Aussi étoffé soit-il, le matériel de traitement des escarres ne se suffit aucunement à lui-même. Au contraire, il n’est véritablement efficient que lorsqu’il vient compléter l’examen clinique et l’acte médical des professionnels de santé. Les uns et les autres sont ici plus que jamais indissociables.
« L’escarre est une lésion cutanée d’origine ischémique liée à une compression des tissus mous entre un plan dur et les saillies osseuses (définition établie en 1989 par le National pressure ulcer advisory panel). L’escarre est également décrite comme une « plaie » de dedans en dehors de forme conique à base profonde d’origine multifactorielle (…). Le rôle de la pression et de la perte de mobilité est prédominant. Cette notion souligne le fait que l’escarre vient de l’intérieur et qu’une partie des lésions n’est pas visible. » Cette définition, établie en 2001 par l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (Anaes) lors de la Conférence de consensus intitulée « Prévention et traitement des escarres de l’adulte et du sujet âgé », rappelle que l’escarre est une plaie unique en son genre. L’une de ses caractéristiques est de mobiliser un matériel important et très diversifié tant en amont de sa survenance, justement pour la prévenir, qu’une fois que l’escarre s’est déclarée pour alors la guérir.
Mais il est bien entendu que la logistique n’a jamais vocation, à quelque étape que ce soit, à se substituer à la main du professionnel de santé qui soigne l’escarre, en particulier en établissement. Elle n’en est que le prolongement. C’est précisément l’association des deux qui confère au dispositif toute son efficience et permet d’éviter qu’à son stade ultime (lire encadré ci-après), l’escarre ne devienne incurable et ne débouche sur une amputation voire le décès du résident qui en est atteint. De même, l’emploi le plus adapté d’un Sapte (Support d’aide à la prévention et au traitement des escarres) nécessite, outre l’indispensable examen clinique, de procéder en amont à une évaluation du risque d’escarre en utilisant pour cela une échelle multicritère, comme l’échelle de Braden ou l’échelle de Norton, dont la pertinence est reconnue par les professionnels. Elles constituent en effet une aide précieuse à la décision.
Une maladie chronique invalidante et coûteuse
Une fois admis ces postulats, il n’en reste pas moins que la panoplie des accessoires permettant d’anticiper et de traiter les escarres s’avère aussi efficace qu’indispensable. Les Sapte se déclinent sous forme de coussins d’assise, de matelas et de surmatelas mais aussi de divers accessoires d’aide au positionnement (talonnière…) qui répartissent, soulagent et modulent la pression qui entrave voire empêche l’oxygénation des tissus de certaines zones de l’organisme. Par leurs propriétés et leur finalité, les Sapte ont à la fois une fonction préventive mais aussi curative et doivent donc être employés à cette double fin.
On distingue tout d’abord les supports dits statiques (par exemple, les matelas à air, à eau, de mousse de densité uniforme ou de densités différentes avec ou sans découpe en plots) qui étalent la pression générée par le poids de la personne en augmentant, à certains endroits, la surface sur laquelle repose une partie de l’organisme lorsque le résident est allongé ou assis. En outre, les forces de cisaillement sont en quelque sorte lissées et donc leurs effets en grande partie jugulés.
Les supports dynamiques sont, eux, en perpétuel mouvement, ce qui a pour effet de déplacer les zones de pression pour soulager alternativement les différentes parties du corps les plus exposées.
L’une des particularités de cette catégorie de DM est que leur essor et leurs progrès, qui datent de la fin des années soixante-dix, sont somme toute assez récents. Une éclosion tardive, comparée à celle de bien d’autres pans de la médecine, mais qui traduit surtout une évolution des mentalités : depuis trois décennies, les escarres ne sont plus considérées comme une pathologie associée inéluctable mais, au contraire, comme une maladie chronique invalidante et coûteuse qu’il est possible de prévenir et de juguler avant que ses conséquences ne deviennent irrémédiables. L’amélioration et la diversification des Sapte sont aussi le fruit d’une connaissance plus précise des escarres, en particulier de leurs caractéristiques, de leur typologie et des facteurs de risque (incontinence, macération etc.). Une théorisation, elle aussi tardive, qui a permis, à la fin du XXe siècle, d’adapter, d’affiner et de diversifier la conception et la fabrication des Sapte afin de répondre au mieux aux spécificités des escarres. Sans compter les effet de l’évolution démographique de la population : l’augmentation constante du nombre de personnes dépendantes sujettes aux escarres a eu pour effet d’accélérer la recherche développement afin de tendre vers une personnalisation croissante des Sapte et une baisse de la prévalence des escarres en établissements tant sanitaires que médico- sociaux.
