L’unique fonds documentaire pluridisciplinaire sur le vieillissement existant en France est menacé de destruction. La Fondation nationale de gérontologie (FNG) a en effet été liquidée en décembre 2014 faute d’avoir trouvé les modestes financements qui lui faisaient défaut.
Aucune solution n’a été mise en œuvre pour la reprise de ce riche fonds documentaire qui reste donc stocké sans surveillance dans un immeuble, jadis financé par la FNG, mais qui appartient désormais à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. Cet immeuble est promis à la démolition dans quelques mois.
La disparition, décidée par les pouvoirs publics, de la FNG a été actée dans une impréparation totale. De quarante-cinq ans d’action, il a été fait table rase. Rien n’a été mis en œuvre pour bâtir un projet alternatif plus en phase avec les besoins de la recherche et de la formation en gérontologie, tel un institut du vieillissement, souvent évoqué mais jamais réalisé. Cela est d’autant plus incompréhensible qu’une loi d’orientation et de programmation pour l’adaptation de la société française au vieillissement est en cours de discussion au Parlement. De plus, elle ne se limite pas à la prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie puisque son ambition est plus vaste et vise à faire de la longévité et du vieillissement un atout pour la France. Dès lors que les questions sociétales sont au cœur du débat, il semble que les recherches fondamentales et appliquées en sciences humaines et sociales sont les mieux placées pour éclairer les décisions publiques. Comment comprendre que dans le même temps on laisse disparaître un instrument majeur de soutien à la recherche ?
200 000 euros sur quelques années suffiraient
Si le fonds documentaire venait à être dispersé ou détruit dans les prochains mois, ce serait une régression terrible infligée à la gérontologie française. Si aucune solution n’étaient rapidement concrétisée, ce seraient alors 2 829 mémoires, 1 035 thèses, 7 951 ouvrages, 5 031 numéros spéciaux de revues (300 titres) et autres fascicules, 160 actes de congrès publiés dans une revue, 2 567 communications à des congrès, 6 470 rapports et brochures divers, 600 dossiers thématiques, une médiathèque unique en France de 1 430 références qui disparaitraient.
Des millions d’euros de deniers publics ont été consacrés pendant quarante ans à constituer ce fonds et à accueillir chercheurs, formateurs et étudiants de tous pays. Quelque 200 000 euros sur quelques années suffiraient à assurer sa modernisation, sa valorisation et sa transformation en un système d’information performant sur le vieillissement, adapté aux besoins des chercheurs comme des professionnels, ainsi qu’aux impératifs de formation et d’enseignement, à l’aune de ce qui existe chez nos voisins européens.
Ce fonds est unique au monde en ce qu’il rassemble tous les travaux de recherche français menés depuis les années soixante en gérontologie sociale. Il a bénéficié en outre de dons de fonds privés provenant des pionniers de la gérontologie en France, notamment le Professeur Michel Philibert. Laisser disparaître ce fonds serait renoncer à l’effort de promotion et de valorisation de la recherche francophone au profit de la prééminence des travaux anglo-saxons dans ce domaine. Le site web de la FNG qui permettait l’accès aux bases de données n’est plus maintenu depuis mai 2014.
La communauté des chercheurs en sciences sociales et des enseignants et formateurs travaillant sur les questions de vieillissement s’est mobilisée pour sa sauvegarde. Deux rapports établis sur ce sujet ont été remis aux ministères concernés : Affaires sociales et Recherche. La solution de reprise la plus prometteuse serait l’intégration à terme du fonds au Grand ensemble documentaire (Ged) du futur Campus Condorcet. Ce campus de recherche et de formation en sciences humaines et sociales d’envergure européenne et internationale est en projet depuis 2008 à Aubervilliers. Le GED rassemblera les bibliothèques et les centres documentaires des membres fondateurs du Campus Condorcet (Institut national d’études démographiques, École des hautes études en sciences sociales, les Universités Paris 1, Paris 13 et École pratique des hautes études). Mais cela ne pourrait se concrétiser que dans plusieurs années pendant lesquelles la sécurité et la maintenance du fonds devront être assurées ainsi que sa modernisation.
Que trois mois, au plus, pour trouver une solution
Quelques réunions ont eu lieu avec les deux ministères mais aucune des pistes avancées n’a été durablement explorée. Des établissements publics d’enseignement et de recherche devaient se rencontrer fin janvier 2015 à ce sujet pour bâtir un projet partenarial de reprise mais aucun financement n’est en vue, ni de locaux susceptibles d’accueillir en urgence le fonds alors qu’il ne reste que trois mois, au plus, pour trouver une solution.
L’héritage de Pierre Laroque, fondateur de la Sécurité sociale comme de la FNG, est ainsi à l’abandon. L’absence d’action des tutelles renforce le récent constat de l’Inspection générale des Affaire sociales (Igas) selon lequel les plans Solidarité grand âge et Alzheimer ont, malgré des progrès, été insuffisants en matière de recherche et de formation universitaire. Elle trouve un écho dans le report à 2016 de la mise en œuvre de la future loi sur le vieillissement.
La communauté des chercheurs en sciences humaines et sociales et des professionnels en gérontologie a vainement œuvré pour éclairer la recherche de solutions. Elle alerte à nouveau les acteurs de la politique du vieillissement et les ministères chargés des Affaires sociales, de la Santé, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche sur l’urgence d’une solution et d’un financement appropriés.
Anne-Marie Guillemard 1
La Fondation nationale de gérontologie, un monument en péril
La Fondation nationale de gérontologie (FNG), reconnue d’utilité publique, a été créée à l’initiative des pouvoirs publics et des organismes de protection sociale en 1967. Elle est directement issue des recommandations du rapport Laroque intitulé « Politique de la vieillesse : rapport de la commission d’études des problèmes de la vieillesse » et publié en 1962 (réédité sous le même titre par L’Harmattan en 2014). Pierre Laroque, Conseiller d’État et père fondateur de notre protection sociale, en a été le premier président. Elle constituait un centre de ressources unique au niveau national par la richesse de son fonds documentaire sur toutes les questions relatives à la vieillesse et au vieillissement et sa vocation interdisciplinaire dans le cadre de laquelle tous les aspects du vieillissement – démographiques, psychologiques, sociaux, politiques et économiques – étaient abordés. De plus, en son sein, un véritable dialogue s’était instauré, à poids égal, avec les sciences médicales et les professionnels du secteur gérontologique à travers les journées d’études qu’elle organisait et ses publications.
La FNG a constitué, au fil du temps, un important fonds documentaire sur le sujet ainsi qu’une médiathèque qui sont aujourd’hui à l’abandon. Elle a également créé et animé une revue scientifique Gérontologie et Société. Cette dernière présente la spécificité d’être pluridisciplinaire et ouverte aux professionnels du secteur. La gestion de cette revue a été reprise par la Caisse nationale d’Assurance vieillesse (CNAV) et un nouveau comité de rédaction est en cours de constitution. Elle reparaîtra avant la fin de l’année 2015.