Alain Villez est conseiller technique pour le secteur personnes âgées à l’Uniopss (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux). Il fait le point sur les garanties données par Laurence Rossignol, récemment nommée secrétaire d’État chargée de la Famille, des Personnes âgées et de l’Autonomie. Par ailleurs, il revient sur la situation européenne au lendemain des élections et un mois après la publication, par le réseau Uniopss-Uriopss et les associations de solidarité, d’un plaidoyer intitulé « Pour une Europe solidaire, plus proche des citoyens ».
Depuis le remaniement ministériel et le départ de Michèle Delaunay, comment appréhendez-vous la réforme attendue concernant le vieillissement ?
Alain Villez : Nous avions fait part à Laurence Rossignol de nos inquiétudes. Elle nous avait donné l’assurance que le projet de loi serait soumis au Conseil des ministres puis adopté par le Gouvernement avant l’été avant d’être transmis au Parlement… Certes, le texte a été présenté en Conseil des ministres le 3 juin mais le calendrier parlementaire disponible à ce jour ne courant pas au-delà du mois de juillet, nous n’avons pas encore la preuve que ce calendrier sera tenu ! Il est en revanche confirmé que la loi se déclinera en deux temps. La question de la réforme des financements de la tarification des Ehpad est ainsi toujours renvoyée à une deuxième loi qui devrait être l’objet de concertations au cours de la deuxième moitié du mandat présidentiel. Or, cette seconde moitié de mandat débutant dès 2015, nous pensons qu’il ne faut pas s’attendre à ce que ce volet voie réellement le jour en dépit des promesses. Et Marisol Touraine ne nous avait pas rassurés lors de son discours, fin mai, à l’occasion de l’inauguration des Salons de la santé et de l’autonomie. Elle a certes fait une allusion aux Paerpa et à la loi mais elle ne nous a donné aucune garantie. Tout cela est assez préoccupant.
Avez-vous eu des précisions sur d’éventuelles modifications du projet de loi préparé par Michèle Delaunay ?
A. V. : Le Conseil des ministres a été saisi du projet de loi tel qu’il a été élaboré par Michèle Delaunay et soumis à l’avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Laurence Rossignol semble très attachée à ce que l’on ne soit pas obligé de procéder à une nouvelle concertation et que l’on s’appuie sur ce qui a été fait. Quand nous l’avons rencontrée début mai, elle envisageait toutefois quelques rencontres avec les acteurs du secteur entre l’adoption en Conseil des ministres et le début des débats parlementaires. Cette détermination durera-t-elle ? On peut se poser la question d’autant qu’il y a tout de même quelques points assez surprenants : par exemple, le projet de loi réaffirme le rôle des présidents des Conseils généraux. Or, le Gouvernement a annoncé que les Conseils généraux seraient supprimés dès 2017.
A l’occasion de la campagne pour les élections européennes, vous avez publié un manifeste intitulé « Pour une Europe solidaire, plus proche des citoyens ». L’occasion de sortir de notre débat franco-français. Comment la question des personnes âgées est-elle abordée dans les autres pays européens ?
A. V. : En Europe, la problématique des personnes âgées est plus une question d’accès aux droits fondamentaux que de prise en charge. C’est d’ailleurs sur cet aspect que les associations européennes travaillent principalement. En effet, chaque État a ses spécificités dans son droit national et sa représentation nationale. Il est donc un peu stérile de se limiter à comparer les pratiques, les dispositifs de prise en charge ou de financement des uns et des autres. En revanche, nous menons une réelle réflexion pour savoir s’il faut rédiger une charte des droits fondamentaux spécifiques pour les personnes âgées. Pour nous, en tout cas, il ne paraît absolument pas nécessaire d’établir un droit spécifique fondé sur des critères d’âge car il s’agit de droits qui sont les mêmes pour tous, qu’il s’agisse de droits économiques, sociaux ou en termes d’accès à la santé. Par ailleurs, nous travaillons également avec la plate-forme AGE (plate-forme européenne d’associations de personnes âgées ou œuvrant pour elles, N.D.L.R.), pour tout ce qui concerne la lutte contre l’exclusion, l’isolement, la précarité et la pauvreté. C’est un combat que nous essayons de partager à l’échelon européen. Nous aspirons à aller plus loin en termes d’harmonisation de ces politiques et c’est entre autres ce qui nous a poussé à publier ce manifeste : les élections européennes ont été le prétexte pour voir dans quelle mesure nos préoccupations franco-françaises rejoignent celles d’autres pays. Par ailleurs, parce que notre droit national est également plutôt déficitaire sur ce point, nous souhaitons aller plus loin à l’échelon européen dans la non-discrimination par l’âge dans la délivrance des prestations de compensation du handicap. C’est un sujet qui reste l’un des principaux points de divergence entre les pays européens. Rappelons que, contrairement à ce qui se passe dans d’autres régions, notamment en Allemagne, en Flandres, en Autriche, nous continuons malgré tout, en France, à pratiquer cette discrimination par l’âge. En effet, il existe bien chez nous deux prestations de compensation selon que vous soyez une personne handicapée de moins ou de plus de soixante ans (la PCH et l’APA). Nos voisins sont en mesure de nous faire progresser dans ce domaine : certains pays européens ont en effet inscrit une prestation universelle pour toutes les personnes en situation de handicap dans leur droit national. La question de l’accessibilité aux droits de l’ensemble des ressortissants âgés de l’Europe peut tous nous réunir.