Ce que disent les chiffres
La prégnance des escarres n’est pas inquiétante mais elle est loin d’être anodine, comme en atteste une « Étude de la prévalence des escarres en Ehpad en Bretagne » menée en 2013 par des praticiens du Centre hospitalier de Saint-Malo, du Pôle de médecine physique et de réadaptation Saint-Hélier de Rennes et de l’Ehpad Les Champs bleus en Ille-et-Vilaine. Cette enquête porte sur 174 Ehpad regroupant au total 14 960 résidents dont la moyenne d’âge était de 85,6 ans, 58 % étant incontinents.
• La prévalence des escarres dans l’ensemble des établissements était de 5,73 % (858 escarres déclarées ; 40,7 % au stade 1, 29 % au stade 2, 30,3 % aux stades 3 et 4).
• 42,1 % des escarres concernaient le talon, 42,3 % le sacrum et 2,5% les ischions.
• Paradoxalement, plus le GMP (Girr moyen pondéré) de l’établissement est élevé, moins les personnels sont formés à la prise en charge des escarres, en particulier à un stade avancé : ainsi, 12,6 % des infirmiers sont formés dans les établissements dont le GPM est inférieur à 600 et seulement 4 % dans ceux où le GMP est supérieur à 800 (respectivement 7,20 % et 4 % pour les aides-soignants)
• 57,2 % des Ehpad utilisaient une échelle de risque (Norton, Braden etc.) et 74,5 % suivaient l’évolution ou la PRC (Protéine C-réactive, laquelle sert de marqueur biologique du degré des réactions inflammatoires) des escarres sur un logiciel.
• 44 % de matelas utilisés étaient à mémoire de forme, 21 % étaient des matelas classiques, 18 % des matelas à plots et 15 % des matelas à air.
Une brève histoire du progrès
L’innovation est parfois une succession de hasards heureux. Dans les années soixante-dix, la Nasa se mit à plancher sur le meilleur moyen d’adoucir la pression maximale qui pesait sur les astronautes lors du décollage des fusées. Elle eut l’idée de leur fabriquer des équipements de protection conçus dans un matériau censé épouser les formes de leur corps et ainsi disséminer la pression qu’ils subissaient sur une surface plus importante. La mémoire de forme était née. Cependant, le procédé ne répondit pas pleinement aux exigences de l’agence spatiale américaine, laquelle vendit le brevet à un industriel suédois qui le développa à d’autres fins, en particulier la prévention et le soin des escarres.
Si bien que dans les années quatre-vingt-dix, l’apparition de la mousse viscoélastique ou mousse à mémoire de forme s’avéra, en la matière, décisive. Elle présente en effet trois atouts décisifs : elle s’adapte parfaitement à la morphologie de la personne, permet des positionnements optimaux tout en préservant le confort tandis que son coût demeure raisonnable. Néanmoins, avant cette avancée cruciale, les matelas gaufriers firent office de précurseurs au début des années quatre-vingt. Ils furent les premiers dispositifs médicaux expressément dédiés au traitement des escarres. Ils sont encore utilisés aujourd’hui pour la prévention des escarres lorsque le risque de survenue est faible.
Capteurs, compresseurs et composants électroniques
Après la mousse, l’air vint remplir les matelas à partir de 1993. Rapidement, ces derniers furent dotés de capteurs de pression dont la fonction est double : mesurer les zones où le poids du corps s’exerce le plus fortement mais aussi moduler (parfois de manière alternative) la pression en divers points du matelas afin d’en faire un soutien dynamique et non plus statique. Si bien que les matelas furent équipés de compresseurs et de composants électroniques qui en démultiplièrent les fonctionnalités toujours dans un souci d’individualisation maximale au regard des caractéristiques pathologiques et du niveau de mobilité de leurs utilisateurs. Sans compter des coutures quelque peu poreuses pour laisser délibérément échapper un peu d’air afin de ventiler les zones de contact et d’éviter ainsi que la peau ne macère. Aujourd’hui, les matelas dits à perte d’air mesurable sont actionnés par un moteur qui, par ventilation permanente, remplace justement la perte d’air à travers les coutures ou les micro-perforations, favorisant par là-même une forme d’aérosuspension du patient.
Les lits ont également été à l’unisson en devenant polyarticulés et donc plus ergonomiques, diminuant du même coup les zones de friction voire de cisaillement. Les coussins ont eux aussi acquis un degré de technicité appréciable et suivi la même évolution que les matelas. D’abord en mousse, ils sont ensuite été remplis d’air et compartimentés en plusieurs parties individuellement déformables. Puis des modèles en gel, en mousse viscoélastique et enfin, muticouches sont apparus, le fin du fin étant les coussins appareillés électroniquement pour pouvoir régler la pression zone par zone.