Face au vieillissement de la population, le secteur des personnes âgées devra savoir s’adapter. Comment les établissements doivent-ils répondre aux besoins de résidents de plus en plus dépendants ? Quels types de services proposer ? Quelle articulation et quel décloisonnement entre le médico-social et le sanitaire doivent prévaloir ? Éléments de réponse.
Dossier réalisé par Francine Lagremont
L’Ehpad face au vieillissement des résidents
Les établissements seront-ils demain des lieux de soins avant d’être des lieux de vie ?
Selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) publiée en mai 2009, les personnes accueillies dans les Ehpad sont toujours plus âgées et toujours plus dépendantes. Ainsi, fin 2007, 84 % des résidents étaient considérés comme dépendants (Groupe iso-ressources (GIR) 1 à 4) et la moitié comme très dépendants (GIR 1 et 2). Comment les établissements doivent-ils évoluer pour assurer la prise en charge de ce public ? Les acteurs du secteur soulignent l’urgence de poursuivre, voire d’accélérer, la médicalisation des établissements. « Le GMP augmente d’année en année dans toutes nos structures par rapport à il y a vingt ans. Il est nécessaire d’accompagner la médicalisation des structures avec, notamment, la présence d’infirmières de nuit dans tous les établissements et la mise en place des soins palliatifs en établissement. Par ailleurs, la possibilité pour l’Hospitalisation à domicile (Had) d’intervenir dans les structures est une solution pragmatique. Cela permet au résident d’y vivre ses derniers jours et de soulager les équipes de l’Ehpad », considère Jérôme Antonini, directeur de la filière Santé et Autonomie de la Croix-Rouge française. « La première priorité est l’adaptation du ratio du personnel aux profils de plus en plus dépendants des résidents. Les taux d’encadrement actuels sont encore éloignés des objectifs définis par le plan Solidarité grand âge de 2006. L’Uniopss (Unir les associations pour développer les solidarités en France) a réalisé une étude auprès de 250 établissements sur les 1 500 qu’elle représente. Le ratio de personnel est de 0,55 % toutes catégories confondues. Il faut parachever cet ajustement de l’encadrement du personnel », insiste Alain Villez, conseiller technique à l’Uniopss chargé du secteur Personnes âgées.
Respecter les attentes et le libre choix
De lieux de vie, les Ehpad devront-ils demain devenir avant tout des lieux de soins et se concentrer sur les publics les plus dépendants ? « Un des postulats du plan Solidarité grand âge est que les GIR 1 et 2 sont orientés vers l’Ehpad et les GIR 3 et 4 pris en charge par les Services de soins infirmiers à domicile (SSIAD). Il ne faut pas raisonner de façon aussi rigide mais respecter les attentes et le libre choix. Certaines personnes âgées avec un niveau de dépendance moindre peuvent souhaiter aller en établissement plus tôt. Il faut également développer l’aide aux aidants mais aussi faciliter l’accessibilité et la mobilité. Les établissements doivent s’inscrire dans une logique d’ouverture et diversifier les services proposés : l’accueil de jour, l’hébergement temporaire, le portage des repas, la garde itinérante, le SSIAD », assure Alain Villez. Une logique dans laquelle s’inscrit la Croix-Rouge qui développe des structures multi-modales. Toutefois, pour Adeline Leberche, directrice du secteur médico-social de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne (Fehap), il est difficile d’envisager une évolution de l’offre de services pour les personnes âgées dépendantes sans établir un diagnostic préalable au niveau des territoires. « Un état des lieux des services et des besoins des personnes âgées doit être mené au niveau des régions comme au niveau national. Un certain nombre de Schémas régionaux d’organisation médico-sociale (Sroms) n’ont pas posé ce diagnostic à cause des délais très courts laissés aux Agences régionales de santé », déplore-t-elle.
