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Mettre en place une politique managériale bientraitante pour préserver ses ressources humaines Non classé

Fernand Le Deun

Manager ses équipes est un art difficile. C’est néanmoins la clé de voûte de tout l’Ehpad. Le projet managérial doit donc être la priorité de la direction et le cœur de la relation qui l’unit à ses équipes. Dans un contexte économique et social extrêmement complexe, il existe cependant des outils pour optimiser les ressources humaines. Emmanuel Grosjean, responsable de la gestion des ressources humaines de la délégation régionale grand Est du groupe SOS, et Fernand Le Deun, responsable de la filière Directeur d’établissement sanitaire, social et médico-social (DESSMS) à l’École des hautes études en santé publique (EHESP), en donnent quelques pistes.

 

Existe-t-il des moyens d’optimiser les ressources humaines en Ehpad dans le contexte actuel ?

Fernand Le DeunFernand Le Deun :  Il faut reconnaître que les moyens affectés à l’accompagnement des personnes âgées sont insuffisants. Optimiser les ressources humaines pourrait être traduit par améliorer l’accompagnement des résidents par un enrichissement du travail en Ehpad. En effet, un établissement où seules les aides-soignantes accomplissent les soins d’hygiène, où l’agent de service est cantonné à des tâches matérielles et où l’animatrice porte seule les activités des 80 résidents risque fort d’être maltraitant à l’égard de son personnel… et de ses résidents ! Si cette illustration peut faire penser à un manque de moyens, elle révèle d’abord une mauvaise répartition des activités entre professionnels.

Emmanuel GrosjeanEmmanuel Grosjean : Il y a en outre des possibilités de recruter des personnels supplémentaires en optimisant les différents leviers qui existent, notamment au niveau des  contrats aidés. Il y a par exemple les emplois d’avenir. Dans notre groupe qui compte une quarantaine d’établissements, nous avons au moins un emploi d’avenir par Ehpad. Son principe : l’employeur s’engage à accompagner son employé dans un dispositif de formation et à obtenir son diplôme. Cela se fait en alternance et est peu coûteux pour l’employeur. Il existe également le service civique : ce contrat d’une durée de six à douze mois, lui aussi soutenu financièrement, permet de recruter des jeunes qui ont envie d’aider et de participer à la vie sociale de l’Ehpad. Ces personnes-là ont de véritables missions de lien social. Et il ne faut pas prendre ces contrats pour des rustines : au contraire, ce sont des renforts qui vont permettre aux soignants de se consacrer à leur métier d’origine et de renforcer l’équipe. Ils ont vocation, à un moment donné, à participer à l’effort collectif. C’est une véritable optimisation des ressources humaines en utilisant intelligemment les dispositifs de financements publics.

 

Comment construire son projet en matière de ressources humaines ?

Fernand Le Deun : Tout simplement, en se donnant pour objectif le travail bien fait, c’est-à-dire celui qui permet l’accomplissement des habitudes de vie du résident au sein et à l’extérieur de l’Ehpad. Construire son projet de management des ressources humaines, c’est placer au cœur du métier de chaque intervenant en Ehpad la possibilité de s’accomplir grâce à la portée de son action sur le bien-être de la personne accueillie. Cela passe par un diagnostic de l’établissement centré sur le vécu des résidents et sur le travail réel des personnels qui est très différent du travail prescrit. Il en découle une réflexion collective autour d’une refonte de l’organisation du travail, laquelle peut passer notamment par un enrichissement des définitions de fonctions (pour un accompagnement global du résident), par une révision des modalités d’affectation du personnel (du niveau établissement au niveau unité de vie), par la formation à différents ateliers ou encore par des objectifs professionnels centrés sur la mise en œuvre d’activités motivantes pour le personnel.

 

Quels sont les points à ne pas négliger pour une politique RH efficiente ?

Emmanuel Grosjean : Il ne faut surtout pas négliger l’échange. Par exemple, dans nos établissements, nous essayons de programmer un Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) par mois pour échanger régulièrement avec les représentants du personnel. Nous avons aussi le plan Qualité de vie au travail. Il faut s’intéresser à ses équipes et leur montrer notre volonté d’être à leur écoute. Il faut une vraie crédibilité dans le soutien que l’on donne aux salariés : un employeur qui fait semblant de s’intéresser à la qualité de vie au travail, cela se voit très rapidement ! Il faut donc mener des entretiens réguliers avec ses salariés, être à l’écoute de leurs difficultés pour trouver des solutions ensemble. Le salarié est acteur de son évolution : il ne faut donc pas prendre les décisions dans un bureau puis se confronter aux salariés. La communication et le dialogue sont les clés.

