Si l’Ehpad est un lieu de vie collectif, c’est également en partie le logement privé du résident. Forcément délicat, ce double statut implique donc de bien comprendre et de faire coexister les règles de vie en collectivité et les convictions ou choix personnels. En matière de religion et de culte notamment,
la compatibilité, au sein de l’Ehpad, entre sphère privée et sphère collective mérite une attention toute particulière.
Pour Aurélie Lagat, Directrice de l’Ehpad Georges Rosset tenu par l’association le Refuge des Cheminots, à Rambouillet (Yvelines), « la question des rites et des cultes en Ehpad est très liée à la situation géographique de l’établissement. En ce qui nous concerne, la très grande majorité de nos résidents sont catholiques même s’ils ne sont pas tous pratiquants. C’est à l’image de la région, très traditionnelle, où nous sommes situés. » Un point de vue partagé par Yves Ruggieri, Directeur de l’Ehpad L’Orée du bois, situé à Rieux-Volvestre, en Haute-Garonne : dans cette région rurale, « nous avons beaucoup de résidents catholiques ainsi que quelques protestants, ce qui s’explique par notre proximité avec des départements traditionnellement protestants. » Même son de cloche, dans le Finistère, de la part d’Éric Seguin, Directeur général du Sivu (Syndicat intercommunal à vocation unique) des Rives de l’Elorn à Guipavas : « Il y a une très forte communauté catholique dans notre région ». Comme pour ses deux confrères, « il n’y a donc pas de difficulté de cohabitation entre religions ni même entre croyants et non croyants. Nos résidents actuels appartiennent à une génération pour laquelle les traditions sont très importantes, qui a grandi à une époque et dans une région où l’Église catholique était très forte, très implantée. Ici, la religion n’est pas matière à débat. Peut-être le sera-ce d’ici une vingtaine d’années… Et encore, je pense vraiment que c’est aux gestionnaires, dans le cas où plusieurs religions cohabitent, de faire de leur établissement un laboratoire du vivre ensemble. »
« Tout dépend de la direction et des équipes, renchérit Yves Ruggieri. Cela va bien au-delà de la seule question confessionnelle : comme partout, certains sont tolérants, d’autres pas. Tout dépend de l’impulsion que l’on veut donner à son établissement. »
Deux mots d’ordre : respect et discrétion
Philippe, animateur à l’Ehpad Les Airelles dans le XIXe arrondissement de Paris où règne une grande mixité religieuse (catholicisme, protestantisme, judaïsme, islam, évangélisme sont représentés), explique : « Quand les résidents arrivent en établissements, je leur demande s’il pratique un culte et lequel : ce sera la première et dernière fois que je poserai cette question. S’ils me disent être pratiquants, je le note pour pouvoir les prévenir personnellement quand il y a une cérémonie, souhaiter un bon shabbat aux résidents de confession juive ou un bon ramadan aux Musulmans, par exemple. On essaie de fêter les grandes fêtes religieuses. Le personnel est tolérant et s’implique : nous avons de très nombreux ouvrages qui portent sur les rites, le personnel est donc très sensibilisé. Il est en effet indispensable d’aider les uns et les autres dans leur choix de vie mais toujours dans le respect de la loi (pas de signe ostentatoire). Même si nous sommes un établissement apolitique et non religieux, nous respectons toutes les religions. Elles font partie de l’histoire de vie des résidents. La seule règle d’or est d’être discret et respectueux des autres religions. » « Tout le monde fait preuve de tolérance et d’ouverture. Nous sommes là pour écouter et rassurer : ce que veulent nos résidents, c’est avant tout de la chaleur humaine », confirme Yves Ruggieri.
Permettre à chacun de pratiquer son culte
En terme d’organisation, tous s’accordent à dire que, si la pratique de son culte et des rites relève de la vie privée de chaque résident, il incombe à l’établissement de permettre la pratique de ce culte à quiconque le souhaite. Philippe poursuit : « Les ministres des différents cultes sont affichés à chaque étage. Une messe catholique est organisée au moins une fois par mois. Des bénévoles laïcs de la paroisse viennent également à la demande pour donner la communion en semaine. La cuisine fait des plats adaptés selon les croyances. On fait par exemple du poisson le vendredi. Évidemment, il est impossible de tout respecter au pied de la lettre mais on fait au mieux. »
Reste la très délicate question de la fin de vie (voir encadré) : « La vie n’a jamais autant d’importance qu’au moment de la mort, note Eric Seguin. En fin de vie, on assiste parfois à une demande de ritualisation de certains résidents. » En effet, « il ne faut pas oublier que l’Ehpad est aussi surtout le dernier lieu de vie de nos résidents, rappelle Yves Ruggieri. On essaie donc de préserver les habitudes de vie et les souhaits de nos résidents et de leur famille, surtout à l’approche de la mort. Nous nous adaptons aux demandes dans la mesure du possible, même si nous veillons à ce que les demandes des uns et des autres n’outrepassent pas le cadre de notre projet d’établissement. »
Rites funéraires en Ehpad, mode d’emploi
Le Réseau gérontologique inter-établissements et services du Val-d’Oise (Régies 95) s’est doté d’un groupe de travail qui se consacre, depuis 2007, à la question des rites funéraires en Ehpad. Après avoir fait un état des lieux des différentes pratiques des établissements du réseau, s’être informé des souhaits des résidents et avoir répertorié les outils, procédures et protocoles nécessaires (questionnaire, bibliographie), le groupe a réalisé des fiches synthétiques reprenant les aspects réglementaires et les rites de six religions (bouddhisme, catholicisme, islam, judaïsme, orthodoxie, protestantisme) ainsi qu’un abécédaire des termes réglementaires intitulé « Autour de la mort ». Aujourd’hui, un guide plus complet sur le sens des rites est en cours d’élaboration.
Pour Françoise Lorentz, coordonnatrice du Régies 95, ces outils répondent à un vrai besoin : « Ce thème des rites funéraires a été choisi et voté en Assemblée générale comme tous ceux sur lesquels nous travaillons. Les équipes des Ehpad ne comprennent pas le pourquoi d’un rite ni jusqu’où elles peuvent aller face aux demandes des familles. La question se pose principalement en fin de vie. Nous avons travaillé avec un responsable de pompes funèbres, avec des directeurs d’établissement, des cadres de santé, des psychologues, des soignants et nous avons consulté les ministres des cultes. Dans le Val-d’Oise, la diversité religieuse existe aussi bien pour les résidents que pour les soignants qui les accompagnent. L’accueil est à considérer de manière individuelle : tout dépend de la personne, de la famille, de l’encadrement et de l’équipe. Certains vont s’appuyer exclusivement sur la loi et la réglementation, d’autres feront preuve de plus de souplesse. Les solutions au cas par cas sont souvent privilégiées. »
Pour plus d’informations, contacter le Régies 95 : http://www.regies95.com