Diversifier l’offre d’hébergementL’évolution de l’offre pour les personnes âgées passe également par le développement de solutions intermédiaires telles que les logements-foyers. « Cette solution a longtemps été perçue comme ringarde. Or, le logement-foyer doit revenir à l’ordre du jour, c’est le chaînon manquant dans la prise en charge des personnes âgées », considère Jérôme Antonini de la Croix-Rouge. « Il est urgent de statuer sur le sort des logements-foyers bénéficiant de l’ancien forfait soins courants. Mais l’institution du forfait autonomie se perd dans les sables. L’Uniopss a relancé la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) sur cette question mais on craint le pire », prévient Alain Villez. Autre piste à envisager, selon la Fehap : l’accueil social familial, adossé à des Ehpad. « La famille d’accueil agréée par le Conseil général est gérée par l’établissement. Ce peut-être une réponse intéressante aux besoins et aux attentes des personnes âgées et de leur famille », souligne Adeline Leberche, directrice du secteur médico-social de la Fédération. |
Gérard Brami
« Nous allons vers un rapprochement de nos structures avec l’hôpital »
Dans son ouvrage, « La nouvelle conception des Ehpad, diversification des services et unicité des pratiques »1, Gérard Brami, docteur en droit de l’université de Nice et directeur de deux Ehpad à Vence (06) et Cagnes-sur-Mer (06), remet en cause le modèle développé depuis la réforme du 30 juin 1975.
Ehpad Magazine : Les établissements répondent-ils aujourd’hui aux besoins de résidents plus dépendants ?
Gérard Brami : Les Ehpad accueillent des publics de plus en plus dépendants physiquement et psychiatriquement. L’entrée en établissement est de plus en plus tardive. Si l’espérance de vie augmente d’un trimestre par année, l’entrée en établissement recule, elle, en moyenne de cinq mois par an. Le nombre de résidents incontinents a triplé depuis 1980 comme le nombre de résidents en fauteuil roulant. On peut aisément imaginer que dans les quinze ans à venir, le GMP de chaque établissement d’hébergement ne soit pas inférieur à 750 ou 800 points. Toutefois, il ne faut pas oublier que l’Ehpad est une réponse marginale dans la prise en charge des personnes âgées. Nous sommes conscients que la politique de maintien à domicile est essentielle. D’ailleurs, 80 à 90 % des personnes décèdent à leur domicile. Aujourd’hui, ce que l’on demande aux directeurs et aux équipes des établissements fait partie d’un paradoxe. Exemple : établir un projet de vie personnalisé pour des personnes en fin de vie. Or, quand on organise des animations, auparavant, 100 résidents y auraient participé alors qau’aujourd’hui, il n’y en a qu’une trentaine car les autres ne sont pas aptes. Preuve que ces animations ne sont pas forcément des priorités. Par ailleurs, on pousse les responsables d’établissements vers une unicité des pratiques professionnelles formatées par les recommandations de l’Agence nationale d’évaluation sociale et médico-sociale (Anesm) ou des textes trop souvent éloignées des réalités.
E. M. : Les Ehpad doivent-ils devenir des plates-formes de services plus que des lieux d’hébergement ?
G. B. : Effectivement, il faut, à présent, sortir de la conception des établissements comme lieux de vie pour aller vers celle de plates-formes de services. Le Gouvernement veut nous amener à une diversification des services : hébergement temporaire, Pasa (Pôles d’activités et de soins adaptés), accueil de jour. Quand on lance une unité Alzheimer, on accueille 12 à 14 personnes alors que la solution devrait être appliquée à 50. L’État a certes compris le problème. Il est conscient des besoins du secteur mais il connaît ses limites. La grande erreur historique a été de délaisser le secteur du grand âge pendant des années. La situation n’était à l’époque pas insurmontable tandis qu’à présent, il y a la crise économique.
E. M. : Vous évoquez dans votre ouvrage la sanitarisation des établissements…
G. M. : Les établissements pour personnes âgées ont toujours eu du mal à se situer dans le paysage sanitaire et médico-social. Or, on va vers un rapprochement de nos structures avec l’hôpital. Le recours à l’outil Pathos, qui complète la grille AGGIR, conduit les établissements à prendre en charge une partie médicale de plus en plus importante. L’apparition de nouveaux professionnels tels que les assistants de soins en gérontologie et le renforcement du rôle du médecin coordonnateur s’inscrivent dans ce mouvement de sanitarisation. L’avenir des établissements, c’est plus de dépendance et de dialyses ainsi que des pathologies accentuées. C’est pourquoi la question de la présence d’infirmières, la nuit, est incontournable. L’État, dans sa désespérance financière, sait que cette mesure aura un coût terrible.
