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L’interview de Didier Sicard Les interviews

« Ne pas laisser aux seuls médecins une responsabilité
qu’ils ne veulent et ne peuvent pas assumer. »

Aborder la question
de la mort dans
les établissements
est un enjeu majeur

La fin de vie va être de nouveau sous les feux de l’actualité cet automne. C’est en effet le thème des états généraux que le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) organise jusqu’à la fin de l’année (voir encadré) avant de se prononcer définitivement sur ce sujet. À cette occasion, le Pr Didier Sicard, Président d’honneur du CCNE, précise comment faire face à la fin de vie dans les établissements ainsi que le rôle des directeurs en la matière. De son côté, le Pr Jean-Claude Ameisen, Président du CCNE, souligne que l’accompagnement de la fin de vie devrait être une forme de solidarité, chacun étant en effet concerné.

Qu’est-ce qui caractérise la fin de vie dans les établissements en France ?

Didier Sicard : Il y a une mise à l’écart de la mort dans les établissements en France. Ce n’est pas propre aux établissements pour personnes âgées : Ceux-ci sont en effet à l’image de la société. Le constat est le même dans les hôpitaux. C’est en quelque sorte une exception française : la situation est en effet très différente dans les autres pays européens. C’est plus un phénomène sociologique et culturel qu’économique, lequel s’est aggravé depuis les années quatre-vingt. Dans notre société développée, la mort n’a pas droit de cité ou alors seulement de façon clandestine. Il ne faut pas effrayer les futurs médecins. Il ne faut pas que les petits-enfants voient leurs grands-parents mourir, cela va leur faire peur. Il ne faut pas que les résidents des maisons de retraite soient apeurés par le départ de leurs congénères. Il y a une étrange exclusion de la mort dans notre société qui finit par être génératrice d’angoisse. Le fait que l’on camoufle sous différents vocables un lieu qui est quand même un endroit naturel pour la mort crée paradoxalement un lieu d’inhumanité. Là où la mort est acceptée, là où elle est prise en compte, là où elle est importante et ritualisée, la vie est présente. Lorsque la mort est évacuée, on est dans l’artifice.

Comment améliorer la situation ?

D. S. : A 85 ou 90 ans, les personnes âgées, quelle que soit leur situation, ont eu une vie bien remplie. Elles sont dépositaires d’un passé qui est à respecter. Elles ont leur place dans la société. Il faut donc que le projet pour la mort soit au cœur des établissements. L’absence d’un tel projet dans les Ehpad me paraît plus angoissant que rassurant. La mort n’est pas une éventualité triste. Elle fait partie de la vie. Aborder la question de la mort dans les établissements, avec des directives anticipées, négociées avec la personne si elle est consciente, avec la famille, avec le médecin coordonnateur est un enjeu majeur. Mais il ne faut pas pour autant que cela aboutisse à une forme d’administration de la mort avec des cases à remplir, ce qui serait encore pire et, en tout état de cause, en contradiction avec ce qu’est l’importance de la mort dans une vie.

Quel peut être le rôle des directeurs dans les établissements ?

D. S. : Il est très important. Paradoxalement, le directeur a probablement plus de capacité à faire comprendre l’importance d’une attention portée à la mort des personnes que les médecins. Les médecins ont en effet très peur de la mort. Elle les confronte à leur propre impuissance et ils ne sont pas préparés à y faire face. La mort, c’est le non-dit de l’hôpital et de la médecine. Un futur médecin peut très bien terminer ses études sans avoir vu un cadavre. La fonction soignante a perdu le contact avec la mort. Les directeurs ont au contraire la capacité de ne pas aller dans le sens commun qui est la fuite ou la censure mais d’anticiper et d’avoir une véritable politique dans ce domaine. Et de ne pas laisser aux seuls médecins une responsabilité qu’ils ne veulent pas et ne peuvent pas assumer.

Dans les derniers jours de la vie, le transfert vers l’hôpital est-il une solution ?

D. S. : Non. Ce n’est pas une bonne solution que d’adresser de manière systématique un résident en fin de vie à l’hôpital. On va le déplacer, l’extraire de son univers pour l’envoyer dans un service hospitalier dans lequel il n’y a pas forcément de place pour l’accueillir si ce n’est aux urgences et où il peut mourir dans l’indifférence générale. C’est irrespectueux des personnes. Passer une convention avec un hôpital peut toutefois avoir sa fonction mais cela doit être pensé et ne pas aboutir à une forme d’automatisme débouchant sur un transfert à l’hôpital dès que cela va mal.

 

Propos recueillis par Pierre Perrier

 

Une forme de solidarité universelle

Pour le Professeur Jean-Claude Ameisen, Président du CCNE, « l’idée d’accompagner, d’aider et de soulager la souffrance devrait être une forme de solidarité universelle dans notre pays ». Les soins palliatifs ne sont donc pas exclusivement une affaire de spécialiste ni « une ressource extrême au dernier moment au dernier jour ». Ils doivent bien au contraire intervenir « à chaque fois qu’il y a souffrance et qu’il y a douleur même si le décès n’est pas prévu à court terme ». Et ce chercheur, spécialiste de l’apoptose, la mort programmée des cellules, est persuadé qu’il n’y aura pas de fin de vie « digne » s’il n’y a pas « une prise en compte de la volonté des personnes et de leurs choix dans les mois et les années qui précèdent cette fin de vie ». Il convient donc, comme il le précise, que « toutes les composantes de la société, et donc les établissements de soins et d’hébergement pour personnes âgées, se considèrent comme au service des personnes qu’ils accueillent plutôt que de souhaiter qu’ils se conforment à une norme ou qu’ils rentrent dans un cadre ». C’est pour Jean-Claude Ameisen « autant un changement culturel qu’une nécessité d’investissement financier, humain et structurel ».

Dans son dernier avis, le CCNE recommande de renforcer les soins palliatifs et de rendre contraignantes les directives anticipées rédigées en présence du médecin. C’est même, pour le Comité, le seul sujet sur lequel la loi doit évoluer.

 

Fin de vie : les états généraux dans les starting-blocks

À la suite des conclusions de la commission Sicard1, le Président de la République a saisi le CCNE sur trois questions : le suicide assisté, la sédation et les directives anticipées. Le Comité a rendu un premier avis prudent au début de l’été2 : très réservé sur l’assistance au suicide, il a ouvert la voie à une sédation profonde en phase terminale. Mais cela n’a été qu’une étape dans sa réflexion.

D’une part, le CCNE était alors en cours de renouvellement : le mandat de la moitié de ses membres est en effet arrivé à échéance le 15 juin. D’autre part, surtout, le temps du débat public est à présent venu sous la forme, comme le prévoit la loi bioéthique de juillet 2011, d’états généraux avec des « conférences de citoyens choisis de manière à représenter la société dans sa diversité ». Durant quatre week-ends, cet échantillon de la population française va cogiter et rencontrer des experts. Il remettra ses recommandations d’ici la mi-décembre. En complément, les espaces éthiques régionaux organiseront des rencontres. La formule retenue est proche de celle utilisée lors des états généraux de la bioéthique de 2009. In fine, le CCNE se prononcera ensuite à nouveau en début d’année prochaine.

Mais il sera alors dans une nouvelle configuration puisque 22 de ses membres ont été renouvelés par arrêté du 11 septembre 2013. À noter, en particulier, l’arrivée du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, qui a été désigné par le Conseil d’État.

 1 « Penser solidairement la fin de vie », Commission nationale sur la fin de vie en France, décembre 2012.

2 « Fin de vie, autonomie, volonté de mourir », CCNE, avis n°121, 1er juillet 2013.

 

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