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Fin de vie en Ehpad : s’y préparer pour mieux accompagner Dossiers

 

Le 18 décembre, le Pr Didier Sicard, ancien Président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), rendait public le fruit du travail de la mission de réflexion sur la fin de vie que lui avait confiée François Hollande, le 17 juillet dernier. L’occasion d’effectuer une série de consultations dans toute la France et de braquer les projecteurs sur ces enjeux. Des enjeux bien présents dans les Ehpad qui sont concernés au premier chef par cette ultime étape de la prise en charge des résidents. Avec un mot d’ordre : s’y préparer pour mieux accompagner.

Dossier réalisé par Nathalie Ratel

« Les principaux enjeux sont d’accompagner les personnes âgées jusqu’à leurs derniers jours avec toute la bienveillance possible et d’éviter au maximum, lorsqu’elles sont le plus en difficulté, de les transférer à l’hôpital. »

Apaiser les douleurs, calmer les angoisses… « Quel que soit le lieu de la toute fin de vie et du décès des résidents d’Ehpad, l’accompagnement de la fin de vie et les soins palliatifs dans leur conception large font partie du projet d’accompagnement global de la personne de l’Ehpad », rappelle l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm), dans les recommandations de bonnes pratiques qu’elle a publiées et qui sont intitulées « L’accompagnement personnalisé de la santé du résident ».

L’âge moyen des seniors entrant en institution avoisine en effet 83 ans, selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), et ceux-ci souffrent, pour la plupart, de polypathologies. Pour le Dr Didier Armaingaud, médecin gériatre et directeur médical et qualité au sein du groupe Medica, « les principaux enjeux sont d’accompagner les personnes âgées jusqu’à leurs derniers jours avec toute la bienveillance possible et d’éviter au maximum, lorsqu’elles sont le plus en difficulté, de les transférer à l’hôpital, dans un lieu et avec des aidants professionnels qu’elles ne connaissent pas. » Un point sur lequel tous les responsables d’Ehpad s’accordent.

Éviter les urgences

Sur les 545 000 décès recensés en France en 2010, 140 000 ont concerné des résidents d’Ehpad, selon les chiffres du Comité national de suivi du développement des soins palliatifs. 90 000 ont eu lieu en établissement, les autres à l’hôpital à la suite d’un transfert. Le manque de personnel de nuit, capable d’effectuer certains gestes techniques ne nécessitant pas nécessairement d’hospitalisation, amplifie en partie les statistiques. Toutefois, la mise en place d’un projet de soins et d’un projet de vie pour chaque résident, élaborés en accord avec le personnel de l’établissement, le résident et sa famille, et régulièrement réévalués, permet de limiter les urgences imprévues.

« Au sein de Medica, la tendance est à la baisse des hospitalisations et à l’augmentation du nombre de décès au sein de nos établissements », assure le Dr Didier Armaingaud. Ce critère a pesé pour permettre au groupe d’obtenir la certification NF Service garantissant la qualité de soins et la qualité́ de vie au sein de ses établissements. Ce résultat a été obtenu grâce « à l’amélioration des pratiques professionnelles, de l’accompagnement des résidents et des familles ainsi que des formations proposées aux équipes sur l’accompagnement en fin de vie ou sur la bientraitance, par exemple », détaille le directeur médical.

Soins palliatifs et textes de lois

Pour Sylvie Teissier, médecin coordonnateur au sein du groupe Orpéa, la formation du personnel chargé des soins, de l’animation voire de la restauration est « l’une des clés d’une prise en charge réussie ». Elle facilite la communication verbale et non verbale avec les résidents et leurs proches, le signalement de symptômes divers (douleurs, escarres…) ou encore l’adaptation du contenu et des heures des repas. Elle permet également de mieux connaître les protocoles en matière de soins palliatifs mais aussi de mieux saisir le contenu de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. Les dispositions de cette dernière sont « encore assez peu connues » des patients et des personnels soignants, juge Sylvie Teissier.

 

Ce que dit la loi Leonetti

Parfois méconnue, la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite loi Leonetti, rappelle qu’il est interdit de donner délibérément la mort à autrui, prohibant ainsi l’euthanasie. Elle permet également d’éviter « l’obstination déraisonnable », c’est-à-dire les actes « inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ».

Si le patient est en état d’exprimer sa volonté, c’est à lui d’apprécier le caractère déraisonnable des soins qui lui sont proposés et, éventuellement, de refuser le traitement. Sinon, c’est au médecin de prendre la décision après avoir recherché quelle pouvait être la volonté du patient (existence de  directives anticipées, consultation des proches) et avoir respecté une procédure collégiale. Lorsque le traitement est arrêté ou limité, le médecin a l’obligation de soulager la douleur du patient.

