Le secteur de la prise en charge des personnes âgées dépendantes est en forte mutation. Mais par-delà la volonté des acteurs de répondre aux besoins immédiats d’une population vieillissante, de quoi cette prise en charge devra-t-elle être faite demain ? C’est la question à laquelle l’Institut du Bien Vieillir Korian tente de répondre. Rencontre avec Philippe Denormandie, Directeur général adjoint du groupe Korian et Directeur de l’Institut.
Mais pourquoi donc le groupe Korian a-t-il créé, en 2013, l’Institut du Bien Vieillir ? Pour l’image ? Sans aucun doute. Mais ce serait très réducteur. Par vertu ? Peut-être un peu. Mais un groupe comme Korian ne se laisse pas guider par les caprices de la vertu. Alors pourquoi ? Par souci d’avenir. C’est en (très) résumé la réponse de Philippe Denormandie, Directeur général adjoint du groupe et en tant que Directeur de l’Institut du Bien Vieillir. « Le secteur médico-social manque de ressources scientifiques contrairement au secteur sanitaire. Si un groupe comme le nôtre n’engage pas ce travail, qui va le faire ? Or, nous avons besoin de ces travaux pour améliorer les pratiques et réfléchir au futur. Il est important de créer une démarche de recherche qui tienne compte des spécificités du secteur médico-social par rapport au secteur sanitaire. »
La gériatrie n’est pas qu’un problème sanitaire
Médecin lui-même – il est chirurgien orthopédiste - , Philippe Denormandie s’est fait sa religion en matière de gériatrie : « La gériatrie ne doit pas se résumer à un problème sanitaire. Il faut que le secteur médico-social soit fort à côté d’un secteur sanitaire qui cherche à ramener à lui la prise en charge de la personne très âgée. Il est tout à fait possible de prendre en charge l’essentiel de ces personnes sans basculer dans la médicalisation. Grande dépendance ne rime pas avec grand plateau technique. À mon avis, il n’y pas de corrélation automatique entre les deux, martèle-t-il. Je pense au contraire que nous pouvons imaginer des prises en charge beaucoup plus simples et moins agressives. Il y a une vraie réflexion à mener sur une sorte de démédicalisation intelligente. Pour de nombreux troubles, il y a d’autres façons de les gérer. Des expériences menées par nos soins et par d’autres montrent que l’on peut diminuer considérablement les traitements médicamenteux chez les personnes très âgées. » À condition que le système sorte de la logique perverse qui veut que plus on est médicalisé, plus on est financé. « L’Ehpad a de l’avenir pour la prise en charge des personnes ayant des déficiences importantes car cela ne doit pas signifier une médicalisation importante. »
Une démarche réellement scientifique
Pour cela, il faut réfléchir et inventer. Philippe Denormandie en est, on l’aura compris, convaincu : « Il y a des choses importantes à faire à partir d’un ADN différent de celui du secteur sanitaire. D’où la nécessité de produire des données scientifiques sur la base d’indicateurs qu’il faut imaginer. » L’Institut du Bien Vieillir, lancé par Korian en 2013, cherche donc à consolider les bases des savoirs et des pratiques du secteur pour mieux réfléchir à son avenir. Le tout avec une volonté d’adopter une méthode réellement scientifique, validée et prouvée. « Nous sommes très attachés au fait d’adopter une démarche de recherche rigoureuse et scientifique, validée par la communauté scientifique », insiste Philippe Denormandie pour qui la publication prochaine dans une revue scientifique des résultats des travaux de l’Institut sur l’évaluation du plaisir immédiat est une première illustration de la démarche engagée. En outre, conformément à cette logique scientifique, tous les travaux sont librement accessibles sur le site Internet de l’Institut (www.institutdubienvieillirkorian.org).
Des scénarios d’avenir
« Nous posons des hypothèses ou des pistes de réflexion spécifiques sur lesquelles nous travaillons. Par exemple, la recherche sur la dimension du plaisir chez les seniors est fondamentale », souligne Philippe Denormandie. Se focaliser sur les attentes et les aspirations au plaisir des personnes âgées est en effet une façon de remettre l’Humain au cœur de la réflexion, de démédicaliser la démarche. « Il faut être capable d’entendre les attentes et les besoins réels exprimés par la personne âgée de 87 ans et plus. Si je caricature, elle peut légitimement dire qu’elle n’accorde plus la même importance au respect du régime alimentaire prescrit par le médecin et à la perfection de son taux de glycémie et qu’elle préfère pouvoir boire un verre de vin rouge de temps en temps pour se faire plaisir. »
Mais la problématique de la médicalisation ne recouvre qu’une partie de la réflexion à mener. Pour cela, l’Institut a donc lancé, sous le pilotage du prospectiviste Philippe Cahen, une étude sur les hypothèses relatives à la façon de vieillir demain. Ce prospectiviste a développé une nouvelle méthode de prospective dite des signaux faibles. Tout l’enjeu est de détecter les signaux perceptibles aujourd’hui et qui annoncent les évolutions de demain. Le travail porte sur la détermination de scénarios possibles et plausibles quant à la façon de vieillir demain dans notre société et sur les impacts que cela pourra avoir sur les entreprises et la société. « Nous allons finaliser ce travail dans l’année, confirme Philippe Denormandie. Nous allons ainsi contribuer à la réflexion collective. Et pour Korian, cela nous fournira des scénarios à partir desquels nous pourrons réfléchir à l’offre que nous devrons inventer pour participer au bien vieillir. »
Grégoire Sévan
Pour en savoir plus sur l’institut et télécharger les publications : www.institutdubienvieillirkorian.org
Imaginer lesfuturs possibles et impossibles
L’Institut du Bien Vieillir cherche à comprendre comment nous allons vieillir demain. Le recours à un prospectiviste s’imposait donc pour l’étude sur les signaux faibles. Dans une vidéo en ligne sur le site Internet de l’Institut Philippe Cahen1 résume ainsi la démarche : « Nous allons essayer de comprendre les futurs possibles ou impossibles. Il y en a beaucoup, surtout en matière de vieillissement. On pourrait parler des maladies, de l’âge du vieillissement, du revenu des retraités. On pourrait parler aussi de la définition du vieillissement et de l’âge que cela concerne ». C’est sur ces thématiques que l’Institut du Bien Vieillir travaille pour essayer de formaliser les scénarios de futurs possibles ou impossibles. Et Philippe Cahen de prévenir : « Ce qui nous arrive, ce qui nous arrivera, ce sont surtout les futurs impossibles et c’est sur cela qu’il faut travailler. »
1 Philippe Cahen est l’auteur de l’ouvrage « Signaux faibles, mode d’emploi – Déceler les tendances, anticiper les ruptures » (Éditions Eyrolles, décembre 2010).