Michèle Delaunay,
ministre déléguée chargée
des Personnes âgées et de l’Autonomie
La perspective des Ehpad est de devenir de plus en plus professionnels
La ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie s’est, dès son entrée en fonction, attaquée aux dossiers majeurs en souffrance. Parmi eux, la réforme de la dépendance, bien sûr, mais aussi les suicides en établissements et la nécessité de donner aux Ehpad les moyens d’assumer de manière optimale leurs missions.
Cet été, vous avez pris un certain nombre de décisions concernant les tarifs mais aussi les moyens dévolus à la médicalisation et à l’investissement. Quelles sont vos perspectives dans ce domaine à la veille des débats sur le prochain Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2013 ?
Michèle Delaunay : L’une de mes premières préoccupations a en effet été d’aborder la situation des Ehpad et de mesurer leurs besoins et ceux de leurs résidents. Nous avons donc débloqué, dès cet été, une enveloppe de 50 millions d’euros pour favoriser les investissements. Nous avons également débloqué 50 autres millions d’euros sous forme d’autorisations d’engagements en faveur de la médicalisation. Ces crédits peuvent d’ores et déjà être engagés mais ils ne seront payés qu’à partir du 1er janvier prochain. Cela permet de gagner six mois pour la concrétisation des projets. Je considère ces deux mesures comme des signes importants adressés aux Ehpad. En outre, dans le cadre du prochain PLFSS, nous allons de nouveau faire un effort très important en termes de médicalisation, c’est-à-dire en termes d’accompagnement des personnes âgées en établissements.
À propos de médicalisation, je voudrais souligner que l’une de mes exigences, pour les mois et les années à venir, est de faire entrer dans les Ehpad la culture des soins palliatifs. Cela suppose des connexions avec les unités de soins palliatifs des hôpitaux et avec les équipes mobiles. Cela suppose aussi que les équipes des Ehpad puissent mettre en place cette culture des soins palliatifs, laquelle est conditionnée par la formation des équipes mais aussi par un nombre suffisant de personnels.
Pensez-vous être en mesure de faire les efforts suffisants pour atteindre un niveau d’encadrement satisfaisant ?
M. D. : Rien n’est jamais suffisant et je le comprends parfaitement. J’espère que les décisions prises cet été auront au moins constitué un pas en avant. Il faut en faire d’autres. C’est pour moi, comme disait le Général de Gaulle, une ardente obligation et une urgente obligation. Il faut consolider les équipes et accompagner les grands âgés de manière décente et positive.
À ce propos, j’ai préparé un courrier pour que les personnels des Ehpad soient remerciés de leur engagement au moment de la canicule. Sous réserve des chiffres précis, nous n’avons pas connu de taux de surmortalité. On le doit en grande partie aux équipes des Ehpad qui ont redoublé de sollicitude. Je voudrais qu’elles en soient remerciées et que le public en soit informé.
Un deuxième sujet a malheureusement fait l’actualité cet été. Il s’agit des suicides en établissements. Vous avez annoncé la création d’un groupe de travail. Quels sont ses objectifs ?
M. D. : En juillet, j’ai en effet été quotidiennement alertée du nombre de suicides. Ces suicides sont radicaux dans le sens où il ne s’agit pas ici d’appels au secours mais bien de personnes qui veulent en finir avec la vie. J’ai voulu lever un tabou et faire en sorte que l’on parle enfin du suicide des personnes âgées. On méconnaît la dépression de ces personnes que l’on met trop souvent sur le compte de l’âge. Ce qui me choque encore plus que le suicide lui-même, c’est la souffrance qui y conduit. Les pouvoirs publics ne peuvent pas rester silencieux face à ces personnes qui se trouvent en détresse totale. Mon devoir de ministre est d’aller au-delà du constat et d’essayer de faire quelque chose. J’ai donc décidé de créer un groupe de travail pour mettre au clair les chiffres et mettre en commun les expériences. Nous devons travailler avec deux objectifs. Premièrement, détecter et diagnostiquer les signes de dépression. La dépression de la personne âgée est en effet très fréquente. C’est vrai dans les familles comme dans les établissements. Je souhaiterais que mes confrères médecins mais aussi tous les personnels soient extrêmement vigilants face aux signes d’alerte. Je vais regarder de près s’il est possible de mettre en place une formation de l’ensemble des personnels, y compris administratifs. Il nous faut aussi, et ce sera le deuxième objectif du groupe de travail, traiter ces dépressions.
