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Joëlle Le Gall : « Repenser l’ensemble du système dans lequel sont enfermés les Ehpad » Non classé

J Le Gall

J Le GallInlassable défenseuse des résidents et de leurs droits, la Présidente d’honneur de la Fédération nationale des associations et amis de personnes âgées et leurs familles (Fnapaef) déplore que le Gouvernement et le législateur refusent de se donner les moyens de leurs ambitions.

La loi sur l’adaptation de la société au vieillissement est-elle selon vous une grande occasion ratée ?

Joëlle Le Gall : Bien sûr parce que même si un certain nombre de points restent très intéressants, elle concerne essentiellement le vieillissement normal de la population, si je puis dire. Le vieillissement en lui-même n’est pas une maladie mais il implique de prendre des précautions et de mettre en place des dispositifs pour mieux l’accompagner de façon à ce que la personne protège son autonomie et vive au mieux cette période de sa vie. Par ailleurs, certaines personnes vieillissantes peuvent rencontrer des difficultés et être victimes d’une maladie invalidante ou d’un accident. Or, ce deuxième cas n’est pas traité dans le projet de loi. Pourtant, on ne peut pas envisager le même accompagnement pour le vieillissement général de la population que pour des personnes âgées victimes d’un handicap ou d’une pathologie grave invalidante. 

 

Sans compter qu’il semble acquis que le second volet de la loi, qui devait être consacré aux Ehpad, ne verra pas le jour… 

J. L. G. : En effet, les Ehpad sont les grands oubliés de ce projet de loi qui reste un projet tout domicile. Tout ministre en charge des personnes âgées est aujourd’hui soumis au bon vouloir de Bercy en matière de financement des Ehpad. Et l’on voit que l’on n’avance pas car tant que l’on sera dans une vision essentiellement budgétaire au lieu d’être dans une gestion de l’humain, on reculera. Les Ehpad sont la proie de dispositifs financiers très violents car non seulement on ne leur donne pas plus de moyens mais on est train de réduire ces derniers. Et ce, alors que le nombre de résidents atteints de maladies invalidantes est de plus en plus important du fait de leur entrée tardive en établissement et de la démographie. Non seulement, ils ne bénéficient pas d’un accompagnement à la hauteur de leurs besoins mais ils financent en moyenne 60 % du budget de fonctionnement des établissements. C’est une situation inacceptable.

 

Comment alors financer la perte d’autonomie ?

J. L. G. : La priorité pour la Fnapaef est de revenir à une tarification binaire comme pour les établissements accueillant des personnes handicapées de moins de 60 ans. Il comporterait d’un côté l’hôtellerie, de l’autre, le soin et le prendre soin. Aujourd’hui, la tarification est ternaire (hébergement, dépendance, soins) et le tarif hébergement sert de variable d’ajustement car les gestionnaires d’établissements n’ont plus la capacité de faire autrement. D’autre part, le tarif hébergement comprend un certain nombre de charges indues dénoncées depuis plusieurs années mais non supprimées à ce jour, notamment les intérêts d’emprunt, la charge salariale administrative, l’animation etc. Il faut donc tout remettre à plat et repenser l’ensemble du système dans lequel sont enfermés les Ehpad. Et ce, en se posant la question primordiale : quelle est l’utilité publique d’un Ehpad ? On doit mettre en place un véritable service public même si des établissements marchands y participent. Si les personnes ayant des revenus conséquents  s’orientent vers ces derniers, ce n’est pas le cas de la grande majorité des personnes âgées qui n’en ont pas les moyens. Et ces personnes doivent bénéficier, quel que soit l’endroit où elles séjournent, d’une qualité d’accompagnement  à la hauteur de leurs besoins. C’est pourquoi il y a urgence à mieux financer les établissements pour pouvoir répondre aux attentes de leurs résidents. Ils manquent notamment de personnels spécialisés et en nombre suffisants afin de maintenir au mieux l’autonomie restante.

