Pour mieux anticiper
Faire en sorte que les équipes se connaissent et partagent leurs connaissances comme leurs difficultés pour éviter les incompréhensions entre professionnels et fluidifier le parcours des personnes âgées de l’Ehpad vers l’hôpital ou de l’hôpital vers l’Ehpad : tel sont les objectifs des coopérations entre structures sanitaires et structures médico-sociales. Comment coopérer au mieux ? Éléments de réponse.
Dossier réalisé par Nathalie Ratel
« La coopération entre professionnels des Ehpad et des hôpitaux, insiste Pascal Champvert, président de l’AD-PA, est fondamentale pour les personnes âgées car lorsque les professionnels s’organisent en amont des situations de crise, ils évitent les conflits ou les incompréhensions qui peuvent survenir entre deux équipes travaillant dans deux structures différentes. Ils permettent aux seniors d’être là où il est utile qu’ils soient. » Que ce soit dans la chambre de leur résidence ou dans le service hospitalier approprié.
Pour atteindre cet objectif, tous les outils sont utiles : la coopération via les Groupements de coopération sanitaire (GCS), les Centres locaux d’information et de coordination (Clic), les dispositifs Maia (Maison pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer) ou encore, les pôles gérontologiques d’excellence (lire interview de Pascale Marron-Virard).
Autre solution : les conventions de coopération bilatérales entre hôpitaux et Ehpad, à l’exemple de celles signées en juillet 2012 entre la direction du pôle Psychiatrie addictologie du centre hospitalier de Morlaix (Finistère) et les directions de dix Ehpad voisins.
Celles-ci garantissent l’intervention régulière de spécialistes hospitaliers au sein des Ehpad, c’est-à-dire des visites individuelles aux résidents et des soutiens aux soignants des maisons de retraite afin d’éviter les déplacements intempestifs des personnes âgées et, a fortiori, leur hospitalisation. Elles incluent également un volet information et prévention, et prévoient des réunions entre les différentes équipes sur des thématiques précises comme la prévention du suicide, l’alcool ou la violence. Sachant que le coût de ces opérations est supporté par l’hôpital.
Coopérations à la carte
De multiples coopérations sont susceptibles d’être mises en place. « Tout dépend des services proposés par l’hôpital », explique le Dr Didier Armaingaud, directeur médical et qualité au sein du groupe Médica.
Ces conventions peuvent être liées au parcours des personnes âgées entre les Ehpad et les services d’urgences de l’hôpital. Elles peuvent être étendues à la mise à disposition de lits pour accueillir les personnes âgées dans des conditions définies en amont au sein d’un service de gériatrie ou de soins de suite hospitalier, par exemple.
« Lorsque les hôpitaux disposent d’équipes mobiles de soins gériatriques ou de soins palliatifs, les conventions de coopération peuvent prévoir que celles-ci se déplacent en Ehpad pour participer à des réunions de formation ou d’information, voire donner des avis sur les cas un peu complexes », ajoute le Dr Didier Armaingaud. Une aide technique qui s’avère précieuse lorsque les résidents souffrent de polypathologies ou arrivent en fin de vie.
Car, selon le directeur médical de Médica, « même si les équipes soignantes en Ehpad sont formées au traitement de la douleur ainsi qu’à la mise en place de soins palliatifs ou de soins terminaux, des questions peuvent toujours survenir » et « cela rassure les soignants, les résidents et les familles » de savoir que les soins appropriés sont apportés à la personne âgée sans que celle-ci ait été perturbée par un transfert à l’hôpital.
Des ARS favorables
Lorsque les déplacements des hospitaliers vers les Ehpad sont impossibles, des liens peuvent se nouer par téléphone pour des conseils ou des avis en matière de protocoles thérapeutiques à suivre, y compris dans les domaines psychiatrique ou cardiaque, si la convention de coopération a intégré ces cas de figure.
Et de fait, à l’heure actuelle, la quasi-totalité des établissements du groupe Médica coopèrent avec un hôpital ou une clinique et de nombreux autres ont œuvré en ce sens. Certains choisissent de collaborer avec un hôpital disposant d’une Pharmacie à usage intérieur (PUI) ou d’Équipes opérationnelles d’hygiène (EOH) afin de développer les connaissances de leurs médecins coordonnateurs et de leurs infirmières en matière de prévention du risque infectieux.
Des démarches encouragées depuis quelques années par les Agences régionales de santé et la Haute autorité de santé qui insistent auprès des Ehpad et des centres hospitaliers pour nouer des liens privilégiés et décloisonner les secteurs sanitaire et médico-social.
