Éric Bougerolles, responsable du pôle audiologie pour la société Prodition spécialisée dans les aides auditives, nous informe sur les solutions à mettre en place pour permettre aux personnes âgées de mieux entendre leurs interlocuteurs qui portent un masque.
Le port du masque ajoute des difficultés pour les personnes malentendantes en général. Lesquelles ?
La première difficulté, c’est la compréhension. Même pour nous, normo-entendants, quand quelqu’un parle avec un masque, ce n’est pas toujours facile de comprendre. Donc forcément, pour une personne malentendante, le problème est amplifié.
C’est dû essentiellement au fait que non seulement le masque va réduire l’intensité de la voix, mais il va le faire de manière sélective. Les fréquences graves vont plus facilement passer, alors que les fréquences aiguës vont avoir beaucoup plus de mal à traverser le masque. Or ce sont ces fréquences aiguës qui sont les plus importantes pour la compréhension de la parole.
Deuxièmement, quand on a une perte auditive, c’est d’abord sur les fréquences aiguës. Donc on ajoute encore de la difficulté supplémentaire.
Et puis troisièmement, dès qu’il y a un peu de bruit autour de vous, il est surtout sur les fréquences graves. Donc les sons de la voix qui traversent le masque vont se retrouver mêlés au bruit, dans des fréquences proches. De plus, ce sont les sons faibles de la voix qui vont avoir du mal à passer, ceux qui sont déjà les plus difficiles à percevoir pour une personne malentendante.
C’est l’addition de tous ces éléments qui rend la situation particulièrement difficile en ce moment. De plus, pour les personnes âgées, particulièrement les plus anciens, le traitement de l’information au niveau du cerveau est ralenti. Il y a un déclin cognitif qui est normal, mais qui rend encore plus difficile pour elles la reconstitution d’un message quand il en manque un morceau.
Quels conseils donnez-vous pour les aider ?
Il y a des techniques pour les aider. Quand je parle à une personne âgée, je ne parle pas trop vite et je fais des pauses pour que le cerveau ait le temps, pour qu’il ait un petit espace de travail pour pouvoir reconstituer ce qui manquait.
Mais il faut aussi absolument que les personnes soient appareillées. Heureusement, le 100 % santé arrive : à partir de janvier 2021, pour les assurés qui ont besoin d’aides auditives, il sera possible de s’en procurer sans reste à charge.
Et, autre point important pour répondre au problème du masque, il faut savoir qu’il est possible d’ajuster les réglages des aides auditives. Par exemple, pour quelqu’un qui serait capable de manipuler un petit bouton, on peut faire deux programmes : un programme de base, et un programme spécifique pour la compréhension avec le masque, en remontant justement un peu plus toutes ces fréquences qui vont manquer à cause de lui. Ce programme spécifique pourrait même devenir le programme de base pour une personne qui ne pourrait pas le manipuler mais dont on sait qu’elle va passer la majeure partie du temps à discuter avec quelqu’un qui a un masque, ce qui est le cas en ce moment pour les personnes âgées.
C’est ce que propose Oticon. À la base, ces technologies étaient prévues pour augmenter les voix faibles, quand on chuchote ou quand on parle d’un petit peu loin. Finalement le masque a les mêmes effets, donc ces technologies y sont adaptées.
Et ces réglages peuvent désormais se faire à distance ?
Oui, Oticon a mis en place un système de consultation à distance. Il est arrivé au moment du premier confinement, par pure coïncidence !
Par l’intermédiaire d’un téléphone portable, l’audioprothésiste a la possibilité de prendre la main à distance sur les réglages de l’appareil et de les modifier. Il fixe d’abord un rendez-vous au malentendant pour que tous les deux soient connectés en même temps. Pour cela, il faut installer dans le téléphone de l’utilisateur une petite application qui s’appelle RemoteCare. Celle-ci va connecter les appareils au smartphone. L’audioprothésiste saisit l’adresse mail qui correspond au compte de l’utilisateur et se connecte à cette personne.
Une précision très importante : il y a un système de vidéo, donc le patient et l’audioprothésiste se voient. On ne veut absolument pas que ce genre de système remplace l’humain. Ce contact humain, c’est ce qui nous manque le plus en cette période de crise sanitaire.
Est-ce qu’on n’utilisera moins les consultations à distance dès que la situation sanitaire le permettra ?
On va continuer à utiliser les deux. Il est nécessaire que le malentendant se déplace dans un centre d’audioprothèse pour faire l’entretien régulier de ses aides auditives, pour faire un certain nombre de tests qui ne sont pas possibles à distance, ou pour lui apprendre à mettre ses aides auditives. L’humain ne doit pas être remplacé.
Mais la consultation à distance restera très utile pour les personnes qui ne peuvent pas se déplacer toutes seules, et pas seulement dans cette situation. En effet, en développant ce système, on pensait au départ à ceux qui disaient : « Ça se passe bien avec mon appareil, mais quand je suis dans telle situation, par exemple quand je suis à la maison avec la hotte de la cuisine qui est en marche, ça me gêne. »
Jusqu’à présent, comment ça se passait ? La personne venait, l’audioprothésiste essayait d’imaginer quel était le niveau sonore correspondant de la hotte, sa fréquence, et il faisait un réglage. La personne repartait chez elle, puis elle revenait 7-8 jours après en disant : « C’est un peu mieux mais… ». Et donc il pouvait y avoir plusieurs allers-retours.
Avec ce nouveau système de consultation à distance, la personne s’installe dans sa cuisine et met sa hotte en route. L’audioprothésiste fait un réglage et l’ajuste en direct très rapidement.
Les personnes âgées ne sont-elles pas réticentes à utiliser ce type de nouvelles technologies ?
Vous m’auriez posé la question il y a un an, je vous aurais répondu oui, très certainement. Mais les conditions sanitaires qu’on a connues cette année ont fait changer les choses.
Je prends un exemple personnel. Ma belle-mère est très âgée, et pour lui permettre de discuter avec un de mes fils qui est à l’autre bout du monde, ma femme est allée la voir pour faire un appel vidéo. La réticence ou la peur ont été atténuées par l’émotion de pouvoir voir son petit-fils à l’autre bout du monde. Ainsi, depuis le confinement, pour beaucoup de personnes âgées, cet usage des technologies fait partie de la vie.
Une assistance reste généralement nécessaire, quand même ?
Un senior de 70 ans, aujourd’hui, a un smartphone et sait globalement se servir des différentes applications. Bien sûr, pour la génération précédente, il faudra une aide extérieure mais ce n’est pas une technologie compliquée.
Dans un Ehpad, on pourrait imaginer avoir un téléphone qui puisse servir à cela, avec l’aide d’une aide-soignante ou de la famille, quand elle vient en visite.
Une dernière précision ! Le réglage à distance est disponible sur tous les produits, quel que soit leur niveau technologique. C’est donc le cas pour les produits de classe 1, qui vont être pris en charge intégralement au 1er janvier prochain.