Franck Noat a répondu à nos questions sur l’état du marché, les avantages à céder une partie de ses murs ou à les acheter…
Que peut-on dire du marché des EHPAD aujourd’hui ?
Franck Noat : Les conditions de marché sont exceptionnelles avec notamment un sous-jacent structurant qui est le vieillissement généralisé de la population européenne. Le marché français quant à lui, est certainement le plus attractif avec, d’un part, une réglementation forte créant de solides barrières à l’entrée et, d’autre part, la disponibilité de financements publics, certes contraints mais garantis, limitant de facto l’ouverture de nouveaux lits et renforçant ainsi la valeur des autorisations existantes.
2019 est une année de grand changement en France.
Nous connaissons une nouvelle vague de cession de groupes d’EHPAD par des « entrepreneurs-pionniers » du secteur. Le retour du fonds CM-CIC Investissement au capital d’Emera et la prise de contrôle du groupe familial Domidep, cinquième opérateur d’Ehpad en France par le fonds américain I Squared Capital vont sans doute chambouler le classement français et renforcer la dynamique de consolidation à moyen terme.
Les groupes gérant des EHPAD n’ont pas tous la même stratégie en matière d’investissement immobilier… ?
F. N. : Les EHPAD ont deux gisements de création de valeur : les opérations et l’actif immobilier. Certains acteurs se concentrent sur les opérations et ne gardent pas la propriété de leurs EHPAD. D’autres groupes possèdent tous les murs. Et, enfin, bien évidemment, il existe une troisième catégorie qui arbitre de façon opportuniste entre les deux stratégies et ne possèdent qu’une partie de leurs murs. A titre d’exemple, Orpéa tangente le 50/50 et Korian, historique « asset light », a adopté récemment une politique de renforcement dans sa détention immobilière et rachète des murs.
Comment analyser la valeur de son EHPAD ?
F. N. : Le point de départ est l’analyse de la gestion de ses opérations. L’indicateur de gestion est l’EBITDAR [excèdent brut d’exploitation avant intérêt, IS, loyer et amortissement].
En France, les opérateurs les plus efficaces ont une marge d’EBITDAR entre 28% et 32%, j’ai même pu observer récemment une marge de 34%. De l’EBITDAR, on déduit ensuite le loyer de l’EHPAD afin d’obtenir l’EBITDA. En général, le loyer « acceptable » se situe entre 50% et 60% de l’EBITDAR, c’est le taux d’effort (au-delà de 60%, on peut s’interroger sur la pérennité des opérations sur le moyen et long terme, on survalorise l’immobilier au détriment des opérations). Ce même taux d’effort permet de calculer un loyer « notionnel » pour un EHPAD qui possède ses murs. A la fin de ces petits calculs, on dispose ainsi de son EBITDA (la valeur créée par la gestion des opérations – en bon anglicisme, Operational Company ou OpCo) et de son montant de loyer (la valeur créée pour le propriétaire de l’immobilier – Property Company ou PropCo).
En général, l’OpCo se valorise entre 10 et 14 fois l’EBITDA
(parfois beaucoup plus si les perspectives de progression de la marge à MT sont importantes) tandis que la PropCo se valorise par capitalisation des loyers à un taux variant de 4,5% à 5.5% en ce moment (soit de 18 à 22 fois les loyers). A titre d’exemple, si l’EBITDAR d’un EHPAD est de 2 millions avec 1 millions d’euros de loyer et donc 1 millions d’euros d’EBITDA, l’OpCo a une valeur de 12 millions d’euros (12x EBITDA) et la PropCo de 20 millions d’euros (5% de taux de capitalisation), soit 32 millions d’euros en tout si vous cumuler les opérations et la propriété immobilière (bien évidemment, il faut s’assurer de la pérennité des marges et de l’absence d’investissement significatif à faire).
Pourquoi peut-il être intéressant de céder tout ou partie de ses murs ?
C’est une forme de sécurité d’avoir de l’immobilier. Certains groupes cotés mettent cela en avant, cela apporte de la visibilité et de la flexibilité.
Si on regarde le volume des actifs immobiliers de ces groupes, dans certains cas, on se rend compte qu’ils constituent parmi les plus importantes foncières de santé en Europe.
Aujourd’hui, compte tenu de la hausse continue des prix de l’immobilier, il y a une vraie logique à vendre une partie de ses murs. Cela permet de re-router une partie de l’equity ainsi rendu disponible vers les opérations et dans certains cas de faire réaliser par le nouveau propriétaire des investissements qu’un opérateur d’EHPAD n’aurait pas les moyens de faire tout seul.
C’est particulièrement vrai pour les opérateurs les plus petits. Bien évidemment, cela aura un impact sur le loyer payé au partenaire immobilier mais cet impact sera étalé tout au long du bail.
A contrario, certains opérateurs rachètent des EHPAD avec des murs et les conservent, tout du moins à moyen terme. Ce n’est pas un mauvais acte de gestion, loin de là. Dans certains cas, l’EBITDAR d’un établissement n’est pas à son niveau optimal, il est alors avisé de racheter la PropCo pour créer de la valeur immobilière à mesure que l’on augmente l’EBITDAR grâce à une meilleure gestion des opérations.
Que faut-il préparer en amont pour vendre les murs de son EHPAD ?
F. N. : Vendre son EHPAD n’est pas compliqué mais demande une bonne préparation. Il convient de faire une revue de l’état immobilier, de l’état de l’investissement, un business plan et une revue des comptes historiques. L’état des lieux permet de vérifier la conformité à la réglementation, les investissements nécessaires. Il faut compter 3 à 4 mois pour préparer cela. Et être bien accompagné évidemment !
Au-delà de la vente de murs, voyez-vous une augmentation des cessions d’EHPAD ?
F. N. : Il y a toujours eu un marché dynamique mais il faut reconnaître que cela s’accélère. Il ne faut pas oublier qu’une partie du chiffre d’affaire des EHPAD dépend de la prise en charge des collectivités. Les baisses tarifaires peuvent être significatives et affecter significativement l’EBITDAR. Plus on est petits, plus les baisses tarifaires sont difficilement absorbables et peuvent menacer la pérennité de son activité. Cumulé à une pression réglementaire forte impliquant potentiellement des investissements lourds, c’est sans doute un des risques qui pousse des groupes plus petits à se vendre.
Enfin, ce qui peut pousser les acteurs « historiques » à se vendre aujourd’hui est la structuration du marché : il existe de moins en moins d’acteurs qui ne font que des EHPAD. Les grands opérateurs s’intéressent à tout le parcours santé : SSR, résidences seniors, cliniques psychiatriques, HAD, maintien à domicile, centres d’ophtalmologie, centre de radiologie, etc.). Il y a par exemple des groupes qui utilisent leur structure de restauration pour faire du portage de repas à domicile, des SSR qui proposent des dispensaires avec des professionnels de santé. La tendance de fonds est désormais l’accompagnement tout au long du parcours de santé.