Fernand Le Deun : Le personnel sur lequel il convient de porter un regard particulier est celui qui accompagne le résident dans l’accomplissement des actes de la vie quotidienne. Cette valorisation du travail à accomplir passe également par une responsabilisation donnée à chaque agent vis-à-vis d’un nombre de résidents bien identifiés. Une organisation bientraitante pour les personnes accueillies comme pour le personnel identifiera une unité de vie à taille humaine, au sein de laquelle chaque agent sera référent de quelques résidents.

 

Comment améliorer le quotidien des équipes ?

Fernand Le Deun : Il faut faire en sorte que chaque membre de l’équipe de proximité dispose dans sa journée de travail d’un temps d’animation qui est avant tout prétexte à la relation. C’est, pour le personnel, se donner des objectifs et une motivation au travail. En effet, avoir dans la définition de ses fonctions et dans la réalité de son travail la responsabilité de concourir au maintien du rôle social des résidents, c’est permettre de connaître chacun en tant que personne humaine et non pas seulement comme objet de soins. Il faut disposer de moments privilégiés où l’essentiel est d’avoir une chaise pour s’assoir et deux oreilles pour écouter.

 

Comment lutter contre les phénomènes d’épuisement, de burn-out, de turn-over etc. ?

Emmanuel Grosjean : Cette question n’est pas évidente. Pour éviter l’épuisement, il faut que le salarié s’exprime. Parfois, le salarié sombre et on ne l’a pas vu venir. Or, pour régler un problème, il faut savoir le reconnaître. Il y a donc un vrai travail de pédagogie à mener pour faire reconnaître au salarié la situation dans laquelle il est. Concernant le turn-over, il faut arriver à fidéliser ses équipes et encourager la promotion interne. L’entretien annuel d’évaluation ne sert pas seulement à évaluer un salarié mais aussi à détecter les potentiels, les talents, les aspirations et les souffrances. 

Fernand Le Deun : Parmi les déterminants d’une organisation bientraitante pour le personnel et les résidents figure la stabilité d’une équipe au sein de son unité d’affectation. Qui dit petite unité de vie conviviale pour le résident dit également constitution de repères pour le personnel. Cette stabilité des équipes n’est donc possible que si l’on propose un travail riche de la diversité des responsabilités et de la (re)connaissance de l’autre. Se voir confier ce qui donne sens à son engagement dans l’aide aux plus vulnérables, tel est le véritable antidote aux phénomènes d’épuisement et autres risques psychosociaux.

 

Comment aborder une situation à portée disciplinaire ?

Emmanuel Grosjean : Notre groupe compte une quarantaine d’Ehpad dans lesquels quarante directeurs ont leurs propres valeurs, leurs propres façons d’estimer les situations et de calibrer la gravité d’une présumée faute. L’important est d’être cohérent en termes d’échelle de sanctions. Rapidement, la première question à se poser est : y a-t-il intérêt à écarter le salarié de l’entreprise pour mettre en sécurité le salarié, ses collègues et les résidents ? Ensuite, très rapidement aussi, il faut demander aux personnes qui ont été témoins de parler. Il faut établir un dossier complet pour tenir une position franche, nette. Lors de l’entretien, il faut essayer de mettre le salarié le plus à l’aise possible, lui faire comprendre que l’employeur n’est pas là pour l’écouter rapidement parce qu’il a déjà pris sa décision mais, au contraire, qu’il n’a pas de préjugé. Il faut être crédible, avoir une ligne directrice connue et comprise de tous et redonner à l’entretien avec le salarié une vraie valeur. Il faut extrêmement bien monter son dossier, ni à charge, ni à décharge.    

 

 


Mettre à profit les formations de ses équipes

La formation peut être un levier extrêmement bénéfique si, toutefois, elle est optimisée lors du retour du salarié, sans quoi celui-ci peut vivre un décalage extrêmement démotivant, comme l’explique Fernand Le Deun : « La formation individuelle du personnel, si elle n’est pas accompagnée des changements institutionnels nécessaires, ne fait qu’engendrer des frustrations supplémentaires puisque l’agent mesure encore davantage l’écart entre ses aspirations à la bientraitance et une réalité qu’il ne peut à lui seul modifier. » 


 

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