En vue d’une vente ou d’une acquisition, évaluer le juste prix d’une propriété immobilière est une opération
souvent laborieuse, requérant l’analyse de nombreux critères, comme le type de bien, sa surface ou son emplacement. Valoriser financièrement un EHPAD est encore plus complexe, en raison de la typologie très particulière de ce genre d’établissement. Un EHPAD est la combinaison d’un bâti, construit selon une architecture et un aménagement spécifiques pour l’accueil des personnes âgées, et d’une exploitation.
Que vaut mon établissement ? Au-delà de cette question centrale, de nombreuses interrogations apparaissent alors spontanément chez les propriétaires des murs ou chez les exploitants : comment le valoriser, sur quels critères, peut-on dissocier les murs de l’exploitation, mais aussi qui sont les entités ou investisseurs intéressés par l’achat d’un EHPAD et dans quel but ?
En quête de réponses sur la meilleure approche pour valoriser financièrement un établissement, EHPAD Magazine donne des indications à ses lecteurs grâce aux points de vue et au retour d’expérience de 3 acteurs reconnus pour leur connaissance sur le sujet.
Entretien avec Sabine ROSINACH, Experte senior, Référente EHPAD, BNP PARIBAS REAL ESTATE VALUATION
Peut-on valoriser son établissement public ou privé ?
Tout à fait, nous réalisons des expertises en valorisation immobilière pour tous types d’actifs et d’occupants. Pour l’immobilier de santé, nous avons une équipe d’experts référents spécialisés. Il peut s’agir de murs d’EHPAD, de cliniques, de résidences seniors, mais également d’autres ensembles immobiliers médicaux ou sociaux, et ce, sur la France entière. De grands groupes privés, fonciers, institutions publiques, associations locales, mais également personnes privées, font appel à nos services.
Quels sont les critères pris en compte dans la valorisation des murs d’EHPAD ?
Les murs d’EHPAD (tout comme les murs de cliniques) représentent ce que l’on appelle « de l’immobilier monovalent ». La reconversion des bâtiments pour une autre activité est difficilement envisageable, sauf si de lourds travaux sont réalisés.
L’expert va donc devoir utiliser des méthodes spécifiques (méthode hôtelière ou des ratios professionnels) et une attention particulière sera portée à la valeur locative, qui doit pouvoir être supportée durablement par une exploitation conforme aux normes de l’activité. Il va donc baser son analyse sur :
- les éléments d’exploitation (notamment les tarifs, taux d’occupation, chiffre d’affaires, niveau des dotations soins et dépendance, charges d’exploitation, EBITDAR… en prenant bien sûr en compte les évolutions possibles dans le contexte de réforme actuel)
- le bâtiment (date de construction, état, entretien, aménagements et équipements spécifiques, fonctionnalité, possibilités d’extensions éventuelles)
- la situation géographique
- le marché (la concurrence, l’offre et la demande d’EHPAD dans le secteur, les prix de vente de murs d’établissements comparables)
- la situation juridique, urbanistique, les conditions locatives…
Combien de temps pour expertiser un établissement moyen de 80 lits ?
Que ce soit pour la détermination d’une valeur vénale ou locative, l’expert doit d’abord visiter les locaux et recueillir un certain nombre d’informations et de don- nées sur l’établissement. Il va ensuite analyser et décrire les éléments qui impactent la valeur, réaliser une étude de marché, et rédiger un rapport d’expertise qui se terminera par le croisement de plusieurs méthodes de valorisation pour aboutir à la valeur.
Le délai de réalisation de l’expertise dépend de la période et du plan de charge des experts, mais également de la nature de la mission et surtout du nombre de biens à expertiser. Généralement nous travaillons sous 10 à 30 jours après la visite des locaux.
À quoi peut servir de faire valoriser son établissement ?
Les motivations de nos clients sont multiples et notamment :
avant l’acquisition ou la vente, l’expertise peut permettre d’aider l’acquéreur ou le vendeur dans sa négociation et/ou de rendre des comptes
- dans des buts patrimoniaux, avec possibilité de réactualiser les valeurs au fil des années en fonction de l’évolution de l’établissement, des chiffres, des loyers, du marché.
- comptables, lors de mise à jour de « haut de bilan », séparation SCI/société d’exploitation… ;
- fiscales ;
- bancaires, pour un financement, refinancement ou pour une prise de garanties par exemple. Dans le contexte actuel où certains établissements ont besoin de lever des fonds (pour effectuer des travaux de mise aux normes, sécuriser une exploitation, réaliser une extension…), nous intervenons par exemple lors du financement ou refinancement de l’immobilier par l’intermédiaire de montages en crédit-bail ou « lease- back ». Dans ces cas, il faut savoir que nous travaillons pour de nombreuses banques qui reconnaissent notre expertise.
- pour la détermination de valeurs locatives (dans le cadre du renouvellement du bail par exemple).
