Il existe beaucoup
de dérives thérapeutiques
Les personnes âgées, cibles privilégiées des mouvements sectaires ? C’est en tout cas la conclusion que tire, dans son dernier rapport d’activité 2011-2012 remis le 25 avril au Premier ministre Jean-Marc Ayrault, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Son Président, Serge Blisko, détaille ce constat et les solutions qu’il préconise pour lutter contre ce fléau.
Qu’est-ce qui a justifié la création de la Miviludes ?
Serge Blisko : Dans sa forme actuelle, la mission a plus de dix ans. Elle est le fruit d’une succession de missions ministérielles. Au début, c’était très compliqué car une liste des sectes dangereuses a été établie pour avertir le public mais nous avons été l’objet d’une série de procès en diffamation. Depuis 2002, la Miviludes a donc adopté une autre doctrine : nous respectons la liberté de croyance et de religion mais nous sommes attentifs à ce que l’on appelle la dérive sectaire. C’est-à-dire lorsqu’un groupe qui, par le biais de l’emprise qu’il exerce sur une personne, lui fait faire des choses qu’elle n’aurait pas faites si elle avait été dans son état normal. C’est donc insidieux et progressif. Dernièrement, se sont ajoutées à ce phénomène des dérives sectaires sur un mode thérapeutique surfant sur l’engouement pour la médecine naturelle et non conventionnelle. Notre rapport de 2010 le soulignait déjà : des gens sont amenés à arrêter des traitements éprouvés, même dans des cas de maladie grave comme le cancer, pour prendre des poudres de perlimpinpin, boire du jus de citron… A des prix qui ne sont évidemment pas ceux du citron du supermarché.
Selon Bernard Ennuyer, Docteur en sociologie, les personnes âgées, à partir de 80-85 ans, seraient une population particulièrement vulnérable aux dérives thérapeutiques et sectaires. Pourquoi ?
S. B. : Je ne suis pas étonné. Tous les psycho-sociologues et gérontologues évoquent en effet cet âge comme celui d’une certaine fragilisation. Il correspond d’ailleurs à l’âge moyen d’entrée en établissement. Même si une perte d’autonomie ne va pas jusqu’à entraîner une curatelle, elle est de nature à tout compliquer : les réparations à domicile, les courses, les démarches administratives… À partir de ce moment-là, on dépend plus des autres, on est davantage fatigué même si intellectuellement, on est encore capable de faire beaucoup de choses.
Quelle est la proportion de la population âgée parmi les victimes de sectes ?
S. B. : C’est un problème émergeant et nous n’avons donc pas encore de chiffres. De plus, nous n’avons pas effectué de comptage car nous ne sommes pas un service d’investigation mais d’information, de prévention et de mise en alerte des pouvoirs publics, ce que nous avons fait avec notre rapport. Nous recevons à peu près 2 600 signalements par an. Depuis quelques années, nous recevons au moins une fois par semaine une demande provenant d’un enfant concernant ses parents et, tous les jours, des signalements à propos de méthodes, de produits et d’interventions suspectes auprès des personnes. Ce n’est pas énorme mais d’une part, nous ne voyons pas tout et d’autre part, il s’agit d’un phénomène croissant.
De quelle nature sont ces mouvements à caractère sectaire qui s’attaquent aux personnes âgées ?
S. B. : Nous avons identifié deux types d’abus sectaires. D’abord, il y a le cas des personnes qui font partie de ces mouvements depuis longtemps et qui vieillissent. C’est assez peu fréquent mais leur nombre va augmenter avec le vieillissement de la population. Cela pose problème car ces individus ont pour la plupart travaillé bénévolement (sic) pendant vingt ou trente ans sans être déclarés. Ils ne bénéficient donc pas de retraite ni de Sécurité sociale. Quand ils sont jetés dehors parce qu’ils ne sont plus actifs et représentent un poids pour l’organisation, ils se retrouvent totalement démunis et vivent, pour certains, dans des conditions de dénuement les plus extrêmes. Et puis il existe des gens qui n’ont jamais été adhérents mais juste intéressés et qui, à partir du moment où ils sont retraités, deviennent des proies. Un certain nombre de mouvements s’intéressent à ces personnes, en particulier lorsqu’elles sont propriétaires, qu’elles ont des biens et qu’elles sont un peu éloignés de leur famille.