 

Certes mais que préconisez-vous ?

J. L. G. : Beaucoup de résidents en Ehpad sont obligés de se défaire des biens qu’ils ont acquis durant leur vie, d’utiliser tous leurs revenus au risque de déshériter de facto leurs enfants. C’est pourquoi le financement doit être alimenté à plusieurs niveaux. Certains pays ont par exemple mis en place, avec succès et depuis longtemps, un impôt pour financer l’accompagnement des âgés. Mais outre la fiscalité, il faut également aller chercher l’argent où il est. Quand ont sait que les finances publiques sont privées chaque année de 70 à 90 milliards d’euros à cause des niches et des fraudes fiscales, on se dit qu’il y a quelque chose à faire même si la lutte contre les paradis fiscaux est engagée. Idem quand on voit les parachutes dorés que perçoivent certains grands patrons. Mais la liste est beaucoup plus longue si l’on veut rétablir une vraie  justice sociale.

 

Lors de l’examen de la loi d’adaptation de la société au vieillissement, le Sénat a voulu valoriser le rôle du médecin coordonnateur, notamment en votant un amendement imposant sa présence lors de l’entretien avec le résident au moment de signer le contrat de séjour. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

J. L. G. : Le médecin coordinateur ne peut pas faire son boulot en n’étant présent qu’un ou deux jours, voire seulement une demi-journée par semaine dans l’établissement. Il est là pour véritablement coordonner l’accompagnement de l’ensemble des résidents et faire en sorte qu’ils reçoivent le meilleur accompagnement possible en fonction de leur situation dans le cadre d’une coordination d’équipe. En revanche, il ne faudrait pas non plus le positionner de telle manière à dire au résident que c’est lui qu’il faut consulter et qu’il doit délaisser son médecin traitant. Sinon, on en reviendrait à la situation qui prévaut dans les Unités de soins de longue durée (USLD).

 

La Fnapaef demande l’instauration d’une allocation unique nationale qui remplacerait la Prestation de compensation du handicap (PCH) accordée aux personnes de moins de 60 ans et l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) octroyée au plus de 60 ans. Pourquoi ?

J. L. G. : Parce que si vous avez de la chance, et j’emploie délibérément ce mot à dessein, que votre handicap ou que la maladie d’Alzheimer survienne avant soixante ans, vous percevrez une allocation beaucoup plus importante que si cela se produit après. Aujourd’hui, l’APA donne la possibilité de bénéficier de 92 heures d’aide à domicile par mois en cas de perte d’autonomie la plus lourde. La PCH permet de financer quatre fois plus d’heures mensuelles. En revanche, le dispositif de la PCH est compliqué à mettre en œuvre lors de l’admission de la personne en établissement. C’est pourquoi une allocation unique permettrait à tous les citoyens qui sont confrontés, à un moment de leur vie, à une perte d’autonomie ou à un accident invalidant, d’être considérés comme des citoyens à part entière quel que soit leur âge et de recevoir un panier de services adapté à leurs besoins et financé par la solidarité nationale.

 

Craignez-vous la réforme territoriale qui risque d’aboutir à la suppression des départements ?

J. L. G. : Une région est à mon sens un territoire trop important pour répondre à l’ensemble des besoins de la population vieillissante. Un département a une taille plus petite et le Conseil général est donc susceptible de mieux connaître la population de son ressort. On s’en rend compte pour ceux qui sont impliqués dans les schémas gérontologies. Autrement dit, on est plus proche de la personne âgée au sein d’un département que d’une région. On peut mieux appréhender ses attentes, lesquelles sont aussi liées à une culture et à une façon de vivre et à un territoire. Or, il est essentiel de restituer, en particulier en établissement, les habitudes de vie de la personne. Peut-être y a-t-il trop d’instances mais il ne faut pas supprimer celles qui ont un véritable ancrage territorial. Peut-être pourrait-on simplement retirer certaines compétences aux Conseils généraux…