Quels conseils donneriez-vous à un établissement avant le lancement d’une démarche de valorisation ?
Une fois le besoin de valorisation clairement identifié (patrimonial, bancaire, comptable…), il faut prévoir de mettre à jour ou de créer un fonds documentaire.
L’expert va en effet demander un certain nombre de pièces nécessaires à son étude (titre de propriété, plans des bâtiments, baux commerciaux, comptes d’exploitation, travaux…).
Le choix du cabinet d’expertise est ensuite primordial et va déterminer la qualité et la crédibilité du rapport d’expertise rendu. Il est nécessaire de faire appel à un expert certifié et habitué à valoriser ce type d’immobilier complexe.
BNP PARIBAS REAL ESTATE VALUATION FRANCE exerce à titre principal une activité d’évaluation de biens immobiliers et dispose d’une expérience, d’une compétence reconnue et d’une organisation adaptée à l’exercice de ses fonctions.
https://valuation.realestate.bnpparibas/typologies-d-actifs/immobilier-de-sante/ehpad
ENTRETIEN AVEC JR LEVY, PROMOTEUR ET GESTIONNAIRE DANS LE SECTEUR DE L’HÉBERGEMENT SOCIAL
Quels sont les modes de valorisation des EHPAD ? Quelles sont les opérations stratégiques financières à connaître pour le développement du secteur ? Quels sont vos conseils ?
Il existe 2 solutions :
Avec les fonds propres retirés des bénéfices de la gestion des années précédentes, emprunter directement auprès d’une banque pour l’extension de la construction d’une nouvelle maison de retraite qui demande en général environ 30 % de fonds propres ; l’avantage est bien sûr que, une fois remboursé, le bien rentrera dans le patrimoine du gestionnaire investisseur. Aux taux bas actuels, cette solution est idéale.
Lorsqu’on n’a pas de fond et qu’on bénéficie d’une expérience réussie, une autre solution est de trouver des réseaux d’investisseurs qui disposent de portefeuilles de clients-investisseurs à qui on va proposer des loyers en termes de produits financiers dits de défiscalisation.
Toutefois, l’intérêt n’est pas, pour ces investisseurs, que la défiscalisation, mais le placement dans une activité sécurisée et pérenne. C’est ce qu’on appelle « la vente à la découpe », c’est-à-dire chambre par chambre (on fera alors un Règlement de Copropriété et certains investisseurs achèteront une ou plusieurs chambres); l’investisseur voyant cela comme un produit de rendement financier. Le loyer attendu de l’investisseur va de 4,5 % par an, voire moins, de rendement, lorsque le gestionnaire est très sécurisant – type grand groupe côté – à 5,5 %, voire un peu plus, si le gestionnaire n’est pas connu – cela dépend aussi bien sûr de la localisation du bâtiment, centre-ville, campagne, etc.
On a plusieurs possibilités dans ces cas-là :
- Celle où l’on vend à peu près au prix coûtant, pour donner un loyer le plus faible possible, et se garder un résultat d’exploitation le plus élevé possible ;
- Dans la seconde option, on vend plus cher et donc on fait du bénéfice dès le départ, sur la vente (« promotion ») immobilière, mais le loyer est plus élevé. Cela peut être une manière de se constituer des fonds propres. Quelques groupes ont d’ailleurs financé leur croissance en dégageant des fonds propres à chaque fois qu’ils revendaient une opération. L’inconvénient de loyers élevés a pour conséquence des bénéfices moins significatifs.
La revente des murs de son établissement peut- elle permettre de financer l’extension ou le développement de son activité ?
Il faut savoir que la vente des murs est une solution plutôt réservée à des gestionnaires expérimentées. Il faut bien avoir conscience que les murs n’appartiendront plus au gestionnaire de l’établissement. Et donc il est important de bien choisir à qui l’on vend en terme d’investisseur, et que, en principe, sauf rares cas de propositions de rachat à terme, qui peut sécuriser les investisseurs, mais fait peser un engagement financier à 10 ou 15 voire 20 ans, on ne reverra donc jamais son immobilier dans son patrimoine.
En Province, il peut être utile de prospecter les investisseurs de ses murs parmi les « partenaires » locaux. Les médecins et le monde paramédical (infirmiers libéraux, kinés, pharmaciens, etc.) notamment y voient une continuité d’activité avec une façon de fidéliser leur patientèle.
Si l’établissement a bonne réputation, le fait de le savoir « près de chez soi », et de le connaître aura un côté rassurant pour l’investisseur. Attention cependant, comme il y a toujours un revers à la médaille, à ce que des praticiens qu’on n’a pas envie de voir pratiquer dans l’établissement n’aient pas la tentation de s’y im- poser, sous prétexte qu’ils sont investisseurs.
