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Christian Saout Non classé

Démocratie sanitaire

C’est aux directeurs
de changer la donne

La démocratie sanitaire est l’une des composantes de la Stratégie nationale de santé présentée par Marisol Touraine le 23 septembre et actuellement débattue en régions. Ancien Président d’Aides, du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) et de la Conférence nationale de santé (CNS) mais toujours ardent défenseur des droits des patients, Christian Saout milite pour un « deuxième âge » de la démocratie sanitaire. Avec son franc-parler qui a pu parfois agacer, il précise la voie qu’il juge pertinente pour les Ehpad.

Quel est actuellement le bilan de la démocratie sanitaire dans les Ehpad ?

Christian Saout : Le bilan n’est pas formidable. La démarche n’a pas du tout été la même que dans le monde du soin. Les formes de représentation des usagers dans ces établissements sont extrêmement frustres et embryonnaires. Cependant, lorsqu’ils ont pu être mis en place, il y a des Conseils de la vie sociale (CVS). Mais tout cela est loin d’être abouti.

À quoi cela est-il dû ?

C. S. : En fait, les mécanismes de représentation sont calqués sur un modèle syndical. Or, c’est de la participation des résidents et de leurs proches dont il s’agit. L’élaboration du projet d’établissement pourrait ainsi être participative, pas seulement avec les personnels mais aussi avec les résidents. Ces derniers pourraient être également sollicités pour concevoir et réaliser de véritables enquêtes de satisfaction. C’est ce que l’on pourrait appeler de la coconstruction de projets. C’est beaucoup plus efficace que des processus clivants, fondés sur une représentation d’intérêts. C’est un vrai changement que beaucoup attendent, y compris du côté des directeurs d’établissements qui préfèreraient sans doute qu’on leur laisse les mains libres pour initier des bonnes pratiques de participation avec les personnes âgées dans leur établissement.

Cette forme de démocratie est-elle mieux appliquée dans le secteur médico-social que dans le secteur sanitaire ?

C. S. : Elle est certainement moins bien appliquée dans le secteur médico-social. Mais ce sont deux contextes complètement différents avec des solutions et des législations distinctes. Je ne suis pas sûr qu’il soit nécessaire de superposer les deux approches. Peut-être faut-il faire complètement autre chose dans le secteur médico-social avec, comme je viens de le dire, beaucoup plus de coconstruction impliquant les résidents et leurs proches. Pour que, par exemple, les projets d’animation ne soient pas imposés mais émanent au contraire d’une aspiration commune. C’est cela qui donne du sens. Les Ehpad sont avant tout des lieux de vie.

Lors d’un forum sur la Stratégie nationale de santé qui s’est déroulé le 10 janvier dernier en Auvergne, Marisol Touraine a évoqué une extension de la loi du 4 mars 2002 aux secteurs social et médico-social. Qu’en pensez-vous ?

C. S. : La loi du 4 mars 2002 a déterminé un certain nombre de droits fondamentaux et ils s’appliquent à tous les soins, qu’ils soient dispensés dans le secteur sanitaire ou médico-social. C’est une ardente obligation et là-dessus, il n’y a plus de discussion. Ce qu’il reste à mettre en œuvre, c’est donc une démarche de participation et de coconstruction. Cela peut passer par une loi mais aussi par des recommandations. La loi peut donner une impulsion, une direction. Au-delà, il faut laisser les acteurs agir sur le terrain pour ensuite évaluer ce qui sera fait. Mais surtout, il faut que tout que cela soit discuté avec toutes les parties prenantes, en particulier avec les directeurs d’établissements pour personnes âgées.

Que peut attendre le secteur médico-social de ces forums régionaux ?

C. S. : Les acteurs du secteur peuvent saisir cette opportunité pour montrer ce qu’ils savent faire. On ne part pas de rien dans ce domaine. Il y a certainement des problèmes, des difficultés mais il y a aussi des bonnes pratiques. Il faut les valoriser, montrer ce que l’on fait de bien pour avoir un regard positif sur soi et, par la valeur de l’exemple, entraîner ceux qui n’en sont pas au même degré d’avancement.

Alors que les Ehpad se médicalisent, les associations de patients doivent-elles investir de façon spécifique la représentation des personnes hébergées et de leurs familles ?

