L’observance, ou respect par le patient des prescriptions thérapeutiques, est un enjeu majeur en Ehpad face à des résidents souvent atteints de polypathologies et parfois de troubles cognitifs. En tant que garant des bonnes pratiques, que peut faire le médecin coordonnateur ? Jusqu’où peut-on aller en établissement dans cette volonté d’observance ? Quel rôle doivent jouer les médecins traitants et les pharmaciens ? Éléments de réponse.
On le sait, la question du circuit du médicament en Ehpad est une réelle problématique de santé publique. Une grande majorité de résidents sont en effet atteints de polypathologies et, selon la Haute autorité de santé (HAS), la iatrogénie médicamenteuse est la cause de 10 à 20 % des hospitalisations des personnes âgées de plus de 70 ans. Mais il est parfois difficile de veiller à la bonne prise des médicaments quand les résidents doivent prendre plus de dix médicaments sous diverses formes et à des moments différents de la journée. En particulier lorsque ces personnes âgées souffrent de troubles liées à la maladie de Parkinson ou encore aux maladies dégénératives du type Alzheimer, souvent synonymes de dénutrition et de rejet des médicaments. Si la littérature concernant la prise médicamenteuse et l’observance thérapeutique en Ehpad abonde, en pratique, les choses sont plus compliquées, comme le souligne Didier Armaingaud, Directeur médical, éthique et qualité du Groupe Korian : « De nombreuses informations doivent être notées sur les ordonnances. Par exemple, les éléments à surveiller lors de la prise de médicaments pour s’assurer qu’ils ne sont pas pris en quantité trop importante et que les effets indésirables sont contrôlés mais aussi l’âge du patient, sa fonction rénale, son poids etc. Or, dans les faits, tout cela est rarement précisé. Pourtant, le pharmacien en a besoin pour s’assurer que la prise de médicaments ne comporte pas de risque potentiel. »
En outre, selon le rapport de Philippe Verger sur « La politique du médicament en Ehpad », « le libre choix de ses praticiens par le résident est une cause supplémentaire de complexité du circuit du médicament, d’une part, en augmentant le nombre des prescripteurs dans l’institution et, potentiellement d’autre part, le nombre de pharmacies d’officine l’approvisionnant. Les pharmaciens d’officine s’approvisionnent auprès de génériqueurs différents qui produisent chacun des médicaments sous des formes galéniques différentes, ce qui rend plus difficile l’identification des médicaments déconditionnés par l’équipe soignante. »
Une feuille de traitement unique
Dans ce contexte, le médecin coordonnateur joue le rôle de sentinelle du circuit du médicament en Ehpad. Il est par ailleurs chargé de favoriser la transmission et la communication entre chaque intervenant afin de garantir la qualité, la sécurité et l’efficacité des soins apportés aux résidents. Il doit, pour cela, s’entretenir régulièrement avec le pharmacien et le médecin traitant afin d’optimiser le choix de la forme galénique adaptée au patient au cours de l’évolution de sa (ses) maladie(s). Cela peut passer par des rendez-vous informels mais aussi par des réunions professionnelles telles que celles de la Commission de coordination gériatrique. Stephan Meyer, vice-Président de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad (Ffamco), va même plus loin en proposant d’installer des « concertations de bonnes pratiques à l’entrée en Ehpad, sorte de va-et-vient entre le médecin coordonnateur et le médecin traitant visant à se donner des objectifs de soins prioritaires. »
Améliorer l’observance en Ehpad, c’est aussi simplifier et faciliter l’organisation du circuit du médicament. Face à l’abondance de molécules et de leurs génériques provenant de multiples pharmacies et sous des formes différentes, Didier Armaingaud recommande de systématiquement mettre en place une feuille de traitement, un document récapitulant l’ensemble des informations. « Il faut accompagner les soignants qui sont souvent obligés d’aller chercher les informations sur de multiples supports différents. Il faut donc un seul document récapitulant l’ensemble des prescriptions, en séparant les molécules des solutés et des crèmes, avec les heures précises de distribution, les dates de début et de fin de traitement, les modifications qui peuvent être faites dans le traitement ou encore les indications concernant les molécules qui peuvent être écrasées et mélangées, illustrées par des pictogrammes ».
Le rôle du pharmacien encore sous-estimé
Parmi les autres pistes évoquées par les spécialistes du médicament, le renforcement du rôle du pharmacien en Ehpad. L’expérimentation menée par l’Igas (Inspection générale des Affaires sociales), qui a été suivie par le « Rapport dévaluation de l’expérimentation de réintégration des médicaments dans les forfaits soins des Ehpad sans pharmacie à usage intérieur » (de Pierre Naves et Muriel Dahan), avait permis de mettre en place des pharmaciens référents. « C’était la première fois que le pharmacien était en situation d’échange, en dehors de la dispensation, avec les médecins coordonnateurs et les infirmiers. Cela a donné de bons résultats pour mettre en place des stratégies de prévention et de choix dans les classes thérapeutiques des molécules les mieux adaptées aux personnes âgées mais aussi pour définir ensemble des référentiels et des bonnes pratiques sur l’écrasement des comprimés et, finalement, pour mieux coordonner et sécuriser le circuit du médicament », explique Gilles Bonnefond, Président de l’Union des syndicats des pharmaciens d’officine (USPO). Le syndicat plaide d’ailleurs pour que ce statut de pharmacien référent soit officialisé et généralisé dans la loi à venir sur le Grand âge.
Julie Martinetti
Des recommandations inadaptées à la population en Ehpad
Certes, les Ehpad disposent de plus en plus de logiciels de prescription et d’informatisation du dossier de soins. Mais, regrette Stephan Meyer, vice-Président de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad (Ffamco), les logiciels et les banques de données « garde-fous d’observance thérapeutique » ne sont pas adaptés aux personnes âgées : « Les recommandations des banques de données sur l’interaction médicamenteuse sont faites pour des jeunes vieux de 60 ans ! Elles sont inadaptées à la situation sur le terrain. Nous défendons l’idée de la recherche thérapeutique sur les plus de 75 ans. Nous avons besoin d’outils pour mener à bien cette lutte contre la iatrogénie afin d’améliorer l’observance. Et pour cela, il faut travailler de façon consensuelle et pluridisciplinaire ».
Médicaments : l’overdose ?
Pour faciliter l’observance, nombreux sont ceux qui plaident en faveur d’une remise à plat de la prescription « à la française », où les ordonnances, a fortiori celles des personnes âgées atteintes de polypathologies, comportent souvent plus de dix médicaments. Ainsi, Didier Armaingaud, Directeur médical, éthique et qualité du Groupe Korian, souhaite-t-il une réduction du nombre de molécules au strict nécessaire. « Il faut rompre avec cette culture qui veut que les médicaments guérissent tout », martèle-t-il. De son côté, Stephan Meyer, vice-Président de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad (Ffamco), défend l’idée d’initier une réflexion avec les gériatres sur la hiérarchisation des pathologies dans le but de diminuer la polymédication et ses effets iatrogènes.