Les régions expérimentent les parcours de santé des seniorsReprenant les termes de l’article 70 de la Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012, l’article 48 de la LFSS pour 2013 précise que « des expérimentations peuvent être menées, à compter du 1er janvier 2013 et pour une durée n’excédant pas cinq ans », dans le cadre de « projets pilotes mettant en œuvre de nouveaux modes d’organisation des soins destinés à optimiser le parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d’autonomie ». Elles sont mises en œuvre par le biais de « conventions signées entre les Agences régionales de santé (ARS), les organismes locaux d’Assurance maladie, les professionnels de santé, les établissements de santé, les établissements sociaux et médico-sociaux, les collectivités territoriales volontaires ainsi que, le cas échéant, des organismes complémentaires d’Assurance maladie ». |
Parlons beaucoup, coopérons bien
Une convention de coopération, il convient de la vivre et de la faire vivre. Pour cela, les professionnels doivent se connaître, se parler et trouver des solutions ensemble en cas de dysfonctionnements.
La convention précise les conditions dans lesquelles se déroule la coopération. Certaines Agences régionales de santé (ARS) proposent d’ailleurs des conventions types de collaboration pour les maisons de retraite et les établissements de soins souhaitant formaliser leur partenariat. Or, « pour qu’une convention de coopération ne se réduise pas à une feuille de papier portant l’en-tête de deux établissements, il faut que les directeurs de ces établissements s’engagent et surtout, que les médecins se connaissent », rappelle Anne-Claire Thury, présidente de l’Association de médecins coordonnateurs du Rhône (AMC 69). Les trois Ehpad privés à but non lucratif dans lesquels elle intervient, situés à Lyon et à proximité de la Cité des Gones, coopèrent avec des hôpitaux gériatriques (court séjour, SSR et hôpitaux de jour). Selon elle, des réunions doivent être organisées au moins une fois par an pour faire le point sur ce qui fonctionne bien ou moins dans le cadre de la collaboration et pour trouver des solutions afin de mieux travailler ensemble. Celles-ci doivent avoir lieu en présence des médecins coordonnateurs et des infirmières coordonnatrices « même, si en pratique, ce n’est pas facile à organiser », faute de pouvoir toujours combiner les emplois du temps de chacun ou, tout simplement, faute de temps.
Se connaître
En dehors de ces réunions, pour faire vivre la coopération, « il faut aller à la rencontre de ses confrères dans leur service respectif si cela est possible en termes de temps » ou avoir l’occasion de discuter avec eux par téléphone, explique Anne-Claire Thury. Chacun ayant son rôle à jouer, sur le plan médical ou le plan administratif, les médecins coordonnateurs doivent connaître et se faire connaître des chefs de pôle des services hospitaliers concernés par la prise en charge des personnes âgées. De leur côté, les directeurs d’Ehpad doivent se rapprocher des directeurs d’hôpitaux ou de cliniques. Et ce, sachant que certains contacts se nouent aussi lors de congrès médicaux ou de rencontres organisées par les acteurs publics tels que les ARS, l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) ou encore les Centres de coordination de la lutte contre les infections nosocomiales (CCLIN).
Nommer un référent ?
Dans les structures importantes, un référent peut avoir pour mission de faire le lien entre les établissements partenaires. Le Centre communal d’action sociale (CCAS) de Saint-Etienne, qui gère dix Ehpad, a ainsi recruté une coordonnatrice générale des soins chargée d’assurer les relations entre les dix maisons de retraite et le Centre hospitalier universitaire (CHU) de la ville avec lequel le CCAS a signé quatre conventions (voir l’interview de Pascale Marron-Virard). De son côté, le Centre hospitalier François Tosquelles, situé à Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère), a désigné des référents pour chaque convention signée avec un Ehpad afin d’en assurer le suivi : en l’occurrence, un cadre de santé et un infirmier du service concerné.
Être honnête
« La qualité de la coopération tient aussi à la manière de travailler de chacun », rappelle Anne-Claire Thury. Cela passe, par exemple, par le respect et la compréhension des contraintes auxquelles sont soumises les différentes équipes. En outre, les Ehpad doivent s’engager à réaccueillir leurs résidents hospitalisés dès lors que leur retour en maison de retraite est médicalement possible. En revanche, lorsqu’une place en Ehpad se libère, les hôpitaux doivent accepter l’idée que, malgré l’existence d’une convention de coopération, les Ehpad peuvent se réserver le droit de ne pas accueillir un patient hospitalisé pour donner la priorité à une autre personne âgée.
Élargir ses collaborations
« Grâce à ces collaborations, il est assez facile de joindre un médecin gériatre, voire un cardiologue, car un numéro de téléphone portable est souvent mis en place pour faciliter les échanges entre professionnels amenés à prendre en charge un grand nombre de seniors, analyse Nathalie Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad (FFAMCO). Il est en revanche plus compliqué de contacter un chirurgien puisqu’il soigne autant de personnes jeunes que de personnes âgées. » D’où l’idée de pousser la coopération jusqu’à la création de lits gériatriques, toutes spécialités confondues, pour améliorer les relations entre hôpitaux et Ehpad.
