Dans un récent rapport remis en juin dernier au Gouvernement, l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF) s’adresse aux Ehpad qui ont délégué la totalité du circuit du médicament à un pharmacien extérieur à l’établissement et ne possèdent donc pas une Pharmacie à usage interne (PUI)1. Elle formule quatre propositions pour délivrer « le bon médicament, à la bonne dose, par la bonne voie d’administration, au bon moment, au bon patient ».
L’ampleur du phénomène est connue, la réalité des chiffres tout autant : 10 % des hospitalisations des personnes de plus de 65 ans et 20 % de celles âgées de plus de 80 ans sont causées par la iatrogénie médicamenteuse. Les résidents des Ehpad sont bien sûr particulièrement concernés dans la mesure où leur état de santé nécessite souvent une polymédication.
D’où la nécessité de remédier à ce dysfonctionnement non seulement dans l’intérêt du résident-patient et de sa santé, bien sûr, mais aussi de celui de l’ensemble de la société dans la mesure où la mauvaise observance des traitements génère un coût économique important.
C’est tout le sens du Livre blanc de l’UNPF pour une PDA maîtrisée et sécurisée en Ehpad, laquelle ferait passer le taux d’erreur de 15 % pour une PDA manuelle des infirmiers à 2 pour mille pour une PDA automatisée effectuée par des pharmaciens.
Recommandation n°1 : sécuriser le patient en créant un protocole homogène pour la PDA
L’UNPF réclame une meilleure conservation des données (photo systématique du médicament et de la boîte, comparaison avec l’ordonnance, archivage des photos et transmission à l’Ehpad), la mise en place d’un process qualité dans la Préparation des doses à administrer (PDA) et la conservation des données applicables à tous pour une traçabilité irréprochable.
L’UNPF demande également que la rétrocession actuellement pratiquée de facto fasse l’objet d’un cadre réglementaire précis et puisse s’exercer dans des locaux distincts, non ouverts au public, agréés par l’ARS et attachés à la licence de la pharmacie.
Un référentiel qualité spécifique pour la PDA devra être élaboré. Pour atteindre cet objectif, il faudra respecter les éléments-clés suivants :
• Adopter une démarche « processus ».
• Avoir la satisfaction du patient comme indicateur.
• Raisonner en approche « risque ».
• Et mettre en place un système d’amélioration continue.
Seul un engagement collectif autour d’un référentiel unique indépendant et fédérateur rendra cette démarche de sécurisation pertinente.
Cette recommandation se fonde sur un constat malheureusement incontestable : la distribution des médicaments en Ehpad sous forme de piluliers remplis manuellement est dépourvue d’une réelle procédure de sécurisation et de normalisation. Un déficit méthodologique qui génère des erreurs de dosage, un non-respect des règles sanitaires ainsi qu’une impossibilité d’effectuer un contrôle efficace et d’apporter la preuve que le ou les médicaments ont bien été administrés
D’où la nécessité de mettre en place un système procédural efficace. Lequel n’exclut pas un préalable intangible : en l’occurrence, le respect du libre choix d’accès au médicament par le patient formalisé par une convention entre le directeur de l’Ehpad et le résident. En effet, on ne peut pas imposer au patient une technologie de Préparation des doses à administrer (PDA) s’il ne le veux pas.
Le processus promu par l’UNPF implique tout d’abord, lors de la réception de l’ordonnance, l’identification du patient sous la forme d’une fiche administrative et d’une photo numérisée de son visage mais aussi l’identification de tous les médecins intervenant dans sa prise en charge. Le pharmacien doit ensuite analyser l’ordonnance (spécifier les traitements liés à des chronicités ou à des urgences), vérifier les éventuelles interactions, les dosages ainsi que la capacité du résident à absorber de manière physiologique les posologies demandées. Et, le cas échéant, prévenir le médecin en cas de nécessaire modification de ces dernières. En clair, le pharmacien effectue tout un travail de prévention en amont au regard des pathologies du résident et de ses résultats biologiques afin d’évaluer son aptitude à l’observance puis de définir le calibrage de l’ordonnance en production automatisée.
Celle-ci est en effet assurée par un robot qui prépare l’intégralité du traitement pour une semaine. Et ce, sous forme de petits sachets pour le matin, le midi, le soir ou tout autre moment de la journée. Sur chaque sachet sont mentionnés le nom de la personne, le nombre de médicament présents, les dates de péremption des produits et leur numéro de lot afin d’assurer la traçabilité exigée par la loi. L’ensemble du traitement est ensuite placé dans une boîte codée et au nom du patient, laquelle est envoyée à l’Ehpad.