Il faut bien aussi avoir en tête l’adage « mieux vaut ne pas faire d’affaire avec sa famille et ses amis ». En effet, si l’affaire ne marche pas bien, si les loyers sont mal payés, s’il y a un incident d’exploitation dans l’Établissement, les investisseurs locaux auront vite fait de faire courir le bruit… En outre, avoir en tête que les baux n’ont qu’une durée, en général, de 9 ans, ou, juridiquement plus protecteur pour l’exploitant, 11 ans et 9 mois (pour éviter les droits d’enregistrement des baux de 12 ans et plus), et que les renouvellements des baux donnent aussi souvent lieu à des frictions ; le gestionnaire souhaitant baisser les montants des loyers (y compris en toute sincérité pour dégager des marges de manœuvre pour les rénovations), et les investisseurs les conserver, voire les augmenter, forts d’une position incontournable pour le gestionnaire. On rentre alors dans la complexité du droit des baux (très réglementé) et l’appel à un avocat spécialisé est recommandé.
De manière plus complexe, mais pourquoi ne pas se projeter dans le futur, et pour les plus imaginatifs et techniques, on peut imaginer que des solutions de crowfunding (cotisations/investissements par des particuliers pour de petits montants chacun) per- mettront, le secteur des EHPAD étant « noble » (médico-social) et rassurant, de financer dans un futur peut-être proche, de nouveaux projets, permettant ainsi aussi « d’anonymiser » quelque peu l’investisseur et d’éviter le rapport de force qu’on trouve par- fois dans des copropriétés de LMP ou LMNP (Loueurs en Meublés (Non) Professionnels), du nom du statut juridique de ces « investisseurs en défiscalisation ».
On peut également imaginer une troisième voie, « mixte », où des investisseurs locaux apportent les fonds propres par voie d’augmentation de capital, pour un emprunt bancaire ; mais il faut bien sûr avoir le « tempérament » à s’associer… voire prévoir dès le début, les clauses de gestion de l’affaire (rémunération du dirigeant, politique de distribution des dividendes, etc.), voire, de séparation (type clause de rachat à terme).
ENTRETIEN AVEC PIERRE ERRERA, DIRECTEUR D’EHPAD INVEST, LEADER DE LA VENTE ET DE REVENTE D’EHPAD.
Quels choix s’offrent aux propriétaires d’EHPAD qui souhaitent vendre leur établissement ?
Si on parle bien d’EHPAD en complet, il y a les possibilités suivantes :
1) Vendre à un grand groupe (ORPEA, DOMUSVI, DOMIDEP, KORIAN, COLISEE, etc.)
2) Transmettre à ses enfants
3) Vendre à un indépendant
4) Vendre à un fonds d’investissement ou une banque ;
5) Vendre à la découpe, chambre par chambre, à des investisseurs privés et le fonds de commerce à un groupe ou un tiers afin de valoriser au mieux ses actifs. C’est le métier d’EHPAD INVEST.
En quoi consiste votre intervention dans un processus de vente ?
Nous établissons une valeur des murs (actifs) et du fonds de commerce. Ensuite, nous vendons à des investisseurs privés chaque chambre. Nous mettons le propriétaire en relation avec nos notaires et géo- mètres afin d’établir un plan de division des lots.
Avez-vous un exemple concret à nous donner ?
J’aimerais vous donner un exemple concret, mais mes clients ont refusé de répondre à vos questions pour des raisons évidentes de confidentialité. Par contre, nous avons participé à des ventes sur des milliers de lots sur des centaines de résidences.
Voici actuellement des exemples avec des chambres à la vente : CLIQUEZ ICI
Peut-on avoir une fourchette de prix pour un établissement moyen d’environ 80 lits ? Pour 80 lits, il faut compter un prix des murs, hors fonds de commerce, entre 8 000 000 d’euros pour la province et 16 000 000 d’euros pour la région parisienne, PACA ou grande ville. Cela ne comprend pas le fonds de commerce qui se situe autour de 2 000 000 d’euros. Nous pouvons aussi aider à optimiser les coûts pour vendre plus cher le fonds de commerce. Comptez donc, tout compris, entre 10 000 000 d’euros et 18 000 000 d’euros. Évidemment, sur Paris intra-muros, Cannes ou des villes ultras-chics, on peut largement dépasser les 20 000 000 d’euros.
Quels conseils donneriez-vous à un propriétaire qui souhaite vendre ?
Mon conseil : faire plusieurs estimations avec nous, par exemple, et différents groupes. Il faut s’y prendre au moins deux ans avant, sinon on va au plus vite et on valorise mal son EHPAD. Sachant qu’à la découpe, cela prendra entre un et deux ans pour tout vendre. C’est plus long, mais plus rémunérateur (environ 10 à 20 %) qu’en passant par un groupe. Mais tout ça, c’est évidemment dans l’absolu, pour des EHPAD avec un taux d’occupation élevé (plus de 95 %) et dans des secteurs attractifs. Nous prenons des petits EHPAD également.