1 Les Etudes Hospitalières Édition, 448 pages, 64 €.
Les couacs du plan d’Alzheimer45 % des résidents en Ehpad sont atteints de la maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée. Suite au 12e comité de suivi du plan Alzheimer 2008-2012 en mars dernier, la déception n’a pas manqué de poindre. « On partait de rien. Avec le plan Alzheimer, on a mis les moyens de créer des choses mais tout est loin d’être exécuté. Il existe de réelles difficultés à créer des Pôles d’activités et de soins adaptés (Pasa) au regard du cahier des charges à respecter. Il faut revoir les ambitions et les étaler dans le temps », juge Adeline Leberche, directrice du secteur médico-social de la Fehap. « Il est consternant de constater une sous-consommation des crédits du plan Alzheimer. Les Pasa rencontrent des difficultés pour être concrétisées. De plus, cette solution ne résout pas tout alors que l’on a laissé les petites unités de vie spécifiques. Par ailleurs, l’hébergement temporaire est la lanterne rouge du plan Alzheimer. L’offre est peu développée, pas accessible ni lisible. Il faut repenser complètement l’organisation et la tarification de ce modèle comme pour l’accueil de jour », insiste Alain Villez, conseiller technique à l’Uniopss chargé du secteur Personnes âgées. « L’hébergement temporaire stagne voire décline. Dans beaucoup d’endroits, il fonctionne mal. Les lits sont remplis mais comme un sas vers la maison de retraite en attendant qu’une place se libère », regrette Jérôme Antonini, directeur de la filière Santé et Autonomie de la Croix-Rouge française.
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Améliorer les parcours de soins
Parvenir à une meilleure coordination des prises en charge sanitaires et médico-sociales des personnes âgées mais aussi prévenir les hospitalisations d’urgence : tels sont les buts poursuivis par des expérimentations qui seront lancées en 2012.
Depuis le 1er janvier 2012 et pour une période n’excédant pas cinq ans, de nouveaux modes d’organisation des soins seront expérimentés. Objectif ? Optimiser les parcours de soins des personnes âgées en risque de perte d’autonomie en prévenant leur hospitalisation, en gérant leur sortie d’hôpital et en favorisant la continuité des différents modes de prise en charge sanitaire et médico-social. Cette mesure, inscrite dans l’article 70 de la Loi de financement de la Sécurité sociale 2012, a été saluée par le secteur. « La relation entre le sanitaire et le médico-social a toujours été envisagée selon la logique amont-aval. Une vision qui est complètement étrangère à celles d’autres pays. Il faut utiliser l’hôpital à bon escient pour les personnes âgées. Les structures médico-sociales ne doivent plus être considérées comme la dernière roue du carrosse », insiste Jérôme Antonini, directeur de la filière Santé et Autonomie de la Croix-Rouge française. « La notion de parcours de soins apparaît déjà dans certains schémas régionaux. Il faut également prendre en considération le parcours de vie et le parcours résidentiel de la personne âgée. Pour ce faire, il est important d’établir un continuum entre les différentes catégories de structures », considère Alain Villez, conseiller à l’Uniopss (Unir les associations pour développer les solidarités en France).
Un comité national de pilotage
Installé début avril et présidé par Dominique Libault, conseiller d’État, le Comité national de pilotage sur les parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d’autonomie sera chargé de la mise en œuvre des recommandations du Haut conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie (HCAAM) qui proposera la réalisation de projets-pilotes. Ce comité est composé de représentants des administrations, des opérateurs et des inspections de l’État en charge de ces sujets, des Agences régionales de santé (ARS), de l’Assemblée des départements de France (ADF) ainsi que de tous les professionnels de santé et des fédérations représentatives des secteurs sanitaire, médico-social et social. « Il est en effet reconnu que l’insuffisance de coordination entre les différentes prises en charge sanitaires, sociales et médico-sociales, ainsi que le recours abusif à l’hospitalisation sont les causes de rupture dans le parcours de santé des personnes âgées. Cela peut être préjudiciable à la qualité de la prise en charge des personnes âgées et représente un surcoût annuel que le HCAAM évalue à deux milliards d’euros par an », a souligné le Gouvernement, dans un communiqué, début avril. Entré en vigueur en mars, l’article 65 de la PLFSS 2012 s’inscrit également dans une logique de décloisonnement des secteurs de la prévention, ambulatoire, hospitalier et médico-social. Il institue un Fonds d’intervention régionale (FIR) destiné à financer, sur décision des Agences régionales de santé (ARS), des actions et des expérimentations sur une large part du champ sanitaire et médico-social.