Et au-delà de l’hôpital ? Le fonctionnement en réseau ne doit pas s’arrêter aux frontières de l’hôpital ou de la clinique, selon Pascal Champvert. Qui suggère ainsi de se rapprocher de tous les services pouvant entrer dans la boucle pour une prise en charge optimale des personnes âgées : structures d’Hospitalisation à domicile (HAD), Service de soins infirmiers à domicile (SSIAD) etc.
Quel travail avec les urgentistes ?Éviter le recours aux services d’urgences, souvent éprouvants pour les personnes âgées, d’autant plus qu’elles ne sont pas systématiquement prioritaires, est le principal cheval de bataille de Nathalie Maubourguet, présidente de la Fédération française des associations de médecins coordonnateurs en Ehpad (FFAMCO). Il est important, selon elle, de ne pas oublier de collaborer avec les urgentistes, maillons importants de la chaîne, mais qui ne connaissent pas nécessairement l’existence des conventions de coopération signées entre les Ehpad et les hôpitaux et qui sont débordés. |
« Un quartier de Saint-Etienne sera réaménagé pour devenir une cité de l’Autonomie »
Pascale Marron-Virard, adjointe au maire de Saint-Étienne en charge des personnes âgées, mise sur la mutualisation des moyens entre les secteurs sanitaire et médico-social. Dans sa ville, où un Pôle gérontologique d’excellence est en train d’être construit depuis septembre 2012, quatre conventions lient le Centre hospitalier universitaire (CHU) et les dix Ehpad gérés par le Centre communal d’action sociale (CCAS).
Que prévoient ces conventions ?
Elles ont été signées en 2010. La première évite aux résidents des Ehpad de passer par les services d’urgences, souvent traumatisants, et leur assure une admission directe en gériatrie. En outre, le personnel des Ehpad peut, à tout moment, demander des conseils médicaux aux équipes mobiles gériatriques du CHU. Grâce à la deuxième convention, les Ehpad ont la possibilité de faire appel au service de gériatrie pour solliciter un avis ou une évaluation en urgence de l’état de santé de leurs nouveaux résidents lorsque ces derniers n’ont pas été l’objet d’une évaluation pointue de leur degré de perte d’autonomie. Enfin, deux coopérations ont été mises en place respectivement avec le service psychiatrique du CHU et une équipe mobile de soins palliatifs, dépendant du CHU, cette dernière se déplaçant en Ehpad pour conseiller et assister les soignants mais aussi soutenir les familles.
Sont-elles efficaces ?
Je suis toujours satisfaite quand je vois que les choses avancent, ce qui est le cas depuis deux ans. Les conventions sont régulièrement réévaluées. Les équipes créent des liens et, au besoin, échangent sur leurs difficultés pour trouver des solutions. Les assistantes sociales des Ehpad et du CHU se sont ainsi récemment réunies pour ajuster l’organisation du transfert de patients démunis vers leur future maison de retraite médicalisée. En outre, une coordonnatrice générale coordonnent les soins dispensés au sein des dix Ehpad et gère les relations avec le CHU.
Quelles coopérations envisagez-vous à l’avenir ?
La coordinatrice générale travaille à l’élaboration d’une coopération sur le volet ophtalmologique afin de limiter au maximum les déplacements des résidents. Cette coopération se fera peut-être avec l’hôpital ou peut-être avec une association comme celle qui existe avec l’Union française pour la santé bucco dentaire (UFSBD) en matière bucco-dentaire.
Qu’apportera la création du Pôle gérontologique d’excellence ?
L’objectif est de coordonner les acteurs du secteur pour améliorer la prise en charge des personnes âgées et simplifier leur entrée en maison de retraite. La Ville et le CHU de Saint-Étienne, la Mutualité française Loire et la Caisse autonome nationale de la Sécurité sociale dans les mines (CANSSM) se sont ainsi associés autour des problématiques liées à la gérontologie pour créer un pôle de recherche et d’innovation, développer la formation entre professionnels et entre aidants, réfléchir à des outils de prévention, améliorer les structures existantes et renforcer les réseaux entre la ville, l’hôpital, les Ehpad et les associations. Des structures de maintien à domicile, des universités, des associations ou encore des pôles de technologie médicale envisagent de prendre part au projet dont les grandes lignes seront précisées dans le courant de l’année. Une chose est sûre : un quartier de la ville sera réaménagé pour devenir une cité de l’Autonomie, avec la création d’un Ehpad et le regroupement de services liés à la dépendance tels que les services hospitaliers de gérontologie et de rééducation fonctionnelle.