 

Reste que ces derniers continuent d’être les interlocuteurs privilégiés des directeurs d’établissements au même titre que les ARS…

J. L. G. : Oui et il y a à craindre de tous les côtés en ce qui concerne les Conseils généraux et les ARS. L’Association des départements de France a en effet proposé un certain nombre de recommandations dont certaines ont été reprises par la Cour des comptes. En particulier celle qui demande que le coût d’hébergement, décidé annuellement par le Conseil général pour tous les établissements publics et privés à but non lucratif, soit prioritairement destiné aux seules personnes qui perçoivent l’aide sociale. Ce qui signifie que pour les autres résidents qui ne sont pas bénéficiaires de l’aide sociale, ce sont les gestionnaires de l’établissement qui décideront librement, à l’entrée en établissement, de la tarification à appliquer à leur égard. En clair, nous sommes en train de rentrer dans un système libéral et dans la même organisation que les établissements à but commercial. Or, c’est précisément ce que nous ne voulons pas. D’autant que l’on est également en train de travailler sur des prestations socles. Or, on voit bien où l’on veut en venir : ces prestations vont être définies en fonction de ce que l’on va octroyer aux personnes qui bénéficient de l’aide sociale. Les chambres avec terrasse seront pour les riches et celles avec vue sur un mur pour les pauvres. J’exagère un peu mais c’est cela que l’on est en train de mettre en place. C’est inacceptable. On ne peut pas différencier l’accompagnement selon que le résident a les moyens ou ne les a pas, surtout dans un même établissement.

 

La plate-forme gérontologique et la notion de parcours sont-elles l’avenir de l’accompagnement des personnes âgées ? L’Ehpad doit-il forcément s’inscrire dans un ensemble plus vaste ?

J. L. G. : Oui, c’est exactement ce qu’il faut faire. Aujourd’hui, nous sommes dans le tout domicile ou le tout Ehpad. Les gens n’ont souvent le choix qu’entre ces deux options. Il faut donc réfléchir à des options intermédiaires en tenant compte de ce que seront les retraites des prochaines générations.

 

Le récent Plan maladies neurodégénératives répond-il à vos attentes ?

J. L. G. : C’est toujours pareil. Depuis dix ans, on nous abreuve de plans comme le Plan solidarité grand âge que nous avons soutenu et qui n’a pas été mis en œuvre à la hauteur de ce qu’il faudrait. On dit des choses mais on ne les finance pas. Ce sont des effets d’annonce qui rassurent le grand public mais pas du tout les gens qui sont véritablement concernés par ces problèmes. La maladie d’Alzheimer est, comme toutes les autres maladies cognitives apparentées, très mal accompagnée notamment dans les Ehpad faute d’un personnel formé en nombre suffisant. Avec, à la clef, un risque majoré de comportements violents parce que l’on n’a pas su répondre à une sensibilité que les résidents ont pourtant conservée. Leur accompagnement ne doit pas être d’abord médicamenteux. Il doit avant tout consister à préserver leur vie sociale pour les maintenir dans la vraie vie. Or, les résidents se débattent pour se faire entendre et comprendre. Sans compter les conflits générés par le fait qu’ils cohabitent avec des personnes qui, elles, ne sont pas atteintes de maladies cognitives. Tout cela génère un mal être de tous, des résidents, des accompagnants et des familles. Je pense qu’il faut créer davantage d’accueils de jour pour accompagner ces personnes atteintes de pathologies cognitives. Mais il faut que ce soient de véritables accueils de jours conviviaux en dehors de l’Ehpad et qui proposent de vraies activités physiques, artistiques et non pas quelques places réservées dans un Ehpad pour accueillir une dizaine de personnes. C’est cela qui permettra de vraiment soulager les aidants et surtout de retarder au maximum l’évolution de la maladie.  

Propos recueillis par Alexandre Terrini

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