C. S. : Pour l’instant, les textes ne le permettent pas. Mais avant de se poser ce type de question, il faut faire le bilan de la représentation des patients dans le sanitaire.  Je ne suis pas sûr que cela ait changé beaucoup de choses. Ce n’est pas en étant présent au sein d’un conseil de surveillance d’hôpital que l’on change la face du monde. Il est beaucoup plus efficace de participer à un projet commun. Certes, il faut être présent dans les instances des établissements mais il ne faut pas s’en tenir à cela. En matière de droits des patients, la France a misé essentiellement sur la représentation. Tous les autres pays ont tablé sur la participation et le faire ensemble plutôt que sur la confrontation. C’est probablement le moment d’opérer un rééquilibrage et le secteur médico-social peut montrer l’exemple.

Comment les associations de patients peuvent-elles se positionner vis-à-vis des associations représentant les résidents des établissements pour personnes âgées et leurs familles ?

C. S. : Dans la coconstruction précisément. Elles sont complémentaires. Il y a des domaines dans lesquels nous pouvons leur apporter des ressources. C’est le cas de la surmédicalisation des pathologies de l’âge qui est un sujet que nous connaissons bien. Il faudrait évaluer leurs besoins ainsi que ce que nous pourrions leur apporter et faire des choses ensemble plutôt que de vouloir conquérir une place à leur place. Au sein du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), nous avons déjà eu des séances de travail avec les personnes impliquées dans les Conseils de la vie sociale. Mais c’est compliqué parce que le législateur a décidé qu’il s’agit de deux modèles différents. Par ailleurs et comme je l’ai déjà évoqué, je ne suis pas persuadé qu’il faille appréhender l’exercice de la démocratie sanitaire de la même manière dans les secteurs médico-social et sanitaire. Il y a certes un tronc commun de droits fondamentaux mais le contexte est différent quand on veut aller sur le terrain de la participation des personnes concernées.

Quel peut-être le rôle des directeurs d’Ehpad ?

C. S. : Ils sont en première ligne et aux premières loges. C’est à eux de changer la donne. S’ils ne prennent pas les devants, ils prennent le risque que la démarche leur soit imposée par la loi. Or, dire qu’il faut cloner la loi du 4 mars 2002 dans le secteur médico-social comme si c’était un modèle reproductible à l’infini m’apparaît être une lubie théorique. Les directeurs d’Ehpad doivent donc, dans le cadre de leurs fédérations, élaborer eux-mêmes leurs guides de bonnes pratiques de coconstruction dans leurs établissements.  Le premier qui mettra sur la table une garantie de participation des usagers dans les maisons de retraite comme critère de distinction fera bouger les lignes.

Propos recueillis par Pierre Perrier

 

Des « idées » pour faire progresser les droits individuels

Pour rendre « pleinement effectives » les dispositions de la loi du 4 mars 2002, les « idées » du forum sur la Stratégie nationale de santé, qui s’est déroulé le 10 janvier en Auvergne, ont été jugées « intéressantes » par Marisol Touraine. « Vous proposez par exemple d’étendre les dispositions de cette loi aux secteurs social et médico-social. À ce jour, les Conseils de la vie sociale ne comprennent toujours pas de représentants des usagers : leur fonctionnement est éloigné de celui des Commissions de la relation avec les usagers et de la qualité de la prise en charge. En nous engageant dans cette voie, nous pourrions faire progresser encore les droits individuels des patients », a affirmé la ministre de la Santé.

 

« La démocratie sanitaire, késako ? »

Ce sera le titre du prochain livre de Christian Saout, à paraître en mars prochain, juste avant l’étape législative de la Stratégie nationale de santé. Dans un premier ouvrage intitulé « Santé, citoyens »1, Christian Saout passait au crible le système de santé français. Cette fois, il mettra les points sur les i en soulignant que la démocratie sanitaire n’est pas un « mot valise » dont on peut transformer le sens au gré des circonstances. Elle requiert au contraire, selon les recommandations internationales, « l’implication des citoyens dans les décisions individuelles ou collectives qui les concernent ».

1 « Santé, citoyens ! », Christian Saout, Éditions de santé, 2013.

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