Sarkozy qui a expliqué qu’il mettrait en place la réforme de la dépendance le jour où l’on reviendrait à l’équilibre budgétaire. En somme, le choix des priorités se fait au détriment des personnes âgées. En fait, il s’agit là, de la part du Président Sarkozy, d’une promesse faite pendant cinq ans et il était assez cocasse de le voir, lors de l’émission des « Paroles et des actes », promettre à nouveau, comme il le fait tous les ans, une réforme de la dépendance pour l’année prochaine.
E. M. : Comment jugez-vous l’offre actuelle des Ehpad ? Pensez-vous que ce secteur réponde aux besoins de la population tant quantitativement que qualitativement ? Souhaitez-vous encadrer voire réorienter cette offre ?
J. G. : Il faut d’abord rappeler que la demande la plus répandue, ce ne sont pas les Ehpad. Les gens souhaitent en effet pouvoir rester à leur domicile ou, du moins, avoir le choix. Pour autant, il faut une offre qualitativement et quantitativement suffisante en matière d’Ehpad mais aussi faire évaluer la nature de ces établissements qui sont de plus en plus médicalisés. En effet, les personnes y rentrent tardivement avec beaucoup de pathologies et pour une durée de plus en plus réduite parce qu’elle correspond malheureusement à la fin de vie. Je fais partie de ceux qui pensent que la dimension sanitaire et médicalisée des Ehpad doit être assumée. Cela fait partie de l’évolution actuelle même si on privilégie par ailleurs le soutien au domicile ou au logement adapté au vieillissement. Mais encore une fois, les Ehpad doivent constituer une offre suffisante qui réponde aux besoins.
E. M. : Et être accessibles au plus grand nombre…
J. G. : La question de l’accessibilité financière se pose très clairement. Aujourd’hui, nombre de nos concitoyens butent sur les prix pratiqués. Avec, à la clef, un décalage entre le montant moyen de retraites perçues en France et le montant moyen des tarifs d’hébergement dans les maisons de retraite. Or, ce décalage interdit l’accès à ces dernières à une grande partie des classes moyennes. Si vous êtes fortuné, vous pouvez vous payer une admission en Ehpad avec votre pension voire avec une partie de votre patrimoine que vous aurez liquidé. Et si vous êtes très pauvre, vous pouvez toucher l’aide sociale. Par contre, si vous appartenez à la classe moyenne, vous êtes confronté à un problème majeur. Si bien que l’on sent poindre une sorte d’évitement de l’Ehpad alors que celui-ci pourrait permettre une prise en charge satisfaisante de ces personnes. L’accessibilité financière du reste à charge en Ehpad mais aussi à domicile est pour moi un sujet prioritaire. C’est d’ailleurs l’un des éléments centraux qui aurait dû être au cœur de la réforme de la dépendance car actuellement, le système est profondément inégalitaire et ne permet donc pas de satisfaire la totalité des besoins.
E. M. : Comment avez-vous remédié à cette carence dans votre département ?
J. G. : Puisqu’il n’y a pas eu de réforme de la dépendance et que le Gouvernement a renoncé à traiter cette question, nous avons souhaité avancer en faisant jouer la solidarité départementale. C’est en effet par le financement du Conseil général que l’on aboutit à la création d’Ehpad publics dont le tarif est de 60 euros par jour, soit 30 à 40 % de moins que les prix constatés dans les Ehpad privés, sachant que nous avons beaucoup d’Ehpad privés dans l’Essonne. Plus de la moitié de l’offre existante est en effet gérée par le secteur privé commercial avec, à la clef, quasiment plus de créations d’établissements portées par le secteur public. C’est pourquoi je veux créer un pôle public d’au moins 1 000 lits en maisons de retraite. Et ce, en mutualisant, en reprenant les bonnes techniques utilisées dans les secteurs associatif et privé et donc, en s’appuyant sur une forme de solidarité départementale. Celle-ci permet de faire en sorte que ce soient tous les Essonniens qui contribuent à faire baisser le prix à la journée de ceux qui sont en maison de retraite. Nous essayons de tirer les prix vers le bas. Et je veux faire la démonstration que demain, on pourra substituer une solidarité nationale à cette solidarité départementale par le biais d’une contribution nouvelle et de ressources supplémentaires pour financer la perte d’autonomie.
E. M. : Les Ehpad ont deux principaux interlocuteurs. À cet égard, pensez-vous qu’il faille modifier l’articulation des compétences entre les Départements et les ARS ?
J. G. : À titre personnel, et c’est une position susceptible d’être travaillée dans le cadre de la réforme de la dépendance en cohérence avec la médicalisation importante des Ehpad, je considère que la dimension sanitaire de ces derniers pourrait prendre le dessus sur la dimension médico-sociale. Aujourd’hui, ils ont en effet une dimension sanitaire dans la mesure où les personnes âgées accueillies souffrent de plusieurs pathologies. On pourrait réfléchir à la possibilité d’assumer davantage cette dimension sanitaire et, pourquoi pas, envisager une tarification qui ne serait plus ternaire avec le forfait soins, le tarif hébergement et le tarif dépendance mais binaire avec un tarif hébergement et un tarif soins. En conséquence, je ne suis pas enthousiaste à l’idée qu’il y ait une Allocation personnalisée à l’autonomie (Apa) dans les établissements. Je préfèrerais que les Conseils généraux ne versent l’Apa que pour les personnes âgées se trouvant à leur domicile. Du coup, on aurait donc une sorte de tarification binaire qui comprendrait notamment une aide à l’hébergement versée aux personnes âgées, de la même manière que le sont les aides au logement versées par les Caisses d’allocations familiales. En fait, ce système se traduirait par une aide qui mixerait les aides au logement, l’aide sociale et les aides fiscales existantes pour la prise en charge d’une partie des tarifs d’hébergement. En outre, cette tarification binaire n’interdirait pas, et j’y suis attaché, que les Conseils généraux conservent une compétence en ce qui concerne la planification de l’offre sur le territoire mais soient, en revanche, moins parties prenantes dans le suivi quotidien des établissements.
E. M. : Quel rôle et quelle place les Ehpad doivent-ils avoir ? Ont-ils, comme le suggère Roselyne Bachelot, un rôle de coordination des différents acteurs et intervenants dans le parcours des personnes âgées dépendantes ?
J. G. : C’est effectivement la petite musique que l’on entend et qui voudrait que les Ehpad soient en quelque sorte la tête de pont des politiques gérontologiques. Et ce, parce que cela permettrait de faire tomber la barrière qui peut exister entre le domicile et l’établissement. Or, à mon sens, ce serait leur conférer une grande responsabilité. Il faut faire attention car cela aboutirait à une forme de vision « Ehpado-centrée » des personnes âgées alors que moi, je suis plutôt partisan de la construction d’un service public d’accompagnement de la perte d’autonomie. Sa mission serait notamment de conseiller, d’orienter et d’aider les personnes âgées et leur famille à se retrouver dans le maquis des dispositifs. Un Ehpad ne fait jamais qu’accueillir 80 ou 90 personnes quand il y en a plusieurs centaines voire plusieurs milliers qui sont concernées. Néanmoins, je suis partisan de nouer des passerelles plus fortes avec les Ehpad, que les Centres locaux d’information et de coordination (Clic) prennent pied en leur sein ou encore que les Services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) travaillent en coordination avec eux. Par contre, il ne faut pas magnifier cette dimension-là et je préfère qu’en la matière, l’Ehpad ne soit que l’un des acteurs sur un territoire donné.