C’est un sujet qui mobilise les spécialistes depuis un moment déjà et qui est en passe d’investir le débat public : l’encadrement du Big data et de l’Open data.
En clair, l’encadrement de la collecte, de la conservation et surtout de l’usage des gigantesques quantités de données informatiques sur tout et n’importe quoi et surtout sur chaque citoyen. Le monde de la santé et du médico-social n’y échappe pas. C’est même un enjeu d’avenir.
Le Big data (Mega données chez les Canadiens) désigne l’exploitation de milliards de données pour en tirer des principes d’actions commerciales ou d’intérêt général. L’Open data, sujet sur lequel le ministère de la Santé a lancé le débat à l’automne 2013 (lire l’article ci-après), consiste quant à lui à réfléchir aux données de santé qui doivent être partagées, entre qui et pour quoi faire. Ces débats semblent aujourd’hui encore assez éloignés du quotidien des Ehpad. Pourtant, l’enjeu des données est aussi le leur et ce, plutôt à court terme. D’ailleurs, l’action intentée par 60 Millions de consommateurs contre les principaux détenteurs de données personnelles a récemment braqué les projecteurs sur l’une des problématiques du sujet.
Producteurs et consommateurs de données
Pour leur part, les Ehpad sont des producteurs et des fournisseurs de données. S’ils le sont un peu moins que les hôpitaux, ils en partagent les mêmes enjeux fondamentaux. « Soigner, c’est produire une masse d’informations qui relèvent notamment des patients et qui sont rassemblées dans le dossier patient, souligne le Dr Vincent Leroux, médecin de santé publique aux hôpitaux de Saint-Maurice, Professeur à l’École Centrale de Paris et vice-Président de Centrale Santé. Plus ces informations vont être informatisées, plus elles vont être potentiellement mises en partage. » Demain, à l’image des établissements de soins, les Ehpad vont de plus en plus produire et fournir des données qui nourriront la recherche épidémiologique et médicale. Mais les Ehpad sont aussi consommateurs de données économiques et sensibles. Pour survivre et se développer, ils ont en effet de plus en plus besoin d’avoir une lecture de l’environnement économique et démographique.
Transformer les données en connaissances
Malgré leur identité spécifique, les Ehpad sont soumis aux mêmes enjeux que l’hôpital. « Pour mieux soigner aujourd’hui, il faut avoir une connaissance plus fluide et plus pertinente pour trouver la bonne compétence et le bon traitement dans le bon système de soins, martèle le Dr Leroux. C’est là un moyen d’intégrer la nécessaire interprofessionnalité. » Et d’expliquer : « Lorsque des données sont collectées, il faut les transformer en connaissances et en actions, ce qui implique une réflexion médicale sur la pratique transdisciplinaire. L’objectif est de savoir pour comprendre, de comprendre pour apprendre et d’apprendre pour agir. Toutes ces questions classiques sont de nouveau face à nous avec l’Open data. » Si le questionnement éthique et déontologique est déjà posé, « le questionnement professionnel n’est pas simple car les données peuvent impacter la déontologie mais aussi les pratiques professionnelles et médicales », souligne le Dr Leroux.
Des réflexions valables pour l’hôpital mais facilement transposables au sein des Ehpad qui doivent eux aussi se préparer à ces défis. Et ce dans la mesure où le cadre de l’organisation du parcours de soins mais aussi des connexions et des partages d’informations de plus en plus denses qui vont s’organiser entre les différents acteurs (Ehpad, hôpitaux, professionnels de ville), ils y seront confrontés. En outre, derrière l’exploitation des données de santé, « il y a un enjeu politique et industriel de connaissance et d’innovation mais aussi de coproduction de protocoles interprofessionnels », conclut le Dr Leroux. La gestion de ce flux de données nécessite donc une réflexion approfondie en amont. Il s’agit d’un sujet de recherche, d’innovation, d’usage, de technologie et de création de valeur… économique.
Dominique Bellanger avec Laure Martin
Le débat autours des données de l’Assurance maladie
La démographie, la santé des personnes âgées et l’activité de soin des professionnels qui les prennent en charge n’ont guère de secret pour l’Assurance maladie. Laquelle dispose en effet d’un système d’information hors pair, plus connu sous l’acronyme de Sniiram (Système national d’information inter-régimes de l’Assurance maladie).
Cette base couvre aujourd’hui 65 millions de personnes, soit la quasi-totalité des Français. Avec des informations actives pendant trois ans et une possibilité d’interrogation sur quatorze ans, voire vingt dans certains cas. C’est l’Assurance maladie qui gère ce système d’information institué en 1998 mais opérationnel depuis 2003. Il n’a cessé d’évoluer avec l’intégration des données hospitalières en 2006 et, à partir de 2009, celle des dates et des causes de décès. Actuellement, 20 milliards de lignes de prestations peuvent être consultées. Elles sont conservées dans un entrepôt hautement sécurisé dans des machines d’une capacité de stockage de 450 téraoctets (1 téraoctet = 1 000 000 000 000 octets). Cette base est alimentée par le 1,2 milliard de feuilles de soins traitées chaque année. Au total, elle a nécessité 1 milliard d’euros d’investissements.
C’est probablement l’un des plus importants systèmes d’information en santé au monde puisque son homologue britannique, le second par son importance, contient moins de 4 millions de dossiers actifs. Cette exhaustivité est destinée à la gestion des risques, vocation première du Sniiram, mais aussi à l’élaboration des politiques de santé publique.
Un débat très balisé
Confié à la Cnam (Caisse nationale d’Assurance maladie) avec des accès très encadrés, confidentialité et secret médical obligent, ce système d’information fait des envieux, notamment du côté des complémentaires santé qui affirment en avoir besoin pour leur propre gestion. Et de plus en plus de voix réclament une libéralisation de ces informations, invoquant le fait qu’il s’agit là d’un bien public.
Dans son rapport à la ministre de la Santé, Pierre-Louis Bras, Secrétaire général des ministères sociaux, plaide pour un déverrouillage partiel de cette base, une simplification des procédures et une nouvelle gouvernance en redonnant les rênes du dispositif au ministère de la Santé. C’est en particulier sur la base de ses propositions que la ministre de la santé Marisol Touraine a ouvert le débat public à l’automne dernier. Ce débat est animé par une commission installée le 21 novembre. A sa tête, on trouve l’un des principaux Directeurs de l’administration centrale du ministère de la Santé, Franck von Lennep, patron de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques). Avec, à ses côtés Philippe Burnel, Délégué à la stratégie des systèmes d’information de santé. A noter que Franck von Lennep est par ailleurs chargé de finaliser les propositions de Pierre-Louis Bras. Lequel a Philippe Burnel sous son autorité. Autant dire que le débat a été très balisé, voire verrouillé. Les conclusions de cette commission sont attendues pour ce printemps.