Un an après la transposition de la directive européenne 2010/32 visant à prévenir les blessures par objets tranchants susceptibles de causer une infection chez les soignants, les Ehpad ont dû, et doivent encore, s’adapter pour prévenir au mieux les Accidents d’exposition au sang (AES) et réagir efficacement lorsqu’ils surviennent.
« En France, près de 30 000 AES1 sont recensés chaque année dans les établissements de santé mais beaucoup ne seraient pas déclarés. » Tel est le chiffre rappelé par Brigitte Fanny Cohen, journaliste en santé, en préambule de la conférence « Prévention des AES chez les soignants : ne baissons pas la garde ! » organisée par le Groupe d’étude sur le risque d’exposition des soignants aux agents infectieux (Geres), le 17 octobre à Paris. Quid des Ehpad ? Très peu d’enquêtes ont été menées. Certes, les risques y sont moins grands que dans les hôpitaux, les personnes traitées étant moins infectées par le virus de l’hépatite B, le virus de l’hépatite C ou le virus du Sida. Ils ne sont toutefois pas nuls : une contamination par les trois virus précités2 (sans parler des nouveaux agents infectieux comme le chikungunya) peut avoir lieu lors des soins de plaies, d’escarres infectés ou encore de cellulites.
Elle peut aussi survenir lors des prises de sang, des poses de perfusion, des traitements par injection. « Pour un Ehpad de 110 lits comme l’un des deux Ehpad de l’Allier dans lequel j’interviens, le nombre d’AES est de 3 ou 4 par an, détaille Jean-Antoine Rosati, vice-Président de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad (FFAMCO) même s’il n’a, pour l’heure, relevé aucune contamination grave. Le dernier en date est survenu il y a quelques semaines. Suite à un autocontrôle de son taux de glucose, une résidente diabétique, autonome, a remis la lancette souillée de son autopiqueur dans une boîte de lancettes propres par erreur. Une infirmière s’est blessée par la suite en plongeant sa main dans cette boîte. »
Indemnisation
Pour limiter les risques d’accident, les règles du Code du travail ont été renforcées en 2013 suite à une directive européenne : elles imposent désormais aux responsables des établissements sanitaires, sociaux et médico-sociaux publics comme privés de prendre les mesures nécessaires pour éviter ou au moins réduire les AES dont leurs personnels peuvent être victimes3. Elles prônent « la suppression de l’usage inutile d’objets perforants » et la « mise à disposition de dispositifs médicaux de sécurité ». En effet, « sur 100 000 actes, le risque d’AES est deux à cinq fois moins important si ces actes sont réalisés avec du matériel sécurisé », a rappelé le Pr Christian Rabaud, responsable du Centre de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales (CClin) de l’inter-région Est. Elles obligent aussi les directeurs d’établissements à informer les salariés du « dispositif de déclaration et de prise en charge des AES » et des « procédures d’élimination des objets perforants » ainsi qu’à former leurs personnels aux conditions de bonne utilisation des dispositifs médicaux, sécurisés ou non. En outre, une évaluation spécifique des risques doit systématiquement être réalisée.
« Cette réglementation facilite l’indemnisation de l’intégralité du préjudice subi en cas d’AES par le biais du mécanisme de la faute inexcusable de l’employeur ainsi que la possibilité de poursuivre et de faire condamner à une peine d’amende ou d’emprisonnement l’employeur qui n’aurait pas totalement assumé ses responsabilités », explique Thierry Casagrande, Directeur juridique d’Analys Santé, organisme de conseil et de formation professionnelle en santé. Quoique, pour l’heure, peu de poursuites au titre de cette nouvelle réglementation ont été engagées. « Classiquement, les victimes d’AES se tournent vers leur caisse d’Assurance maladie afin d’obtenir une indemnisation pour cause d’accident du travail, précise Thierry Casagrande. La judiciarisation survient si l’indemnisation de l’Assurance maladie est jugée insuffisante par la victime et/ou si des tensions existent entre cette dernière et son employeur. »
Protocolisation
Les Ehpad se sont donc peu à peu adaptés. « De fait, les boîtes de recueil des coupants existent aujourd’hui dans toutes les structures et le personnel est sensibilisé, souligne Jean-Antoine Rosati, de la FFAMCO. Le matériel est adapté dès que cela est possible pour diminuer le risque d’AES. Quitte à amener les fabricants à évoluer : par exemple, pour l’héparine, un fabricant la proposait avec un dispositif d’injection sécurisé. À force de privilégier cette marque, ce dispositif a été progressivement adopté par tous les fabricants concurrents. » En terme de procédure, dans les deux établissements où exerce Jean-Antoine Rosati, une fiche de déclaration d’accident est systématiquement remplie et adressée au directeur en cas d’AES. Chaque fiche est étudiée lors des réunions hebdomadaires d’équipe.
« En cas de survenance de tels accidents, les Ehpad rattachés à un établissement hospitalier fonctionnent selon le protocole de cet établissement, précise Jean-Antoine Rosati. Les Ehpad indépendants, publics comme privés, doivent quant à eux formaliser leur propre protocole pour déterminer la conduite à tenir, ce qui n’est pas toujours évident pour eux. » Ceux qui le souhaitent peuvent se baser sur des protocoles types tels que celui élaboré par le CClin de l’inter-région Sud-ouest (voir encadré) ou sur des protocoles hospitaliers à adapter sous la responsabilité du médecin coordonnateur. « Ce dernier doit s’emparer à bras le corps de ce sujet, prône Jean-Antoine Rosati. Sans doute faudrait-il, d’ailleurs, que la prévention des AES relève entièrement des attributions du médecin coordonnateur et non du médecin du travail qui, lui, n’est pas régulièrement présent dans l’Ehpad. »
Nathalie Ratel
Les textes de loi
– Manuel d’auto-évaluation « Maîtrise du risque infectieux en Ehpad » du Groupe d’évaluation des pratiques en hygiène hospitalière (GREPHH) disponible sur le site www.sante.gouv.fr
– Fiche pratique du CClin Sud-ouest destinée aux Ehpad intitulée « Conduite à tenir en cas d’AES » disponible sur le site www.cclin-sudouest.com
Isabelle Vaillot, Directrice de l’Ehpad Sainte Bernadette, à Troyes : « Il en va de la sécurité de nos salariés »
« Notre établissement a ouvert en juin 2011 et nous savions que le directive européenne allait être transposée dans le droit français. Notre centrale de référencement nous a présenté des dispositifs médicaux sécurisés. Les infirmières de notre établissement ont reçu une formation sur les aiguilles sécurisées et les perfusions sous-cutanées dispensée gratuitement par le fabricant. En tant qu’employeur, j’ai le devoir d’assurer la sécurité et le confort des salariés et des résidents. Le matériel sécurisé a été mis en place en septembre 2013. Cette mise en place a permis de revoir nos protocoles et de formaliser nos actions de prévention. Il est vrai que pour des petites structures telles que la nôtre, le coût de ce matériel pèse sur nos budgets mais il en va de la sécurité de nos salariés. »