En tant que gestionnaire, le directeur d’Ehpad engage sa responsabilité en matière de sécurité et d’organisation de son établissement.
En cas de difficulté survenant au sein de l’Ehpad, il peut donc être poursuivi pénalement. Le point sur le sujet avec Catherine Tamburini-Bonnefoy et Solenne Roche-Brugère, avocates associées au cabinet CarakterS.
1 – Homicide involontaire/atteintes à l’intégrité physique
Selon l’article 121-3 du Code pénal, “il n’y a point de crime ou délit sans intention de le commettre ”. Sauf dans certains cas. Il y a ainsi délit en cas de mise en danger délibérée de la personne mais aussi en cas de faute par imprudence, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, si l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses fonctions et de ses missions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. En clair, cela signifie que le directeur qui ne fait pas respecter au sein de son établissement un certain nombre de réglementations sur la sécurité des biens et des personnes engage sa responsabilité pénale en cas d’imprudence, de négligence etc.
A savoir : Cette responsabilité incombe aussi au directeur en cas de causalité indirecte, par exemple s’il n’a pas fait respecter les règles, s’il a embauché quelqu’un qui ne possédait pas de diplôme ou s’il a été averti de certains faits susceptibles d’engager sa responsabilité pénale mais qu’il n’a pas pris de mesures pour les éviter. Le directeur engage alors sa responsabilité s’il est établi soit qu’il a violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit en cas de faute caractérisée. « La difficulté est le contour de cette notion de faute caractérisée. Sans définition dans le Code pénal, cette notion est laissée à l’appréciation du juge qui, le plus souvent, retient qu’une faute, dès lors qu’elle crée un risque grave, implique la connaissance du risque auquel l’auteur a exposé la victime et constitue donc une faute caractérisée », indique Catherine Tamburini-Bonnefoy. C’est pourquoi il est primordial, explique Solenne Roche-Brugère,“de bien veiller au respect des exigences imposées par les textes en matière de qualité et de sécurité, notamment que le personnel n’effectue pas de missions qui excèdent ses attributions”.
Les sanctions : En droit pénal, les sanctions sont fonction de la gravité de la conséquence des infractions. Un homicide involontaire, selon l’article 221-6 du Code pénal, est sanctionné de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité, la peine est portée à 5 ans et à 75 000 euros d’amende. En cas de blessure involontaire engendrant une incapacité temporaire de travail supérieure à trois mois, le directeur encourt une peine de 2 ans et de 30 000 euros ou de 3 ans et de 45 000 euros quand le délit est aggravé selon l’article 222-19 du Code pénal.
2 – Complicité d’exercice illégal de la médecine
(articles L4161-1 et R4127-30 du Code de la santé publique) ou de la profession d’infirmier (article L4314-4 du Code de la santé publique et article L121-7 du Code pénal)
Si une personne exerce la médecine ou la profession d’infirmier dans un établissement alors qu’il ne peut justifier des diplômes requis, le directeur sera jugé complice d’exercice illégal (à moins que l’intéressé ait présenté de faux diplômes et que les faux soient particulièrement indétectables). Une accusation qui vaut également s’il enjoint ses salariés, comme les aides-soignants ou les aides médico-psychologiques, de procéder à des actes relevant normalement du rôle exclusif des infirmiers. Les actes des infirmiers clairement définis dans le Code de la santé publique ne peuvent ainsi être délégués en Ehpad que dans les conditions prévues par l’article R4311-4 du Code de la santé publique.
A savoir :La plainte dirigée contre le directeur visera en général cumulativement la complicité d’exercice illégal et la mise en danger de la vie d’autrui même s’il n’y a pas de blessure ou de décès.
3 – Maltraitance et non assistance à personne en danger
• La maltraitance peut être active ou passive ; physique ou psychologique
L’article 223-6 du Code pénal sanctionne la non-assistance à personne en péril de 5 ans et de 75 000 euros d’amende.
A savoir :“Dans le cadre des Ehpad, les personnels se sentent toujours pris en étau entre le secret professionnel et les obligations de dénonciation”, explique Catherine Tamburini-Bonnefoy. En effet, par dérogation au principe du secret professionnel (article 226-13 du Code pénal), les médecins ou les professionnels de la santé ou de l’action sociale peuvent signaler aux autorités administratives compétentes les privations ou sévices constatés sur une personne âgée (article 226-14 du Code pénal). Si la procédure de signalement prévue à l’article 226-14 du Code pénal est respectée, les personnels qui les dénoncent n’encourent aucune sanction disciplinaire. Néanmoins, ils doivent faire preuve de prudence et circonspection mais aussi respecter un certain formalisme dans la révélation de ces informations confidentielles.
