La stratégie immobilière des Ehpad est loin d’être un long fleuve tranquille. Les établissements privés lucratifs jouent une partition offensive avec un objectif : optimiser leur exploitation en limitant les contraintes financières.
Dans cette optique, la combinaison de plusieurs techniques de vente séduit de plus en plus les groupes privés commerciaux. Dans les secteurs publics et associatifs, en revanche, la marge de manœuvre est plus limitée.
La stratégie immobilière est particulièrement importante pour le secteur privé lucratif. Elle est plus restreinte pour le public et l’associatif (lire article ci-après). Dans le secteur privé, la politique immobilière ressemble à une course hippique. D’un côté, les gros joueurs, de l’autre, les petits. Les gros, les grands groupes comme Orpea ou Korian, parient sur plusieurs chevaux. Ils combinent la propriété et la location des murs. Les seconds (petits groupes et Ehpad indépendants) misent sur un seul cheval : soit la location, soit la propriété. En effet, pour les indépendants, le panel de possibilités est réduit. Si l’on est propriétaire, on conserve la maîtrise des murs et la liberté de réaliser des travaux. Une marge de manœuvre appréciable à l’heure où les besoins des résidents évoluent.
En effet, « les problématiques d’accueil ont évolué, confirme Raoul Tachon, consultant spécialisé dans le secteur médico-social. Les efforts ont porté sur la mise à niveau en termes de confort, de mobilité pour les déments déambulants, de sécurité incendie et de protection contre les fugues pour faire cohabiter au mieux les populations démentes avec les autres. »
Autre avantage d’être propriétaire : c’est un placement sûr. Le vieillissement de la population et la demande croissante de placements en Ehpad font de celui-ci un investissement sûr pour le propriétaire exploitant. « C’est une forme de réserve mais aussi un patrimoine que de posséder les murs », corrobore Jean-Christophe Briant, Directeur d’études responsable du pôle santé au sein du cabinet d’analyses stratégiques Xerfi-Precepta.
Une location à double tranchant
Oui, mais voilà, un Ehpad coûte cher, en moyenne 10 millions d’euros. Une addition salée pour des petites structures qui préfèrent louer. C’est l’option qu’a privilégiée Alfred Saillon, Directeur du groupe Almage, à la tête de sept Ehpad. « J’ai choisi de louer. Cela évite d’investir dans l’immobilier ».
Le calcul est, selon lui, vite fait : « La location est plus supportable en terme de cash flow même si on capitalise moins. » En cas de travaux, c’est Almage qui les finance et non le bailleur. Mais c’est loin d’être la règle. Pour les autres établissements ou groupes qui louent leurs murs, cette charge incombe au bailleur. Ce qui peut générer des difficultés tant pour ce qui est du respect des délais qu’en ce qui concerne le financement. « Dans une maison de retraite, les murs sont «vivants». L’exploitant doit souvent faire des extensions ou des modifications pour s’adapter aux nouvelles normes ou au public accueilli. Et cela impacte le prix du loyer », explique Jean-Christophe Briant.
Certains Ehpad peuvent aussi louer à des Loueurs en meublé professionnels (LMP) ou non professionnels (LMNP). En clair, les habitations sont vendues à la découpe à un particulier ou à une société foncière qui bénéficie d’avantages fiscaux. Mais cette stratégie trouve ses limites. « Dans ces établissements, les loyers, et par conséquent les tarifs d’hébergement, sont plus élevés pour les résidents », précise Raoul Tachon. L’équation devient alors compliquée. Surtout lorsque les tarifs d’hébergement encadrés ne compensent pas les loyers élevés versés par l’Ehpad. « Les pouvoirs publics limitent le reste à charge des résidents et ont accordé seulement 1 % de hausse des tarifs d’hébergement en 2014, rappelle Raoul Tachon. Si le loyer que doit verser l’Ehpad est trop important – plus de 15 % des recettes – cela peut annuler la marge qu’il dégage. »
Le panachage, la solution des grands groupes
Propriétaire ou locataire. Les grands opérateurs comme Orpéa ou Korian ont compris que la solution n’était pas manichéenne. Dès lors, ils diversifient leurs stratégies. L’enjeu est double : obtenir un levier financier et alimenter leur croissance. « Les grands groupes n’ont pas vocation à conserver tout leur parc immobilier. L’idéal, c’est de mixer le fait de louer des établissements, de posséder des murs et d’en céder une partie pour diversifier les risques », affirme Jean-Christophe Briant. En fait, les murs procurent « un matelas » pour permettre de continuer à s’endetter et de « se financer sur les marchés et auprès des banques ». Parallèlement, la vente des murs « apporte des ressources ».
