L’impact de l’alimentation sur la santé des personnes âgées est bien connu. Cependant, tous les Ehpad n’ont pas encore mis en place les actions nécessaires, en particulier en recourant à des diététiciens. Des professionnels qui permettent de personnaliser l’alimentation et d’en faire l’un des éléments du soin.
L’alimentation des personnes âgées, atteintes ou pas de pathologies, doit faire l’objet d’une attention particulière car, faut-il le rappeler, un bon état nutritionnel influe sur leur santé. D’autant qu’elles sont exposées au risque de dénutrition et de déshydratation. Avec l’âge, les sensations de faim et de soif s’émoussent. Or, en la matière, il reste cependant beaucoup à faire. Pour la Haute autorité de santé, qui évalue entre 15 à 38 % les cas de dénutrition en institution, la dénutrition est un risque insuffisamment repéré et prévenu. Aujourd’hui, seule une poignée d’Ehpad font appel à une diététicienne-nutritionniste pour la restauration des résidents.
« L’alimentation, un champ très important de l’accompagnement du résident »
Certes, les établissements ou leurs prestataires élaborent des menus équilibrés conformes aux recommandations du Programme national nutrition santé. Mais est-ce suffisant ? Pas pour Florence Rossi-Pacini, diététicienne nutritionniste et responsable des unités de diététique au sein de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille : « Aujourd’hui, l’alimentation dans les Ehpad n’est pas considérée à sa juste place. Les évaluations des besoins nutritionnels des résidents sont faites de façon minimaliste. » Cette diététicienne, membre actif de l’Association française des diététiciens-nutritionnistes (AFDN), ne mâche pas ses mots. Et, selon elle, les professionnels de la nutrition sont essentiels en Ehpad pour assurer un ensemble d’évaluations lors de chaque admission de résident : état nutritionnel, état dentaire et capacité masticatoire, capacité à déglutir, état de la cavité buccale… : « Il n’y a rien de mieux qu’un expert qui dit ce que la personne âgée peut et doit consommer comme aliments. Il peut donner les consignes adéquates pour chaque individu et aussi enrichir son alimentation. »
Évaluer et suivre les besoins alimentaires des résidents : une problématique à laquelle est également très attentive Marianne Simon, Directrice de l’Ehpad Bodin Grandmaison à Faye L’Abbesse (Deux-Sèvres). Cet établissement public hospitalier emploie à temps partiel (deux à trois jours par semaine) une diététicienne qui s’occupe notamment des menus et du suivi nutritionnel : pesée, contrôle du taux d’albumine (un marqueur de la dénutrition quand il est bas, N.D.L.R.) ou encore demande de prescription de compléments nutritionnels oraux au médecin traitant. Pour la Directrice de l’Ehpad, il n’y a aucun doute, « les diététiciennes nutritionnistes sont très utiles car l’alimentation est un champ très important de l’accompagnement du résident. Une personne dénutrie s’affaiblit très rapidement. S’en suit généralement un cercle vicieux avec l’alourdissement de la charge en soins et l’aggravation de son état de santé général ».
Redonner l’envie de manger
La prévention de la dénutrition est une chose, le plaisir en est une autre. Et là aussi, le diététicien a un rôle à jouer : « Manger est un plaisir, l’un des seuls qui restent parfois à nos résidents,acquièsce Marianne Simon. On doit leur apporter une alimentation en accord avec leurs besoins et leurs envies. » Une recommandation qu’elle met en pratique puisque sa diététicienne s’attache à « recenser les non-goûts des résidents ». Et, en la matière, il y a du pain sur la planche. Une enquête du CLCV, une association de défense des consommateurs1, a relevé toutes une série d’insatisfactions relatives aux repas servis en maison de retraite : trop de menus uniques, réchauffage de plats inadapté, assaisonnement insuffisant, viande trop dure et souvent cuisinée en sauce…
Que l’on approuve ou non ces conclusions, elles soulignent que la perte d’appétit est autant le fruit du contenu de l’assiette que de sa présentation. « Il faut stimuler la faim des résidents en leur donnant l’envie et le plaisir de manger », insiste Florence Rossi-Pacini. Pour agrémenter le temps du repas, plusieurs recettes sont possibles : miser sur la créativité des menus ; varier les textures des plats (trop souvent mixés) ; travailler sur la présentation, les couleurs, les odeurs ; innover avec, par exemple ,des préparations à partager etc. Des ateliers culinaires peuvent également être mis en place. C’est le cas à l’Ehpad Bodin-Grandmaison où la diététicienne coordonne des projets comme le « picoré-savouré ». « Il s’agit d’une alimentation consommable avec les mains et adaptée aux personnes souffrant de troubles cognitifs et/ou de troubles physiques (problèmes de vue, troubles de la déglutition) », explique Marianne Simon.
L’apport des diététiciens aux sein des Ehpad est donc incontestable. Mais les services d’une diététicienne ont un coût potentiellement dissuasif. Marianne Simon en convient : « La personnalisation de l’alimentation dans les Ehpad a des limites ». Et, pour Florence Rossi-Pacini, si la question financière n’est certes pas négligeable, elle ne doit pas être insurmontable : « Bien sûr, une vacation d’une diététicienne a un coût mais le bénéfice que l’on en tire est supérieur. Et la nourriture gaspillée, car inadaptée, a elle aussi un coût. Si on juge que c’est un point crucial, on y met le prix. Tant que l’alimentation ne sera pas considérée comme un soin, on sera toujours confronté à cette problématique ».
Emilie Cailleau
Une collaboration à organiser
Sur le terrain, l’intervention d’un diététicien peut bouleverser l’organisation, constituer une « source d’inquiétude » et froisser les professionnels en place. Mais les difficultés peuvent être résolues très rapidement. « La diététicienne intervient dans un champ très spécialisé auquel les autres acteurs ne sont pas formés. Ses connaissances et son apport sont donc vite appréciés », rassure Marianne Simon, Directrice de l’Ehpad Bodin Grandmaison à Faye L’Abbesse (Deux-Sèvres).
De son côté, Florence Rossi-Pacini, diététicienne nutritionniste et responsable des unités de diététique au sein de l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille, suggère un travail collégial, lequel passe par une « réunion concertée avec le personnel de restauration, notamment le chef de cuisine, le médecin et la direction de l’établissement pour voir ce que l’on peut réaliser sans tout chambouler en tenant compte des contraintes, des ustensiles à disposition et des moyens humains ».