 


Accompagnement des familles

Au-delà de la douleur des seniors, la douleur des proches

Une prise en charge idéale des résidents en fin de vie implique un accompagnement de leurs proches. Ces derniers « ont besoin d’être soutenus dans leur douleur qu’elle soit d’ordre affectif, psychologique ou spirituel », rappelle l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm).

L’ accompagnement des familles permet à ces dernières de mieux accompagner leur parent âgé lors de ses derniers jours. Elles sont ainsi tenues informées de l’évolution de l’état de santé du résident tout au long de son séjour en Ehpad. Au sein du groupe Korian, elles participent aux réunions de synthèse régulièrement organisées par l’équipe soignante, précise Sylvie Da Costa, responsable pédagogique au sein du groupe. L’occasion pour elles de poser leurs questions, de faire valoir leurs observations, voire de participer aux décisions concernant la prise de traitement ou l’arrêt de traitement pour leur proche en fin de vie.

À l’approche du décès, les proches ont souvent la possibilité de passer plus de temps auprès du résident, par exemple en prenant leurs repas auprès de lui. « Systématiquement, nous proposons aux membres de la famille qui le souhaitent de dormir auprès de leur parent en fin de vie, ajoute le Dr Didier Armaingaud, directeur médical et qualité au sein du groupe Medica. Nous avons, dans nos établissements, soit des chambres, soit des zones réservées aux familles avec, selon les capacités d’accueil, des fauteuils de repos, des canapés-lits ou des lits. »

Soutien psychologique

« Les familles peuvent avoir gratuitement accès à un entretien avec un psychologue de l’établissement, voire à un suivi, assure Sylvie Teissier, médecin coordonnateur au sein du groupe Orpéa. Ils peuvent tout deux avoir lieu avant le décès, puisque la période de fin de vie peut être longue et source d’angoisses, ou après. » Les directeurs d’établissements ou les médecins sont, eux, disponibles pour répondre aux questions administratives (formalités pour les obsèques, l’état civil…) ou médicales.

« Nous sommes dans des métiers basés sur les relations humaines, rappelle le Dr Didier Armaingaud. Nous ne voulons pas que le départ d’un résident se limite à la remise d’une facture et à la restitution d’effets personnels. » Les familles sont ainsi, dans les premiers temps, autorisées à revenir sur l’ancien lieu de vie de leur proche. Celles habituées à venir quotidiennement et souhaitant continuer à le faire sont quant à elles encouragées à mettre leur disponibilité au service d’autres résidents, en tant que bénévoles au sein d’une association. « Nos équipes envoient systématiquement leurs condoléances et essaient de se rendre disponibles pour l’enterrement, poursuit le directeur médical de chez Medica. Certaines proposent aux résidents ayant connu le défunt de se réunir pour trier les photos sur lesquelles ce dernier apparaît, d’en sélectionner une et de l’envoyer à la famille avec un petit mot. »

 

Le rapport Sicard recommande la possibilité d’accélérer la survenue de la mort

François Hollande a reçu, le 18 décembre, le rapport de la commission de réflexion sur la fin de vie, confiée au Professeur Didier Sicard, en juillet dernier. Les auteurs du texte refusent la légalisation de l’euthanasie, c’est-à-dire le droit pour un  médecin d’injecter une substance qui provoquera le décès du patient. Ils suggèrent toutefois certaines pistes puisqu’ils estiment que lorsque la personne malade en fin de vie demande « expressément à interrompre tout traitement susceptible de prolonger sa vie », « il serait cruel de la laisser mourir ou de la laisser vivre sans lui apporter la possibilité d’un geste accompli par un médecin accélérant la survenue de la mort ». « Cette grave décision prise par un médecin engagé en conscience » doit être « éclairée par une discussion collégiale », énonce le rapport. Quant à l’assistance au suicide, c’est-à-dire le cas où le patient absorbe lui-même un produit mortel, elle peut permettre à « certaines personnes atteintes d’une maladie évolutive et incurable au stade terminal » de « disposer d’un recours ultime ».

Suite à ce rapport, le Président de la République a saisi le Comité consultatif national d’éthique afin que celui-ci se prononce sur ces évolutions de la législation. Un projet de loi sera présenté au Parlement en juin prochain.

 


Une affaire d’équipe

La pluridisciplinarité au cœur de la prise en charge de la fin de vie

Coopération et coordination des équipes des Ehpad et, plus largement, du secteur gériatrique, tels sont les maîtres-mots pour proposer une prise en charge optimale des résidents en fin de vie.

