Jean-Marie Delarue, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, a choisi de porter le débat sur la place publique quitte à manier la provocation. Le rapport qu’il a remis le 25 février au Président de la République contient en effet un chapitre intitulé « Les établissements pour personnes âgée dépendantes : lieux de privation de liberté ? » Un point d’interrogation de pure forme ?
Certes, comme Jean-Marie Delarue s’est empressé de le préciser sur les ondes de France-Info, histoire de calmer les esprits, les Ehpad « ne sont pas des prisons ». Mais si leurs pensionnaires ne sont évidemment pas des détenus de droit commun, la situation des uns et des autres serait in concreto comparable sur certains points. Et Jean-Marie Delarue de s’interroger : « Du point de vue pratique et réaliste, est-ce qu’il n’y a pas privation de liberté dans ces lieux parce qu’il n’y a pas assez de personnels, parce que les besoins de sécurité sont là, parce que l’on n’a pas envie que les gens se perdent dehors ? Est-ce que dans ces lieux-là, en dépit du dévouement de tous, il n’y a pas quelque fois des risques de gestes d’impatience, de contention utilisée un peu abusivement ? Nous pensons que oui et que nos visites peuvent être utiles ». « Faculté d’aller et venir que théorique », admission des résidents en Ehpad « parfois à l’insu de leur plein gré », risque de maltraitance à l’encontre de « ces malheureux qui sont difficiles à prendre en charge » et parfois « bouclés », « devoir de transparence pour les familles et le grand public » : tels sont les motifs qui justifieraient, pour Jean-Marie Delarue, que ses services soient habilités à effectuer des contrôles inopinés. Et ce, à titre préventif, pour « rendre service aux établissements ». Il a d’ailleurs déposé un avant-projet de loi en ce sens en mai 2012 auprès de Matignon… qui n’a pas donné suite. En somme, Jean-Marie Delarue entend prêcher sur le terrain sans « jeter la pierre à personne » ni « indisposer les professionnels ».
« Un rapprochement particulièrement blessant pour tous les professionnels »
Justement, qu’en pensent ces derniers ? Visiblement pas du bien. « Nous avons été profondément surpris par cette demande par médias interposés, admet Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Synerpa. Nous considérons comme assez violent l’amalgame entre maisons de retraite et lieux de privation de liberté. Nous sommes totalement opposés à l’incursion du Contrôleur général dans notre secteur car les établissements, dont les directeurs engagent leur responsabilité civile et pénale, sont déjà l’objet de beaucoup de contrôles programmés ou inopinés de la part des ARS, des Conseils généraux, des services vétérinaires, des pompiers, de l’Inspection du travail etc. Il ne nous paraît donc pas opportun de rajouter un surcontrôle à ces contrôles. »
Surtout, les directeurs n’ont pas attendu Jean-Marie Delarue pour s’atteler au problème : « Depuis le plan Alzheimer 2008 et la création des unités Pasa-UHR, le secteur n’a cessé d’alimenter une véritable réflexion sur l’organisation des espaces fermés, en particulier dans le cadre du projet de vie collectif et individualisé, rappelle Florence Arnaiz-Maumé. Dans ce cadre, il s’est donc déjà autosaisi de la délicate question du respect des droits et libertés fondamentaux par rapport au nécessaire et parfois prioritaire besoin de sécurité des personnes fragiles. Et c’est bien aujourd’hui avec Madame Delaunay, ministre des Personnes âgées et de l’Autonomie, et ses services que nous souhaitons aborder et compléter cette réflexion afin de l’améliorer sans cesse. »
Michèle Delmaunay devrait siffler la fin de la partie
La Fédération hospitalière de France a également peu goûté « le rapprochement particulièrement blessant pour tous les professionnels » induit par Jean-Marie Delarue. « Ce n’est pas du tout à propos en ce qui concerne les Ehpad qui sont des lieux tout à fait ouverts où le bien-être est au centre de la prise en charge », affirme la FHF. Pour la Fédération, il s’agit d’une tempête dans un verre d’eau : « Ces situations se résolvent au quotidien dans le cadre de réunions d’équipe et en se conformant aux bonnes pratiques qui guident l’action des professionnels. Ce n’est pas un problème ni un sujet qui mérite d’être reposé sur la table. L’important est plutôt de participer à l’image positive des établissements ainsi qu’à la reconnaissance et à la valorisation du travail des professionnels. Et d’être dans une logique accordant davantage de moyens aux établissements. »
Seul son de cloche véritablement discordant, celui de la Fnapef (lire encadré ci-contre). Toujours est-il que la ministre en charge des Personne âgées et de l’Autonomie, Michèle Delaunay, devrait prochainement siffler la fin de la partie. Elle reproche à Jean-Marie Delarue de poser les bonnes questions mais d’y apporter de mauvaises réponses. À ses yeux, tout comme à ceux de la Fehap, considérer un Ehpad comme un « lieu en soi limitatif de liberté aurait deux conséquences fâcheuses ». Ce serait là donner « un signe peu encourageant pour les âgés eux-mêmes » assure-t-elle avant de s’interroger pour savoir « comment le vivraient les personnels de ces Ehpad ».
Alexandre Terrini
La Fnapaef se distingueJoëlle le Gall, la présidente de la Fédération nationale des associations de personnes âgées et de leurs familles (Fnapaef), est loin de s’inscrire en faux contre la proposition de Jean-Marie Delarue et partage le constat qu’il fait : « Quand il dit qu’il faut aussi faire des contrôles dans les Ehpad parce que ce qu’il s’y passe peut être comparable à des situations en prison, nous sommes malheureusement obligés de dire oui car les personnes en Ehpad sont quelques fois privées d’un certain nombre de leurs droits. Plein de petites choses cumulées font qu’il y a une sensation de privation de liberté. » |