Longtemps sous-estimées, les neurosciences sont, depuis les années quatre-vingt-dix, sous le feu des projecteurs, en particulier dans le domaine du soin. Elles remettent notamment en question des idées reçues sur la prise en charge de la douleur et l’accompagnement des résidents.
Loin d’être réservées aux psychologues et aux psychiatres, les neurosciences – l’étude scientifique du système nerveux – interrogent les pratiques de tous les soignants. Elles remettent en question les pratiques du quotidien et les réflexes acquis en formation, bienveillants mais parfois maladroits. La prise en charge de la douleur, notamment, a fait l’objet de nombreuses études et de réflexions en la matière. Les résidents d’Ehpad, de plus en plus âgés, dépendants et atteints de pathologies, sont ainsi particulièrement concernés. Selon la définition officielle de l’Association internationale pour l’étude de la douleur (IASP), « la douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ou décrite dans ces termes ». Or, cette définition est particulièrement précieuse, estime Isabelle Célestin-Lhopiteau, psychologue au Centre régional d’évaluation et de traitement de la douleur (CETD) au CHU du Kremlin-Bicêtre (94). Et ce, dans la mesure où elle confirme « qu’il n’y a pas de clivage entre l’émotionnel et le somatique. Plus on est stressé, plus on risque d’avoir mal. L’émotionnel peut d’ailleurs entretenir, déclencher ou même être la conséquence d’une douleur ». Dans ce contexte, les neurosciences ont démontré l’importance, pour les soignants, d’aider le résident à exprimer son stress et à dédramatiser mais aussi d’accompagner ce lâcher prise nécessaire. « On ne nous enseigne pas à les gérer dans nos formations mais les émotions font partie de notre quotidien et sont indispensables car elles nous permettent de faire face à une situation qui nous dépasse », précise Isabelle Célestin-Lhopiteau, également Directrice de l’Institut français des pratiques psychocorporelles (IFPPC).
Travailler la communication pour accueillir les émotions
Mais pour accompagner ces émotions, encore faut-il savoir communiquer. Or, certains réflexes bien intentionnés génèrent au contraire davantage de stress. « Les dernières études en IRM fonctionnel apprennent à mieux s’exprimer auprès des patients. Ainsi, mieux vaut dire : ”C’est bien, je suis là” que ”ne pleurez pas, ça va aller”, explique Isabelle Célestin-Lhopiteau. Mais la communication ne se résume pas aux mots. Geste, attitude, comportement, tenue vestimentaire, ton, tatouage, manière de toucher l’autre, distance avec le résident… : tous ces éléments font partie de la communication non verbale ou para-verbale et représentent 82 % de nos échanges. Prégnante, cette expression doit donc faire l’objet d’une vigilance particulière même pour les résidents non communicants. « Les personnes âgées présentant des signes de démence, même lorsqu’elles n’ont plus la maîtrise de la communication verbale, perçoivent l’état émotionnel des professionnels qui s’occupent d’elles », explique Pascale Thibault-Wanquet, cadre supérieur de santé et auteur du « Guide des pratiques psychocorporelles » (éd. Masson, 2006).
En effet, une étude réalisée dans les années quatre-vingt-dix sur les « neurones miroirs » a mis en évidence le fait que les neurones d’une personne réagissent de la même manière que ceux de la personne qui vit en face d’elle une situation donnée. Ainsi, lorsque un soignant a un lien affectif avec un résident qu’il voit souffrir, ce sont les mêmes zones cérébrales qui s’activent dans son cerveau que la personne qui souffre. « Cela explique beaucoup de choses sur les réactions d’un entourage familial », note Pascale Wanquet. On sait également que les êtres humains ont une perception globale immédiate, laquelle prend en compte le non verbal et le verbal. Cette double prise de conscience doit encourager les soignants à adopter une empathie positive lors d’une prise en charge même s’ils sont face à une personne âgée qui ne va pas bien, voire qui est agressive. Utiliser le langage non verbal en étant rassurant, optimiste mais aussi congruent (correspondance entre l’expérience d’une situation et la prise de conscience) « crée une boucle positive. C’est ce que l’on appelle le rôle miroir », explique Isabelle Célestin-Lhopiteau.
Musicothérapie, effet Rosenthal et hypnose
Ainsi, au-delà des techniques et des médicaments, la communication, dans toutes des acceptions, permet de moduler la perception de la douleur, voire de la soulager mais aussi de rassurer les résidents. Mais les mots et l’attitude ne sont pas les seuls outils à la disposition des personnels soignants. Là encore, les neurosciences ont apporté des nouvelles méthodes et thérapies encore relativement méconnues ou, en tout cas, trop peu utilisées. L’hypnose en est l’un des exemples. Des études scientifiques ont en effet prouvé que si l’on demande à une personne de s’imaginer un son, cela active la même zone cérébrale que s’il l’entendait véritablement. C’est pourquoi « utiliser l’hypnose comme moyen analgésique complémentaire est plus puissant que distraire un patient pour calmer une douleur chronique ou non », souligne Isabelle Célestin-Lhopiteau.
Une autre méthode consiste à utiliser la musique, non pas pour distraire mais au contraire pour activer les émotions des patients et ainsi modifier ou atténuer un mal-être ou un stress. Les chercheurs ont également beaucoup travaillé sur l’effet Rosenthal (également appelé effet pygmalion), lequel montre qu’une communication constructive et positive potentialise les ressources de la personne à laquelle on parle. Plutôt centré sur le monde de l’éducation, cet outil mérite d’être adapté au soin et au médico-social « car plus un patient active ses ressources, plus il devient actif dans son parcours de soin », selon Isabelle Célestin-Lhopiteau. Cela a également une incidence sur la pratique des soignants, notamment dans la façon d’accompagner les résidents mais aussi une meilleure acceptation de la souffrance d’autrui et une certaine prise de distance face à leurs émotions. Cette stratégie est d’ailleurs améliorée par l’utilisation d’une autre méthode, dite de la « mini-conversation ». « Cela consiste à amener le patient à parler de quelque chose qui lui fait plaisir, d’une passion, explique Isabelle Célestin-Lhopiteau. Le mini-talk permet de réhumaniser un acte technique, un moment difficile ou douloureux ».
Mieux comprendre le fonctionnement du système nerveux a permis de développer un large éventail de techniques qui, lorsqu’elles sont utilisées à bon escient, optimisent la situation de soin ou d’accompagnement. Car il ne faut pas oublier, comme le rappelle Isabelle Célestin-Lhopiteau, qu’un « soignant travaille toujours en duo avec le patient/résident ».
Frédérique Josse
La force du non verbal
Une étude réalisée en Suisse démontre l’impact et la force du non rationnel ou du non verbal. L’objectif de cette enquête était de savoir comment faire pour qu’un lieu reste propre. Les chercheurs ont utilisé deux salles desquelles ils ont retiré la poubelle. Dans l’une, ils ont laissé un mot : « Merci de laisser cet espace propre ». Dans l’autre, ils ont diffusé une odeur de citron. Dans la première salle, tous les détritus étaient jetés par terre. La deuxième est restée propre.
« Cela prouve que la force de langage n’est pas suffisante pour amener quelqu’un à laisser un espace propre mais que l’on peut, en revanche, utiliser de nombreux leviers liés au contexte pour induire des changements de comportement », conclut Isabelle Célestin-Lhopiteau.