Puis, lors de la distribution, on scanne le sachet, lequel a été préalablement photographié et enregistré sur la base de données de l’officine durant la phase de contrôle. Apparaissent alors sur l’écran l’ordonnance et les directives pour procéder à une dispensation optimale, tant quantitative que qualitative, des médicaments, les références nationales de chacun d’eux mais aussi la photo du résident afin d’éviter toute erreur d’identification ordonnance. Enfin, en cas de non-ingestion d’un ou de plusieurs médica ments, celle-ci ainsi que ses motifs sont précisés directement dans le dossier informatique du résident.
Un tel processus de sécurisation nécessite un équipement automatisé. A ce jour, il n’est applicable que par les quelque 250 officines en France qui en sont pourvues. Pour l’étendre sur l’ensemble du territoire et que l’aspect matériel ne soit pas un facteur limitant voire discriminant en terme de concurrence, l’UNPF demande que le ministère de la Santé accorde officiellement la possibilité de mettre en place une rétrocession de la PDA entre pharmaciens qui sont équipés et ceux qui ne le se sont pas.
Par ailleurs, la PDA doit être effectuée dans des locaux dédiés. Or, la superficie moyenne des officines françaises est d’environ 110-120 mètres carrés. Insuffisant pour y consacrer exclusivement une part de leurs locaux tout en respectant les normes de fabrication afférentes (température stable avec un éclairage adéquat car certaines sont molécules thermosensibles et luminosensibles). Là encore, l’UNPF souhaite que les pouvoirs publics autorisent les officines à posséder des locaux délocalisés et techniquement normés (et reconnus comme tels par les ARS après contrôle) dans lesquels serait effectuée la PDA.
Recommandation n°2 : reconnaître au pharmacien un double rôle, à la fois dispensateur et organisateur du circuit du médicament en Ehpad
Afin de garantir aux patients en Ephad une sécurité optimale et un bon usage du médicament, les auteurs du Livre blanc estiment qu’il convient de reconnaître officiellement un double rôle au pharmacien : à la fois dispensateur (son rôle historique) mais aussi celui d’organisateur du circuit du médicament jusqu’à son administration en Ephad.
Les deux fonctions doivent être exercées par la même personne afin que celle-ci puisse donner le bon médicament, à la bonne dose, sous la bonne forme à la bonne personne Par conséquent, l’UNPF demande à Madame Marisol Touraine, Ministre de tutelle, de définir les rôles et les critères de réalisation des actions de dispensateur et d’organisateur du circuit du médicament.
Autant d’attributions qui font du pharmacien d’officine un maillon essentiel de la santé des résidents en Ehpad. En outre, son rôle essentiel en matière de sécurisation du circuit du médicament en Ehpad lui commande d’être présent au minimum une fois par mois dans les murs de l’établissement pour siéger au sein d’un conseil de surveillance également composé du médecin coordonnateur, de l’infirmier référent et du directeur de l’Ehpad. Au sein de cette instance, il examine alors les cas de résidents qui sont l’objet de traitement requérant une attention particulière ainsi que tout ce qui a trait à la problématique du médicament dans l’Ehpad.
Recommandation n°3 : rétribuer le pharmacien pour son implication dans la PDA
Actuellement, la préparation des médicaments est assurée par les infirmiers en Ehpad. Dès lors que le pharmacien prend en charge cet acte, les auteurs du Livre blanc demandent qu’une rétribution soit prévue pour cette nouvelle responsabilité dément encadrée. Elle serait calculée sur un forfait comprenant les actes de dispensation et les actes liés à l’organisation du circuit du médicament.
Selon certains experts et praticiens de la PDA, les économies engendrées représentent une réduction des coûts pour la Sécurité sociale de l’ordre de 17 à 20 %.
L’UNPF rappelle qu’une PDA externalisée et normée non seulement replace le résident au centre du processus de sécurisation mais redonne également du temps aux infirmières pour qu’elles puissent se concentrer sur leur cœur de métier : le soin.
Recommandation n°4 : proposer aux pharmaciens un plan de formation spécifique pour pratiquer la PDA
La complexité de la mise en œuvre de la PDA dans des conditions maîtrisées et sécurisées nécessite l’acquisition d’expertises spécifiques dans différents domaines : les auteurs du Livre blanc recommandent la définition et la mise en pratique de plan de formation validé et opposable pour tout pharmacien d’officine cherchant à pratiquer une PDA maîtrisées et sécurisée.
Alexandre Terrini