« Abandonner la vision bicéphale entre le domicile et l’EHPAD au profit d’un parcours de vie »
Sociologue de formation, Jean-Jacques Amyot est, depuis 1983, directeur de l’OAREIL (Office aquitain de recherche, d’information et de liaison sur les personnes âgées). Chargé de cours à l’université Bordeaux-II Victor Segalen, à l’université de Bordeaux-III Michel de Montaigne, à l’université de Provence (Aix-Marseille), à l’institut supérieur du management par la qualité (Bem Management School Bordeaux) et dans diverses écoles paramédicales sur les questions de gérontologie sociale, ce membre du réseau national de consultants en gérontologie (ARCG) est également l’auteur de nombreux ouvrages dont « Travailler auprès des personnes âgées », qui vient d’être réédité pour la quatrième fois.
Pourquoi avoir publié une quatrième édition de votre ouvrage « Travailler auprès des personnes âgées » ?
Cet ouvrage est en librairie depuis 1994. Dans la mesure où il répond à un besoin, puisqu’il continue de se vendre années après années, il semblait normal vingt-deux ans après sa première édition et huit ans après la dernière de l’actualiser. J’ajouterai que le secteur ayant bénéficié d’une véritable actualité et que ma pensée ayant elle-même évolué, une nouvelle édition se justifiait encore plus.
Quelles sont les nouveautés pour le lecteur ?
Trois types de nouveautés viennent enrichir cette quatrième édition. La première s’égrène tout au long des 450 pages et porte sur les données dont s’inspire l’ouvrage. La deuxième concerne certaines thématiques comme la solidarité et l’inter-génération qui ont été modifiées. La troisième se matérialise par l’introduction de nouvelles thématiques, telle que la vulnérabilité.
Quelle place occupent aujourd’hui les personnes âgées dans la société française ?
Nous avons une relation terriblement ambivalente avec la vieillesse. Dans le chapitre consacré aux représentations sociales, je démontre d’ailleurs que notre société s’échine à vouloir associer des termes diamétralement opposés telles que sagesse et démence ; dépendance et autonomie ou encore famille et solitude. C’est une vision totalement faussée de la réalité. Conséquences : la vieillesse est omniprésente dans notre inconscient collectif avec des personnes âgées qui peuvent tout faire y compris sauter en parachute à 100 ans et dans le même temps chacun est convaincu que les personnes âgées sont incapables de faire quoi que ce soit et finiront toutes en maison de retraite. En quelque sorte, à l’opposé de ce qu’écrivait Jacques Prévert dans son poème « Le droit chemin », le vieillard représente désormais tout ce que l’on ne veut pas. Et en écho à notre angoisse de la mort, notre vision de l’espérance de vie correspond en réalité à un refus de la mort avec l’objectif de vivre trois mois de plus chaque année et ainsi de devenir immortel…
Alors qu’est dénoncé l’âgisme dans la société française, la loi sur l’adaptation de la société au vieillissement n’a pas suscité un réel débat de société. Faut-il selon vous faire un lien de causalité entre les deux ?
Tout un chapitre est consacré à la perception sociale de la vieillesse qui me semble être totalement erronée. Il faut en effet cesser de croire que la vieillesse est inadaptée et que les personnes âgées sont nécessairement vulnérables. Je regrette d’ailleurs qu’un certain nombre d’ouvrages et de journaux continuent de se faire l’écho de cette approche totalement à contre-courant de la réalité. Quant à loi du 28 décembre sur l’adaptation de la société au vieillissement, elle a le tort d’être à la fois complexe, excessivement technique et trop longue. Alors qu’une loi se doit d’être courte pour être efficace, celle-ci est composée d’une centaine d’articles, et nécessitera une dizaine d’année pour que paraissent tous les décrets d’application… s’ils paraissent. Ce texte ne permettra donc pas au grand public de s’emparer d’un sujet pourtant essentiel pour tous les Français. D’autant que les thématiques centrales, à l’instar du statut des aidants et de l’accueil de jour, ne sont abordées que de manière très superficielle. Pour être efficace et inciter nos concitoyens à réfléchir au vieillissement, il aurait fallu réaliser tout un travail d’élaboration avec la société, plutôt que travailler entre techniciens !
Comment définiriez-vous la gérontologie sociale ?
La gérontologie sociale correspond à une organisation de la pensée sur tout ce qui touche aux questions de vieillissement et de vieillesse dans le cadre de la collectivité et sans que cela soit scientifiquement fondamental. Ainsi, la biologie ne fait pas partie de la gérontologie sociale. A l’inverse la politique vieillesse en est partie prenante puisqu’elle repose sur une appréhension globale, sociale… et se réfère donc aux sciences humaines, à l’économie, à la politique. Or aujourd’hui, la gérontologie sociale n’est pas correctement appréhendée, puisqu’elle l’est en fonction d’une perception de la réalité qui est forcément décalée. D’où l’erreur de n’aborder la gérontologie que sous l’angle de la démographie, alors que devrait primer la réflexion sur l’état dans lequel seront les personnes âgées et donc sur les moyens à mettre en œuvre pour favoriser une société intergénérationnelle.
Quels progrès ont été réalisés dans le domaine de la coordination des professionnels du grand âge ?