Les personnes âgées sont-elles plus vulnérables quand elles souffrent d’une grande solitude ?
S. B. : Oui. Aujourd’hui, beaucoup de personnes âgées ont des liens relativement distendus avec leur famille. Les cibles sont souvent des individus qui ont eu une vie familiale pauvre et qui sont très isolés. Quand on s’ennuie toute la journée, engager la discussion avec quelqu’un qui semble bien sous tous rapports sur la vie, l’amour, la mort ou l’Au-delà, c’est forcément attirant. Ce sont les Petits frères des pauvres qui m’ont alerté de cette situation, laquelle a pris plus d’ampleur qu’on ne l’imagine. Ils ont particulièrement attiré notre attention sur les cas de dons, d’héritages et de testaments qui doivent être mieux contrôlés.
Vous soulignez, dans votre rapport, que les risques d’abus ou de maltraitance se multiplient aussi dans les Ehpad. De quelle autre nature sont-ils ?
S. B. : Il existe notamment beaucoup de dérives thérapeutiques. Je suis frappé par le très grand nombre de publicités dans certains journaux pour des appareils ou des péri-médicaments qui intéressent les personnes âgées. On glisse très rapidement du complément alimentaire aux appareillages beaucoup plus coûteux qui sont censés guérir, protéger de la maladie, lutter contre les petits bobos de la vie quotidienne… Ce sont de véritables dérives sectaires d’autant plus qu’il y a une certaine défiance vis-à-vis de la médecine moderne. C’est pourquoi nous souhaiterions que le ministère de la Santé fasse le tri entre ce qui n’est pas prouvé mais qui n’est pas dangereux pour la santé, ce qui peut peut-être soulager les douleurs et ce qui n’a aucune efficacité.
Sur cette question, je travaille avec le ministère de la Santé, en particulier avec Michèle Delaunay, ministre déléguée en charge de l’Autonomie et des Personnes âgées. Il existe également des tentatives d’intrusion par le biais des formations professionnelles destinées aux personnels des Ehpad et qui portent sur le développement personnel, les stratégies pour mieux résister au stress ou encore sur l’adaptation à la maladie, au vieillissement et à la mort. Beaucoup ne sont pas contrôlées et les directeurs doivent être très attentifs à cela.
Comment lutter contre toutes ces dérives ? Quelle responsabilité incombe aux directeurs d’Ehpad ?
S. B. : C’est très compliqué pour les gestionnaires d’Ehpad car les résidents sont des citoyens. Ils ont le droit d’acheter ce qu’ils veulent. Il faut respecter la liberté des gens tout en étant vigilant et observer si les personnes ne subissent pas une emprise morale. On s’en aperçoit lorsqu’elles tiennent un discours différent, qu’elles ont de nouvelles préoccupations curieuses, qu’elles veulent changer totalement leur mode de vie alors que rien ne le justifie. Il faut aussi vérifier qu’il n’y a pas de mouvements financiers suspects. On est un peu sur le fil entre l’intervention qui n’a pas lieu d’être et le contrôle pour le bien-être des personnes. Ce n’est pas facile. La polémique qu’il y a eue avec Jean-Marie Delarue, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui souhaite inspecter les Ehpad, lesquels ne relèvent pourtant pas de son pré carré, a eu le mérite de soulever le besoin de clarifier ce qui relève de la liberté et ce qui relève de la protection.
Quels conseils donneriez-vous aux directeurs d’Ehpad ?
S. B. : De manière générale, s’ils ont un doute ou des suspicions, ils doivent nous prévenir voire avertir la famille du résident. En fonction de la gravité de la situation, nous pouvons alerter la Mairie et les services sociaux ou saisir la justice.
Propos recueillis par Julie Martinetti
Note de la rédaction Il n’a pas été possible à Serge Blisko de donner davantage de précisions permettant d’identifier les groupements sectaires considérés comme actifs auprès des personnes âgées et des Ehpad. Cette prudence illustre la difficulté de lutter contre certains groupes qui, pour les plus puissants d’entre eux, mènent de véritables guérillas juridiques contre les pouvoirs publics. Un constat qui doit encore davantage inciter les professionnels des Ehpad à exercer une grande vigilance à l’encontre du phénomène sectaire. |