La santé orale est un facteur prédictif de la dénutrition de la personne âgée en Ehpad. Panorama non exhaustif des solutions pour préserver la santé bucco-dentaire et, partant, la santé générale des résidents.
Les Ehpad sont parfois démunis face au problème de la dénutrition, lequel se caractérise pourtant par une forte prévalence en établissement, a rappelé le Dr Geneviève Ruault, Déléguée générale de la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG), à l’occasion de la 13e Journée de santé publique dentaire organisée le 7 novembre dernier à la Faculté de chirurgie-dentaire Paris-Descartes Montrouge. Cette prévalence oscillerait entre 15 et 38 % des résidents selon la Haute autorité de santé (HAS) et atteindrait 45 % d’après une étude parue en 20111. Ses conséquences sont graves : risque de décès multiplié par deux à quatre, risque de morbidité multiplié par deux à six, aggravation de la perte d’autonomie et diminution de la qualité de vie. « Il faut, parmi les facteurs de risque de dénutrition, repérer l’ensemble des situations cliniques qui entraînent à la fois une réduction des apports alimentaires et une augmentation des besoins, préconise le Dr Geneviève Ruault. Parmi les causes de réduction des apports, figure le mauvais état bucco-dentaire des personnes âgées. »
Fragilité buccale naturelle
Une détérioration qui n’est pas rare. « Une personne âgée est, du fait de son âge, fragilisée jusque dans sa cavité buccale : le système de défense immunitaire naturelle présent dans sa bouche est diminué ; ses dents sont moins solides ; les os de ses mâchoires et ses gencives sont plus sensibles ; la quantité de sa salive est moindre, explique le Dr Joseph John Baranes, chirurgien-dentiste titulaire d’un Diplôme universitaire (DU) Odontologie clinique et vieillissement. De ce fait, la nutrition de la personne âgée est subrepticement perturbée. Celle-ci s’orientera, pour des raisons d’incapacité ou de facilité, vers des aliments plus faciles à mâcher. » La personne aura ainsi plus tendance à délaisser la viande, les fruits frais et les fibres pour consommer de préférence des pâtes et des sucres. Et ce, d’autant plus si elle a partiellement perdu ses dents et ne porte pas de prothèse. Les conséquences ne se font pas attendre : amaigrissement, diminution musculaire et donc augmentation du risque de chute, augmentation du nombre de pathologies buccales pouvant déboucher sur des pathologies généralisées de l’organisme.
Cette tendance s’accentue malheureusement en Ehpad. « Les résidents de ces établissements manquent parfois de matériel, comme une loupe grossissante ou une brosse à dent avec un manche permettant une meilleure préhension. Ils ont en outre parfois une mauvaise vue qui les empêche de se brosser correctement les dents », déplore le Dr Baranes. De plus, d’après une étude de l’Institut de veille sanitaire (InVS) de mars 2013, la vie en institution réduirait le recours au chirurgien-dentiste de près de 25 % par rapport à la vie à domicile, faute pour les aidants naturels ou les aidants professionnels de pouvoir accompagner régulièrement les résidents dans un cabinet libéral.
Outils pédagogiques
Pour le Dr Geneviève Ruault, la prévention de la dénutrition requiert donc notamment une évaluation de l’état bucco-dentaire à l’entrée en établissement par un chirurgien-dentiste et son corollaire, à savoir la mise en œuvre des soins dentaires et des adaptations prothétiques nécessaires. Elle passe aussi par le maintien de l’hygiène bucco-dentaire au quotidien et la formation des personnels des Ehpad. À ce titre, « l’outil pédagogique du programme MobiQual2 consacré à la nutrition-dénutrition-alimentation de la personne âgée en Ehpad s’adresse à l’ensemble des acteurs professionnels intervenant en Ehpad. Il leur permet d’améliorer le service rendu, de favoriser le développement d’un langage commun et de liens de coopération mais également de valoriser le travail des soignants et de rôle de chacun des acteurs. Il contient des éléments de référentiels, des outils de formation et des fiches pratiques dont une consacrée à l’hygiène bucco-dentaire », précise la Déléguée générale de la SFGG. Par ailleurs, la HAS a élaboré en 2007 une série de recommandations intitulées « Stratégie de prise en charge en cas de dénutrition protéino-énergétique chez la personne âgée » et destinées aux professionnels du secteur gériatrique et gérontologique.
Référent en santé orale
Il est important de prendre conscience que l’hygiène bucco-dentaire participe de l’hygiène générale de la personne âgée et de transmettre les bonnes pratiques, souligne en outre le Dr Baranes : « Les soins de bouche figurent dans la liste du cahier de l’infirmier répertoriant les actes et activités entrant dans le champ de compétences de ce dernier. Les infirmiers abordent toutefois assez peu ce sujet en Ifsi (Institut de formation en soins infirmiers, N.D.L.R.) et se sentent parfois démunis face à la personne âgée parce qu’elle est opposante ou parce qu’ils ont peur de lui faire mal. Il est donc primordial de renforcer la formation des infirmiers, de leur donner une méthodologie pour leur permettre d’effectuer ces soins plus aisément. » L’idéal, selon le Dr Baranes, est aussi de nommer un référent en santé orale – un infirmier ou un cadre de santé – chargé de piloter de façon pérenne le projet bucco-dentaire au sein de l’établissement, de créer une dynamique collective autour de ce projet et de réinjecter régulièrement des connaissances en santé orale auprès des équipes souvent sujettes au turn-over.
Nathalie Ratel
1 Prévalence de la dénutrition protéino-énergétique en Ehpad, menée par P. Blin, N. Maubourguet, M. Ferry et J.M. Vetel, parue en mars 2011 dans la Revue de Gériatrie
2 Programme proposé par la SFGG pour améliorer la qualité du service rendu en établissements et services médico-sociaux, dont les outils sont accessibles via le site Internet www.mobiqual.org
Pour aller plus loin– Améliorer l’hygiène bucco-dentaire en Ehpad : Quelle organisation mettre en place ?, une fiche pratique réalisée en juin 2013 par l’association Santé orale, handicap, dépendance et vulnérabilité (Sohdev) et le centre hospitalier Le Vinatier (Bron, Rhône-Alpes). |