« Je peux témoigner de la volonté d’avancer de |
Dans vos interventions, vous semblez vouloir éviter toute stigmatisation de tel ou tel établissement ou famille. Que doivent comprendre les équipes d’Ehpad de votre démarche ?
M. D. : Toute la connaissance que nous avons des suicides repose sur les signalements par les établissements. Et si je comprends leurs réserves et leur prudence, je les incite à le faire et demande aux ARS de me les transmettre. Ce n’est pour moi en aucun cas une volonté de stigmatisation d’un établissement ou d’une équipe, au contraire. Nous cherchons à mettre en évidence tout ce qui peut les aider. Il faut que cela soit dit très clairement. Un suicide dans un Ehpad ne veut pas dire que cet établissement est maltraitant. Mais cela en appelle à la vigilance et à la formation des équipes pour qu’elles puissent reconnaître les signes de dépression et mettre en place des moyens pour traiter et accompagner les personnes.
Concernant l’avenir des Ehpad, comment voyez-vous leur évolution et leur place dans la prise en charge des personnes âgées sur un territoire ?
M. D. : Je crois que la perspective des Ehpad est de devenir de plus en plus professionnels. Pour des raisons humaines mais aussi des raisons de gestion, nous souhaitons que les personnes restent le plus longtemps possible à domicile et que l’offre de domicile soit diversifiée. Ce qui signifie que les Ehpad vont recevoir des patients – le choix de ce mot n’est pas innocent de ma part – de plus en plus en perte d’autonomie. Cela suppose donc une forte médicalisation et la mise en place d’un accompagnement de qualité. Cela implique aussi que ces Ehpad, qui seront des lieux de qualification du personnel, puissent être les têtes de pont de véritables réseaux gérontologiques. Ils auront à coordonner l’aide à domicile avec les services de soins à domicile. Ils devront être aussi des lieux de ressource pour les familles. Les accueils de jour, voire les accueils transitoires, y contribuent. Ces formules doivent être favorisées pour que l’entrée en établissement ne soit plus une rupture brutale. Une familiarisation en amont est nécessaire.
Les personnes ont besoin de savoir que le personnel est compétent et sympathique, que celui qui est venu à domicile est en relation avec l’Ehpad etc. Tout cela s’intègre à la fois dans un réseau social de la personne mais aussi dans un réseau de professionnels.
J’ai visité un certain nombre d’établissements et je peux témoigner de la volonté d’avancer de toutes les structures. Personne ne m’a exprimé son refus d’évoluer. Tous perçoivent leur rôle social et sociétal, en particulier dans des petites villes ou des zones menacées de désertification médicale. Les Ehpad et leur personnel ont un rôle structurant du territoire car leur présence peut être, par exemple, la condition du maintien d’une pharmacie dans le voisinage et l’un des éléments qui font que la désertification médicale sera évitée etc.
Ces évolutions vont-elles enfin être accompagnées par une réforme de la dépendance que l’on ne sait plus par quel bout prendre ?
M. D. : J’ai choisi d’aborder le problème dans sa globalité. Cette réforme va devenir une loi plus globale sur l’avancée en âge. Elle comprendra des volets différents sur la prévention, sur l’adaptation de la société en matière de logement, d’urbanisme et de déplacement ainsi que sur l’accompagnement. Les établissements tiendront une grande part dans ce dernier chapitre. Je souhaite que cette loi pense globalement l’avancée en âge dont on ne dit pas suffisamment qu’elle est maintenant de trente à quarante ans entre la fin de l’activité et la fin de vie. Aucun gouvernement en Europe n’a jusqu’ici eu cette approche globale. C’est à ce chantier considérable que nous nous attelons. Les établissements y auront un rôle majeur, en particulier pour la période de vie où la perte d’autonomie s’est installée et où les personnes ne peuvent plus rester à domicile.
Avez-vous déjà fixé une échéance pour cette réforme ?
M.D. : Nous devons tous être très prudents d’autant que la situation budgétaire n’est pas simple. Mais je sais la volonté d’aboutir de François Hollande et de Jean-Marc Ayrault. C’est pourquoi je crois pouvoir m’engager sur un point : ce sera dans la première moitié du quinquennat, à savoir 2013 ou mi-2014.
Propos recueillis par Grégoire Sévan