Permettez-moi d’être relativement mesuré sur ce point dans la mesure où nous avons pour habitude, en France, de mettre en place un nouveau dispositif pour répondre à chaque problème qui se ferait jour. C’est dans cette optique qu’ont été créés les coordonnateurs de l’action gérontologique, puis les réseaux de santé, et les CLIC, puis les MAIA, et le PAERPA… Conséquence : aujourd’hui existe un dispositif de coordination des coordinations. Il faudrait donc d’abord harmoniser tous ces dispositifs dans le cadre d’une vision stratégique. En outre, il serait temps de cesser de voir la coordination sous l’angle exclusif d’un dispositif technique. A défaut, cela reviendra à refuser de comprendre que les structures ne voudront pas travailler ensemble. Nous devons donc également inciter les différents acteurs à mettre à disposition les informations qu’ils peuvent considérer comme essentielles car ce sont bien les informations qui constituent le nerf de la guerre ! Mais je veux croire que les lignes vont bouger. Pour preuve cette étude européenne qui porte sur la levée du secret professionnel entre aidants et professionnels dans trois pays : la Belgique, la France et l’Italie.
Que faudrait-il encore améliorer ?
Les progrès à réaliser sont multiples. Mais le premier, je pense, consiste à abandonner la vision bicéphale entre le domicile et l’établissement au profit d’un parcours de vie. C’est en ce sens que le PAERPA me semble aller dans le bon sens. A condition, toutefois, que la création de nouvelles structures soit stoppée et que dans chaque territoire concerné un organisme unique ou une coordination visible pour le grand public voit le jour. Les efforts des uns et des autres seront ainsi efficacement fédérés et les personnes concernées seront utilement encadrées. En clair, l’usager sera réellement au cœur du dispositif. Les personnes concernées arrêteront ainsi de frapper systématiquement à la porte de la mairie pour obtenir les renseignements dont ils ont besoin.
Cette coordination permettrait-elle de limiter le risque de maltraitance des personnes âgées ?
Sans aucun doute ! Renforcer la coordination, diffuser des informations et instaurer des mesures d’accompagnement des aidants sont des préalables essentiels pour améliorer la transparence et donc limiter la maltraitance ; tant dans les établissements qu’au sein des familles. Car ce phénomène n’est pas tant un problème de moyens que la conséquence d’une mauvaise politique managériale. D’où la nécessité aussi de développer des politiques de formation ; et en particulier communes à plusieurs établissements. Dans cette optique, la formation de référents bientraitance-maltraitance me semble une piste intéressante à explorer car ils permettraient à la fois de constituer un réseau et de sensibiliser l’entourage au sens large des personnes âgées.
ASG, arthérapeute, ergotherapeute, musicothérapeute… De nombreux nouveaux professionnels arrivent en EHPAD, notamment du fait du boom Alzheimer. Quels sont les nouveaux métiers demain dans la prise en charge gérontologique ?
C’est difficile à dire. D’autant plus que tous ces nouveaux métiers semblent induire une volonté de soigner, alors même qu’aucun traitement n’existe pour les maladies neurodégénératives. Ma conviction est donc qu’il faut sortir de cette logique thérapeutique au profit d’une mise en avant du plaisir et de la vie partagée. Il me semblerait ainsi plus approprié de faire venir de véritables animateurs capables de générer du mouvement, de la vie… et de sortir de la logique ultra normée qui prime aujourd’hui en recréant du lien social. Mais je ne fais là que reprendre une idée émise dans les années 70 par Georges Caussanel qui, dans ses centres d’animation naturels tirés d’occupations utiles (CANTOU), entendait faire cohabiter des personnes âgées séniles avec d’autres moins désorientées afin de les stimuler et tenter de préserver leur autonomie. C’est une philosophie générale qui doit sous-tendre toute politique gérontologique. Développer des lieux d’animation et de vie permettrait d’améliorer la prise en charge d’une personne âgée à la fois dans le cadre familial et en EHPAD. Je dirai même que recréer du lien social profiterait à la société dans son ensemble, à l’instar de ce qu’a engendré la fête des voisins.
Quelles nouvelles compétences faudra-t-il pour contribuer à faire de la prévention de la perte d’autonomie, une des futures missions de l’EHPAD ?
Tout dépend ce que l’on entend par perte d’autonomie. S’il s’agit d’une perte d’indépendance physique, il faudra privilégier la rééducation et donc recourir aux services d’un kinésithérapeute, d’un ergothérapeute… S’il s’agit de mieux faire fonctionner son cerveau, un psychologue sera plus approprié. Mais dans tous les cas, les professions existent déjà et je ne vois pas trop ce que nous pourrions inventer de mieux. En revanche, il serait opportun de permettre à des petits établissements n’ayant pas forcément les moyens d’employer de tels professionnels, de recourir à leurs services, par exemple, par le biais de la mutualisation sur un territoire. Une expérimentation avec des animateurs volants avait d’ailleurs bien fonctionné en Dordogne et pourrait servir de modèle.
Peut-on envisager des profils de professionnels qui fassent “passerelles” entre le domicile et l’EHPAD ?
Indéniablement ! Il y a une vingtaine d’années, le département des Landes avait d’ailleurs innové en ce sens en créant des services de soins à domicile rattachés à des EHPAD. J’ajouterai que cette passerelle contribue aussi à ménager une transition en douceur pour des personnes âgées qui doivent passer de leur domicile en EHPAD et ainsi ne se retrouvent pas perdues avec un personnel inconnu. C’est en quelque sorte la logique même du parcours…
Quels points faudrait-il améliorer dans la formation des professionnels en EHPAD ?
Les professionnels sont aujourd’hui formés comme des techniciens. Il faudrait donc remettre un peu d’humain et leur (ré) apprendre ce qu’est le vieillissement et sa représentation sociale afin de leur permettre d’appréhender la vieillesse au-delà d’une simple modification cellulaire. Sans oublier, bien évidemment, le parcours de vie et tout ce qui le justifie : l’adaptation, la vulnérabilité… Il faudrait donc revenir à une représentation générale qui était enseignée aux aides à domicile dans les années 70.
Propos recueillis par Stéphane Le Masson
« Travailler auprès des personnes âgées » (Collection: Guides Santé Social Dunod 2016 – 4ème édition – 448 pages)