• Délaissement d’une personne hors d’état de se protéger
La vulnérabilité due à l’âge, à la maladie ou à des déficiences physiques et psychiques, peut être une circonstance aggravante mais également être constitutive d’infractions spécifiques. En vertu de l’article 223-3 du Code pénal, le délaissement d’une personne âgée et donc particulièrement vulnérable est ainsi puni de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende, étant précisé que le délaissement qui entraîne le décès de la victime est puni de 20 ans de réclusion. Il suppose un “acte positif exprimant une volonté d’abandonner la victime”, ce qui sera le cas en l’absence de déclaration de la disparition d’une personne âgée atteinte de la maladie d’Alzheimer.
A savoir : Le Code de l’action sociale et des familles (article L-313-24) protège les salariés qui témoignent de situations de mauvais traitement ou de privation infligés à une personne résidente. Le fait de les relater ne peut en effet donner lieu à des mesures ou à des sanctions disciplinaires. Le signalement d’une situation de mauvais traitement infligé à une personne vulnérable est d’ailleurs une obligation légale (article 434-3 du Code pénal).
4 -Réglementation des installations classées
En prenant ses fonctions, le directeur valide ce qui a été fait jusque-là, notamment la réglementation datant de 1976 sur les installations classées, lesquelles correspondent aux installations nécessitant d’être déclarées car elles représentent un potentiel danger. Même s’il s’agit de matériels installés avant son arrivée, le directeur est responsable des installations classées non homologuées et sera condamné pénalement en cas d’infraction à la législation. “Nous recommandons vivement au directeur prenant ses fonctions de faire réaliser un audit pour s’assurer que l’établissement dont il prend les rênes est aux normes. Attention : la liste des sujets est vaste”, avertit Catherine Tamburini-Bonnefoy. Le directeur peut également se renseigner auprès de son prédécesseur pour demander où en est l’établissement du point de vue de la législation en matière d’installations classées, de normes incendie…
A savoir : Toute sanction comprend systématiquement une amende nécessairement acquittée par le directeur lui-même, de la prison avec ou sans sursis, voire des peines complémentaires qui peuvent inclure l’interdiction d’exercer. Néanmoins, l’avocat peut demander, au moment du procès, la non-inscription du délit dans la partie B2 du casier judiciaire, à savoir celle fournie lors d’un recrutement.
Julie Martinetti
Les solutions
Avant toute chose, il est indispensable pour le directeur de tracer toutes ses actions et engagements afin, le moment venu, d’établir le contexte et de constater si d’éventuelles fautes ont effectivement été commises ou si des défaillances ont eu lieu. Le directeur doit certes agir mais aussi conserver une preuve de son action car, pour se défendre, il faudra qu’il précise ce qu’il a fait et ce qui relevait de ses pouvoirs. Si le dommage survient malgré tout, s’il y a des victimes, il devra prouver, pour se défendre, qu’il a bien averti les autorités concernées et pris les mesures nécessaires. Cela est valable pour sa responsabilité pénale mais aussi civile.
La délégation de pouvoirs
“Le directeur a également la possibilité de déléguer tout ou partie des pouvoirs qui relèvent de ses fonctions. Cette délégation a pour corolaire la transmission de la responsabilité attachée aux fonctions déléguées”, explique Solenne Roche-Brugère. Toutefois, cette délégation doit être conforme aux exigences de validité : la personne qui dispose des pouvoirs doit avoir les diplômes requis et le statut correspondant, être autonome, avoir un pouvoir de décision et de sanction mais aussi jouir des moyens financiers nécessaires, notamment en matière d’hygiène et de sécurité. Attention, donc, à la rédaction de l’avenant au contrat stipulant ces délégations. Il convient de bien délimiter le périmètre des pouvoirs délégués, sinon la délégation accordée n’aura pas de valeur et la responsabilité ne pourra pas être transférée.
Souscrire à une assurance responsabilité civile pour l’établissement
En cas de procédure pénale, si l’amende est versée par la personne responsable, l’établissement peut avoir à prendre en charge des intérêts civils, à savoir l’indemnisation accordée à la victime de l’infraction. Celle-ci est prise en charge par l’assureur en responsabilité civile de l’établissement. Il est donc important, pour un directeur qui prend ses fonctions où ou lors de la rédaction d’un nouveau contrat d’assurance, de vérifier si l’établissement est bien couvert par une protection juridique. Celle-ci permettra également de payer les frais de défense du directeur de l’établissement si sa responsabilité pénale est mise en cause.