Le responsable du pôle Interventions psychosociales à la Fondation Médéric Alzheimer suggère des pistes pour favoriser l’intégration des malades Alzheimer parmi les autres résidents des Ehpad.
Comment se passe la cohabitation entre résidents quand certains souffrent d’un trouble cognitif ?
Kevin Charras : Les établissements sont confrontés à des personnes qui présentent des troubles cognitifs et d’autres qui n’en ont pas. Les relations peuvent être parfois complexes et cela peut se comprendre : dans pareille collectivité, on trouve des résidents de milieux différents, d’états différents etc. Ceux qui ont des troubles cognitifs peuvent, en raison du stigmate attaché aux symptômes de leur pathologie, susciter des réactions de rejet ou de peur chez les autres résidents. Il arrive que les troubles du comportement conduisent certains à dépasser les barrières sociales et faire fi des usages (cris intempestifs, profération d’insultes, errance), voire se montrer désinhibé jusqu’à l’impudeur. Ces situations peuvent créer, chez les résidents qui ne sont pas atteints de la maladie d’Alzheimer, le besoin de se distinguer de ceux qui en sont atteints, pour échapper à la crainte d’être soi-même stigmatisé comme tel.
E. M. : Comment maintenir les liens sociaux des personnes atteintes de troubles cognitifs ?
K. C. : Certaines personnes atteintes de troubles cognitifs refusent d’avoir des relations sociales de peur de voir leur handicap cognitif révélé. Elles se replient sur elles-mêmes, sont réticentes à participer aux activités. Il est difficile de créer des conditions qui vont empêcher d’entrer dans ce cercle vicieux : « Je me dévalorise, je me mets en retrait », jusqu’à parfois risquer de devenir transparent vis-à-vis des autres. La maladie touchant la communication, ces personnes peuvent parfois éprouver des difficultés à exprimer leur besoins, ce qui devient une vraie barrière pour s’intégrer dans l’établissement.
E. M. : Comment savoir qu’une relation n’est pas subie ?
K. C. : Il est très difficile de savoir si une relation est consentie. Il est a contrario difficile de ne pas tenir compte des liens qui peuvent se créer. Mais les professionnels doivent aussi tenir compte des difficultés que cela peut entrainer avec les conjoints, les enfants. Il n’y a pas de recette. Il faut être attentif, s’appuyer sur la sensibilité de l’équipe et sa connaissance de chaque résidents. Il ne faut pas hésiter à faire appel au psychologue pour qu’il évalue la capacité de décision de la personne en de telle problématique.
E. M. : Que peut ou doit faire l’équipe professionnelle ?
K. C. : Les professionnels œuvrent pour intégrer les personnes atteintes de déficiences ou de troubles cognitifs dans le groupe, par exemple en leur faisant faire des activités communes qui mettent en avant les potentialités de chacun. Cette approche peut faciliter les relations entre résidents car ils ont un but commun, quels que soient leur état et leur condition. On ne peut pas forcer deux personnes à s’entendre, mais on peut faire en sorte que les personnes atteintes de troubles cognitifs puissent fréquenter celles qui n’en sont pas atteintes pour échapper aux stéréotypes. Il faut toutefois faire attention à ne pas mettre en échec les personnes qui ont des troubles cognitifs. Il convient d’offrir à une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer un environnement normal, du moins normalisant. Elle va alors pouvoir adopter elle aussi des comportements « normaux ». Les professionnels sont vecteurs de relations. S’asseoir, discuter, prendre un café avec eux, ça fait aussi partie de leur travail. Cette partie de leur mission est souvent mise de côté pour des raisons économiques ou d’organisation. On demande encore trop souvent aux soignants d’être centrés sur le soin et pas sur le relationnel. Or, ce sont les professionnels qui peuvent favoriser les relations entre résidents, surtout ceux atteints de troubles cognitifs. De plus en plus d’initiatives sont prises en ce sens même s’il reste du chemin à parcourir : cela nécessite aussi un effort du côté des pouvoirs publics, des directions d’établissements, des professionnels et des familles aussi. Toutefois, ces initiatives sont toutes porteuses d’espoir pour aider les personnes atteintes de troubles cognitifs à recréer des liens avec leur entourage.