Les besoins et les priorités sont-ils les mêmes partout et pour tous ?
A. V. : Si les réponses ne sont pas les mêmes suivant les pays, les besoins, eux, sont de même nature partout et renvoient aux droits fondamentaux et à leur mise en œuvre : le droit à une vie économique décente, à une vie sociale, à l’accès aux soins… Mais entre les pays latins et nordiques, les approches peuvent être très différentes. Au sud de l’Europe, par tradition, les réponses en terme d’hébergement sont moins abondantes et les services d’aide à domicile sans doute également un peu moins développés. Le rôle de la famille y est en effet très prégnant. A l’autre extrême, des pays du nord explorent le « zéro établissement d’hébergement » pour miser sur les services d’aide à domicile en transitant par les collectivités locales. On voit bien qu’il y a des sensibilités particulières suivant les régions qu’il est important de prendre en considération et qui vont conduire à promouvoir parfois des réponses différentes. Mais au-delà du rôle différent joué par les familles, une certaine forme d’harmonisation se fait jour autour de l’idée que l’on ne peut pas leur laisser toute la charge de l’aide à l’autonomie des personnes âgées : il faut des réponses professionnelles qui complètent celles apportées par les familles. Le constat de l’augmentation du nombre de personnes en situation précaire chez les personnes âgées est bien réel à l’échelle européenne et se vérifie dans tous les pays. Et pour mettre en œuvre des solutions, nous sommes tous d’accord sur le fait qu’en définissant des territoires prioritaires, nous avons la possibilité de mobiliser des financements européens.
A propos de ces financements, comment l’Europe intervient-elle ?
A. V. : Les financements européens sont clairement en régression. Et ils sont sans doute plus difficilement accessibles qu’auparavant puisque ce sont désormais les régions qui les gèrent directement. C’est une dimension du problème qui nous préoccupe : il faut parvenir à rendre accessibles ces financements structurellement liés aux financements des collectivités territoriales. Pour résumer, il y a vraiment un double phénomène : une diminution des fonds structurels et la difficulté d’y accéder. Tout cela ne plaide pas en faveur d’une répartition vraiment harmonieuse des crédits et financements.
Au-delà des problèmes de financement, c’est bien en mettant en avant la question des droits fondamentaux que l’on pourra avancer. En effet, l’harmonisation européenne vise plutôt à ce que chaque État ait des dispositifs fiables et garantissant les droits fondamentaux sans pour autant définir des dispositifs identiques pour tous. L’Europe doit garantir à ses personnes âgées des droits fondamentaux et un minimum pour vivre une vie décente.
Propos recueillis par Camille Grelle
Les axes à privilégier
Les quatre enjeux majeurs du plaidoyer « Pour une Europe solidaire, plus proche des citoyens » sont les suivants :
1 – Privilégier une politique européenne des solidarités.
2 – Élargir et consolider la reconnaissance des acteurs des solidarités au niveau européen.
3 – Renforcer la citoyenneté européenne.
4 – Assurer un meilleur accès aux droits sanitaires, sociaux et médico-sociaux.
Ce manifeste a été publié par l’Uniopss qui a vocation à « unir, défendre et valoriser le secteur non lucratif de solidarité en portant auprès des pouvoirs publics la voix collective des associations sanitaires et sociales ». A ce titre, elle représente 25.000 établissements et services du monde de la solidarité dont un nombre important d’Ehpad associatifs.