A la une

L’interview de Philippe Bataille Les interviews

Je suggère d’ouvrir une voie à l’aide active à mourir    

Membre du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin à Paris, ce sociologue s’interroge dans un ouvrage intitulé À la vie à la mort – Euthanasie : le grand malentendu1 sur les résistances du corps médical en la matière. Avec, à la clef, un constat qui interpelle : alors que la clef de voûte de la relation médicale et de l’acte soignant demeure le consentement, ce postulat est ici souvent mis à mal.

Aux Ehpad de ne pas tomber dans ce déni, eux qui sont par essence concernés par la fin de vie, les soins palliatifs et, parfois, par la volonté des résidents d’abréger leurs souffrances.

Qu’est-ce qui a motivé vos travaux ?

Philippe Bataille : Le fait qu’en matière de demande d’aide active à mourir, les choses n’évoluent pas ou très peu, voire se compliquent encore plus depuis la loi Leonetti. Ce qui me paraissait incompréhensible puisque cette loi autorise à réaliser d’authentiques euthanasies. Mais toutes les demandes sont récusées. J’ai donc voulu savoir au nom de quels arguments on n’applique pas ou mal cette loi. Je me suis intéressé à l’activité palliative qui détient beaucoup d’arguments de refus de donner suite aux demandes d’aide active à mourir. J’ai mené une enquête dans des Unités de soins palliatifs (USP), c’est-à-dire là où, d’après la loi, les aides actives à mourir doivent être prises en charge.

Quelles conclusions tirez-vous ?

P. B. : Les USP accueillent des malades du cancer qui sont souvent allés assez loin dans les soins. Ils arrivent en soins palliatifs en ayant conscience de la proximité de la mort et réclament que cela s’arrête. Mais les demandes d’aide active à mourir restent à la porte de l’USP et ne trouvent pas leur place. Cela m’a conduit à définir la notion de palliativisme que je distingue de celle de soins palliatifs qui, eux, sont une activité que quasiment tous les médecins peuvent être amenés à mettre en œuvre au moment où ils n’ont plus de réponse thérapeutique.

Le palliativisme est au fond une médecine qui soulage de toutes les douleurs de l’agonie de la fin de vie mais qui laisse le corps aller jusqu’à une complication, c’est-à-dire jusqu’au moment où l’on ne peut plus rien faire, par exemple à cause d’une douleur réfractaire. C’est seulement à ce moment-là que l’on va sédater la personne avec des doses de morphine jusqu’à ce que le décès survienne dans les jours suivants. C’est une médecine qui amène au seuil d’une mort qui serait naturelle car

la conséquence de la progression de la maladie. C’est là que quelque chose ne va pas. En effet, on assiste à des situations de fin de vie où le patient demande à être endormi et à ne plus se réveiller afin de ne pas assister à la dernière partie de la lutte contre la maladie, celle qui signe la défaite du malade. Or, cette demande n’est pas entendue. Elle est abordée comme une demande d’euthanasie, ce qui n’a pas de sens car ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

À vous entendre, la loi Leonetti est donc inopérante…

P. B. : En théorie, elle laisse une place à l’appréciation de la situation, à la connaissance du patient et à la qualité des dialogues échangés. Elle autorise à suivre des directives anticipées du patient ou les personnes de confiance. La loi contient tous les dispositifs qui permettent au soignant de réagir en connaissance de cette situation. Mais rien ne marche si ce n’est la référence à l’interdit de tuer.

Pourquoi ? Parce qu’en réalité, la loi ne permet rien ou, plus exactement, retient tout. Elle incite certes à recevoir les demandes d’euthanasie mais en ouvrant une voie sur la manière de faire qui est le laisser mourir et non pas le faire mourir. Ce laisser mourir est défini comme consistant à suspendre l’hydratation et l’alimentation. Tout est là. Elle retient tout geste qui précipite la mort, même au seuil de la mort lorsque le patient le demande et que cela n’est pas voulu et décidé par les médecins. Je reproche à la loi Leonetti à la fois de recourir aux perspectives du droit des patients et, en même temps, de les refermer aussitôt pour n’en garder qu’un usage soignant.

Or, ce qui est déterminant, c’est d’agir et de se comporter en soignant dans le rapport à l’Autre même s’il demande des choses qui ne conviennent pas aux médecins.

Que prônez-vous ?

P. B. : Je suggère d’ouvrir une voie à l’aide active à mourir et de désemboliser ce dossier afin, précisément, de prendre en charge l’aide active à mourir. Et ce de manière collégiale et procédurale pour entendre et traiter cette demande mais aussi savoir si la médecine doit et peut la prendre en charge. Une fois ouverte cette perspective, on doit entendre l’assistance à mourir sans avoir l’esprit encombré par une authentique demande d’euthanasie car, encore une fois, ce n’est pas le cas.

Aujourd’hui, il n’existe aucune dimension contraignante de la parole des malades ou de l’expression des patients concernant leurs dernières volontés qui doivent être respectées par les personnels soignants. C’est même le contraire qui se passe. Ce sont les soignants qui sont seuls autorisés à interpréter et à réinterpréter les volonté des patients.

Que suggérez-vous en ce qui concerne les Ehpad ?

P. B. : La question est de savoir ce que les Ehpad demandent aux soins palliatifs et ce que ces derniers proposent aux Ehpad. L’idée est de faire venir les soins palliatifs en Ehpad car c’est probablement la bonne solution que de réaliser la mort accompagnée médicalement au sein de ces établissements de santé. Les personnels soignants en Ehpad se doivent donc de ne pas rater cette opportunité afin d’éviter que des personnes âgées fassent des allers-retours à l’hôpital ou que des infirmières en Ehpad n’aient pas les compétences requises pour ces moments compliqués que sont les fins de vie. Mais il convient de conserver la culture gériatrique des Ehpad, en clair, de combiner l’activité palliative avec le respect de l’approche gériatrique. Les soins palliatifs n’ont pas à apporter un modèle d’accompagnement de la mort. Ils doivent au contraire s’adapter à toutes les médecines qui les sollicitent. Je ne peux qu’encourager l’idée qui consiste à instaurer en Ehpad une activité palliative d’accompagnement de fin de la vie qui réalise et corresponde au projet de l’établissement.

En la matière, quel rôle est dévolu aux personnels soignants en Ehpad ?

P. B. : Encore une fois, je suis favorable à ce que l’on soit attentif aux demandes de sédation sans réveil mais dans ce cas, ce n’est pas aux infirmières des Ehpad de les réaliser. Les personnels d’Ehpad peuvent simplement, lorsqu’ils estiment que cela est nécessaire, appuyer une demande de sédation d’un patient qu’ils connaissent bien auprès des services de soins palliatifs avec lesquels ils ont articulé une collaboration. Et on ne fait pas cela en Ehpad. Ces derniers ne sont pas là pour assurer des fins de vie surmédicalisées, lesquelles requièrent une haute performance médicale et soignante.

Propos recueillis Alexandre Terrini

1 À la vie à la mort – Euthanasie : le grand malentendu, de Philippe Bataille, Éditions Autrement, 144 pages, 12 euros.


Laisser un commentaire