Téléconsultation, télé-expertise, téléassistance… : la télémédecine sous toutes ses formes se déploie dans les établissements.
La stratégie nationale et régionale de déploiement de la e-santé, relancée en 2010 avec la publication du décret relatif à la télémédecine (lire encadré ci-contre), inclue les Ehpad. Le groupe Korian participe, par exemple, à la mise en place d’un réseau de télé-expertise en dermatologie en Île-de-France coordonné par l’hôpital Saint-Louis à Paris. Les spécialistes des hôpitaux et des centres de dermatologie associés au projet formulent ainsi des avis à partir des photos envoyées par téléphone ou par mail par le personnel soignant des maisons de retraite. « L’interprétation des images se fait à distance et en temps différé » sans que les résidents aient à subir un transport en ambulance souvent perturbant et fatigant pour eux, souligne le Dr François Bertin-Hugault, médecin gériatre et directeur médical au sein du groupe Korian. Le groupe participe également, en Haute-Normandie, au programme Télémédecine en structure médico-sociale. Celui-ci prévoit, dès 2013, la mise en place de téléconsultations et de télé-expertises en psychiatrie et en gériatrie. Au total, trente-six Ehpad sont potentiellement concernés.
Diagnostic à distance
Les ARS sont à ce jour les principaux moteurs du déploiement de la télémédecine. Les Ehpad souhaitant participer aux appels à projets – avec des subventions à la clé – sont les bienvenus. En mai 2012, le groupe Orpéa a ainsi été autorisé par l’ARS d’Île-de-France à se lancer dans ce domaine moyennant une aide publique d’un million d’euros pour trois ans. À compter de mai 2013, quatre Ehpad et deux cliniques du groupe coopèreront pour éviter les transferts injustifiés aux urgences les nuits et les jours fériés, grâce à la mise en place d’un système de téléconsultation d’un médecin de garde, expliquent le Dr Linda Benattar, directrice médicale, et le Dr Roxane Simon-Prel, chef de projet stratégie médico-économique au sein d’Orpéa.
« Il s’agit d’effectuer un diagnostic à distance et non un traitement à distance », précisent-elles. L’aide-soignant de l’Ehpad pose une série de questions au résident et les réponses sont retransmises par webcam au médecin contacté à distance. Ce dernier peut interagir avec l’aide-soignant pour compléter le télédiagnostic, accéder au dossier médical du résident via un système informatique sécurisé et prendre connaissance des données récoltées par l’aide-soignant (l’état des constantes du résident et les résultats des tests de spirométrie), ce dernier ayant été préalablement formé à certains gestes techniques. Pour aller plus loin, le projet d’Orpéa prévoit aussi la possibilité de téléconsultations, organisées en urgence ou programmées de longue date, avec les psychiatres, gérontopsychiatres et cardiologues des établissements de soins partenaires via un numéro de téléphone spécial.
Mutualisation des savoirs
Les projets, validés par les ARS, ont vocation à être généralisés auprès de tous les Ehpad. Ainsi, le programme d’Orpéa en Île-de-France doit-il « s’étendre à dix-neuf Ehpad et quatre cliniques dont deux Ehpad publics ou privés hors groupe d’ici trois ans », selon les deux médecins d’Orpéa. Une façon de mutualiser les compétences de tous les établissements sanitaires et médico-sociaux mais aussi de permettre à chaque Ehpad de profiter de ressources médicales précieuses dans les zones où celles-ci manquent.
En outre, grâce à des consultations de spécialistes plus régulières et surtout « au bon moment » et non pas lorsqu’il est trop tard, la e-santé permet un meilleur suivi de l’état de santé des résidents, estime le Dr François Bertin-Hugault. Elle « facilite le dialogue entre les soignants de l’hôpital et de l’Ehpad », ajoute le Dr Roxane Simon-Prel. Ce qui a son importance lorsque le médecin traitant de la personne âgée ne peut être présent pour répondre aux questions des hospitaliers relatives, par exemple, aux antécédents médicaux du senior.
Quels freins ?
Selon le Dr Pierre Espinoza, coordonnateur du réseau Télégéria piloté par l’Hôpital européen Georges Pompidou à Paris, interrogé par la Haute autorité de santé (HAS) en avril 2011, la « tarification de l’activité » et sa « reconnaissance médico-économique » sont les « points clés du déploiement » de la télémédecine. Pour le Dr François Bertin-Hugault, c’est précisément là que le bât blesse : « Il n’y a pas de modèle de financement : les subventions accordées par les ARS visent à l’acquisition et à l’installation du matériel mais pas à la rémunération des actes de télémédecine réalisés grâce à ce matériel. » Une négociation avec l’Assurance maladie sera donc nécessaire pour faire reconnaître ce type d’actes supposés, à terme, générer des économies.
Autres freins possibles au développement de la télémédecine : elle implique une politique organisationnelle conséquente incluant la sécurisation des données de santé et la formation des futurs utilisateurs ainsi qu’un coût financier élevé pour installer et entretenir le matériel malgré l’aide des ARS. Un investissement qui peut s’avérer lourd pour les établissements isolés.
Nathalie Ratel
Ce que disent les textesEn vertu du décret du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine, publié en application de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009, relèvent de la télémédecine « les actes médicaux, réalisés à distance, au moyen d’un dispositif utilisant les technologies de l’information et de la communication ». Il s’agit d’actes de téléconsultation permettant « à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient » ; de télé-expertise afin qu’un professionnel de santé puisse solliciter à distance l’avis d’un ou de plusieurs confrères, de télésurveillance médicale pour « interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical d’un patient et, le cas échéant, prendre des décisions relatives à la prise en charge de ce patient » ; de téléassistance médicale ; enfin, de « réponse médicale » apportée dans le cadre de la régulation médicale. Les actes de télémédecine sont réalisés « avec le consentement libre et éclairé de la personne ». Par ailleurs, l’activité de e-santé doit être prévue par « un programme national défini par arrêté des ministres chargés de la Santé, des Personnes âgées, des Personnes handicapées et de l’Assurance maladie », par un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens ou « ayant pour objet d’améliorer la qualité et la coordination des soins » ou encore par un « contrat particulier signé par le directeur général de l’Agence régionale de santé (ARS) et le professionnel de santé libéral ». |