Combinaison interne
Pour céder des murs, certains associent plusieurs techniques de vente. La plus astucieuse est le crédit-bail cession : le groupe d’Ehpad cède la propriété des établissements pendant quinze ans tout en conservant la location pour, à terme, en redevenir propriétaire. Les Ehpad utilisent ainsi un levier financier classique qui leur procure une trésorerie immédiate importante.
Au crédit-bail, les groupes ajoutent la cession pure. Ils vendent des murs à des sociétés foncières et deviennent locataires. Orpea s’inscrit dans cette stratégie : le groupe associe la vente et le crédit-bail. « Orpéa reste propriétaire de 50 % de ses immeubles. L’autre moitié est louée directement par le groupe dans le cadre de baux longs », confirme-t-on chez Orpéa. Dans ce millefeuille entre location, cession, crédit-bail et parfois LMP, chacun groupe tire au mieux son épingle du jeu. Un jeu qui profite à quelques-uns et en laisse d’autres sur la touche, à l’instar des Ehpad publics et associatifs.
Émilie Cailleau
Une vision patrimoniale pour le public et l’associatif
À l’inverse du secteur privé, les Ehpad publics et associatifs adoptent une vision plus patrimoniale de l’Ehpad.
Les établissements de ce type ne cherchent en général ni à vendre ni à se développer. Ce qui n’est pas étonnant dans la mesure où ils se fixent en effet pour mission principale de répondre à des besoins spécifiques sur un territoire. Les murs sont considérés comme un bien fonctionnel et une sécurité. La Fédération hospitalière de France (FHF, 2 2000 Ehpad) affirme que ses établissements publics ne sont pas soumis à « une politique immobilière globale ». Le choix dépend donc des stratégies territoriales.
Même approche dans le secteur associatif. À la Croix-Rouge (36 Ehpad), où « le patrimoine est important », le statut immobilier « s’étudie au cas par cas ». « On reste propriétaire sur des sites exceptionnels, lorsqu’il s’agit de beaux patrimoines dont on ne veut pas se défaire », explique Carole Daoud, Directrice santé et autonomie à la Croix rouge. Autre cas de figure qui justifie la propriété : « Lorsque l’on perçoit des subventions des collectivités territoriales et/ou des crédits non reconductibles des Agences régionales de santé qui permettent d’amortir l’investissement. » Des aides qui font défaut pour la location : « Quand vous êtes locataire, quel que soit le bailleur, vous ne pouvez pas actionner ce dispositif comptable », assure Carole Daoud.
Obsolescence programmée ?
Aujourd’hui, la Croix-Rouge est l’un des rares opérateurs associatifs à pouvoir se développer en exploitant de nouveaux Ehpad chaque année. Mais cette croissance reste timide comparée au secteur privé commercial. « Les Ehpad associatifs vont réussir à créer une nouvelle maison de retraite au compte-goutte, environ tous les trois ans, alors que les groupes privés comme Orpea ont cinq établissements qui sortent de terre tous les ans. Cela n’a rien à voir », confirme Jean-Christophe Briant, expert chez Xerfi.
Cette stratégie à géométrie variable met l’accent sur la propriété et non sur la cession. Mais, sur le long terme, elle prive l’associatif et le public d’un levier financier intéressant pour maintenir en bon état des établissements qui se dégradent vite. Au sein de la FHF, on reconnaît d’ailleurs que « le parc nécessite une modernisation, un rafraîchissement, voire une reconstruction pour certains bâtiments ». Résultat, nombre d’Ehpad peinent à suivre. Et cela ne devrait pas s’arranger avec la montée en puissance des normes et des contraintes financières imposées par les pouvoirs publics.