« La prise en charge se met en place assez simplement, selon le Dr Didier Armaingaud. Si la personne le décide, en accord avec son équipe soignante et sa famille, nous entrons dans une phase de soins palliatifs et de fin de vie. Et nous recherchons le bien-être et le confort de la personne avant tout. » Hydratation, massages… : des soins de nursing, des soins techniques, voire des soins psychologiques sont mis en œuvre. Pour apaiser les résidents, « beaucoup de nos établissements utilisent des espaces multisensoriels lorsque la situation clinique de la personne le permet, détaille Sylvie Da Costa, responsable pédagogique au sein du groupe Korian. D’autres utilisent la musicothérapie, particulièrement bénéfique. » Dans tous les cas, comme le rappelle Sylvie Teissier, médecin coordonnateur au sein du groupe Orpéa, « les soins sont organisés en fonction de la situation particulière de chaque personne âgée. Si un résident en fin de vie se sent mal le matin, nous décalons l’heure de sa toilette et, pour que celle-ci se fasse sans douleur, nous faisons éventuellement appel à une infirmière en plus de l’aide-soignante. S’il a du mal à manger, nous fractionnons ses repas. » L’adaptabilité des équipes soignantes comme non soignantes est donc indispensable : le personnel du service de restauration doit par exemple pouvoir prendre en compte la modulation des heures de repas des résidents en fin de vie.

Formation continue

Cette adaptabilité, qui va de pair avec une bonne coopération et coordination des équipes, est rendue possible par une formation commune des personnels d’Ehpad, notamment du directeur et des responsables administratifs de l’établissement, des médecins et infirmiers coordonnateurs, des psychologues ou encore des responsables hôteliers, selon le Dr Éric Kariger, médecin gériatre et directeur médical au sein du groupe Maisons de famille. L’objectif : « une base identique de connaissances et de compréhension » au sein des Ehpad. Parmi les solutions éprouvées au sein du groupe et jugées efficaces : un rappel des notions évoquées par les lois sur la fin de vie (l’euthanasie, l’obstination déraisonnable, les soins palliatifs ou les directives anticipées…), des principaux inconforts physiques liés à la fin de vie (nausées, sécheresse de bouche, déshydratation…) ou des manières de soulager la douleur des résidents et des familles.

Ces formations complètent celle sur la bientraitance, pas spécifiquement liée à la fin de vie, ou encore celle sur la gestion du stress et des modes de communication vis-à-vis des résidents, des familles et des collègues. En outre, un cours de sociologie « sur le rapport à la vie et à la mort ainsi que sur le déni de vieillesse et de mort » permet aux membres des Ehpad de mieux appréhender la période de fin de vie pour eux-mêmes comme pour les résidents et leur famille, dixit Éric Kariger.

L’accompagnement des résidents en Ehpad, de l’entrée à la fin du séjour, s’inscrit généralement dans une démarche pluridisciplinaire incluant les soignants, le résident mais aussi ses proches. « Les réunions de synthèse de l’équipe auxquelles participent les familles permettent d’échanger sur les observations et questionnements de chacun mais aussi de mettre en commun ce que l’on a pu identifier comme important pour y apporter des réponses collégiales », confirme Sylvie Da Costa, responsable pédagogique au sein du groupe Korian.

Partenariats extérieurs

Cette démarche s’étend au-delà des murs des Ehpad lorsque ces derniers développent des partenariats avec des structures d’hospitalisation à domicile ou de soins palliatifs, voire des centres antidouleurs. « Nous avons signé des conventions avec des hôpitaux pour anticiper les hospitalisations, limiter voire éviter le passage aux urgences, avec des équipes mobiles de soins palliatifs qui interviennent auprès des résidents, des proches et des équipes. En outre, certains de nos établissements travaillent aussi avec un centre d’éthique clinique quand les situations deviennent complexes », explique la responsable pédagogique de chez Korian. Chez Medica, « ce fonctionnement en réseau a vraiment fait progresser l’accompagnement en fin de vie au cours de ces cinq dernières années », assure le Dr Didier Armaingaud, directeur médical et qualité au sein du groupe, qui a notamment mis en place un partenariat avec des équipes mobiles de soins gériatriques issues de l’hôpital Bretonneau, à Paris. C’est, selon lui, l’occasion d’échanger des bonnes pratiques ou des conseils, de visu ou par téléphone, mais aussi de bénéficier d’une aide supplémentaire pour effectuer les consultations auprès des personnes âgées de l’établissement. « Cela améliore les soins apportés aux résidents et les équipes en Ehpad sont plus à l’écoute des familles », ajoute le Dr Didier Armaingaud.

Enfin, à ce réseau professionnel, s’ajoute le réseau de bénévoles, non négligeable selon le Dr Éric Karinger et ce, que les résidents en fin de vie aient ou non encore de la famille. Membres d’associations telles que la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap) ou Jusqu’à la mort, accompagner la vie (JALMALV), les bénévoles sont « des tiers neutres, sans devoir moral ou juridique, auxquels les résidents peuvent parfois plus facilement confier ce qu’ils ont sur le cœur ».

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