La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées célèbre ses dix ans. Chacun se penche actuellement, avec plus ou moins de satisfaction, sur son bilan, notamment en matière d’inclusion sociale. Dans le même temps, qu’en est-il de la participation sociale de ces « personnes en situation de handicap » que l’on nomme « personnes âgées dépendantes », en particulier lorsqu’elles vivent en Ehpad ?
Les concepts de participation sociale et de démarche inclusive sont issus du monde du handicap. Ils désignent respectivement la possibilité de réaliser ses habitudes de vie (activités courantes et rôles sociaux) en milieu ordinaire et la participation des personnes aux décisions qui les concernent. La question qui nous intéresse ici est de savoir quelles sont les possibilités d’application de ces concepts à ces personnes dont le milieu de vie « ordinaire » est l’Ehpad.
La loi du 11 février 2005 a notamment pour objectif l’inclusion sociale des personnes handicapées par opposition à la vie en milieu institutionnel : droit à la scolarisation en dehors d’une classe ou d’un établissement spécialisé, accès à l’emploi en dehors des ateliers protégés etc. L’application de ce principe au domaine gérontologique s’affirme aujourd’hui dans les politiques et les actions qui visent à favoriser la vie à domicile (développement des services, coordinations, adaptation du logement, accès aux loisirs, aux transports…).
En établissement pour personnes âgées dépendantes, par participation sociale, on entend souvent vie citoyenne que l’on traduit par la question de l’exercice du droit de vote, l’accès à la vie de la Cité… Bref, par la réalisation de ses droits en dehors de l’établissement, ce qui est nécessaire mais non suffisant. Quant aux habitudes de vie, on les cantonne parfois aux activités courantes qui sont d’ailleurs les seuls indicateurs du degré d’autonomie (grille AGGIR). Pourtant, à défaut de trouver des solutions de retour à domicile, pour le résident, le « milieu ordinaire » est l’Ehpad et la réalisation de ses habitudes de vie ne se limite pas aux activités courantes mais comprend également le maintien et le développement de ses rôles sociaux. Dès lors, il nous appartient de réfléchir à la transposition de la notion de rôle social (avoir des responsabilités, des relations interpersonnelles, une vie communautaire, l’éducation, le travail et les loisirs) au sein d’un établissement pour personnes âgées. On peut notamment traduire « éducation » par « partage de savoirs et d’expériences », remplacer « travail » par « activités programmées », « loisirs » par « espaces de liberté »…
Un accompagnement global assuré par un même agent auprès d’un même résident
Dans nos établissements, des liens peuvent se tisser si les espaces et les activités sont propices à la rencontre. Cela suppose notamment l’existence de petites unités de vie conviviales disposant chacune d’une pièce de vie, espace intermédiaire entre la chambre et la salle à manger. Nombre de conseils peuvent être formulés en ce sens et la recommandation de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (Anesm) intitulée « Qualité de vie en Ehpad » est consacrée, dans son volet 3, à la vie sociale des résidents. Elle présente un panel relativement exhaustif concernant les actions imaginables en matière de relations et de participation des résidents. S’y référer suffit largement à la compréhension des enjeux et des possibilités que peut offrir le défi de la valorisation des rôles sociaux en établissement pour personnes âgées.
Au-delà des recommandations et compte tenu de moyens qui suffisent à peine à la réalisation des activités courantes, la question qui nous intéresse ici est celle du « comment faire ? ». Dans nos organisations, parfois issues du monde hospitalier, les modalités de réalisation des habitudes de vie des résidents sont souvent liées à l’heure de passage des charriots : charriot nursing, charriot repas, charriot ménage… En outre, chaque professionnel est cloisonné dans le rôle que lui confère son grade ou son diplôme : l’aide-soignante aux soins d’hygiène et de confort, l’agent de service à l’hôtellerie et à l’entretien des locaux, l’animatrice à l’animation… Or, en dehors des activités qui nécessitent l’aide d’un collègue, la prise en compte des attentes des résidents devrait selon nous reposer sur un accompagnement global assuré par un même agent auprès d’un même résident : service du petit-déjeuner, soins d’hygiène et de confort, aide à l’habillage… Cela suppose également une sectorisation du personnel : une même équipe affectée à une petite unité de vie pour une durée qui permette de bien connaître les résidents et de s’impliquer dans un projet d’activités favorisant la participation sociale.
Si la question des moyens peut être posée, elle n’empêche pas les réorganisations qui visent à fidéliser les équipes au sein d’un même secteur, ni celles qui consistent à impliquer l’ensemble des personnels dans l’aide à la réalisation des habitudes de vie à des heures qui conviennent aux résidents et non à celles qui s’imposent à eux du fait, par exemple, que seules les aides-soignantes réalisent les soins d’hygiène et de confort. Cette constatation est tirée de plusieurs expériences qui montrent que si chacun des membres du personnel affecté à une unité de vie se consacre à l’accompagnement global d’un petit groupe de résidents, dans un espace-temps raisonnable au regard de leurs attentes individuelles, un temps de travail peut être dégagé au sein de l’organisation quotidienne du service pour l’implication des personnels de proximité dans le développement des rôles sociaux.
Une participation des personnes aux décisions qui les concernent
Permettre à chaque membre de l’équipe d’œuvrer dans le sens de la participation sociale des résidents c’est, par la même occasion, développer chez le personnel l’exercice de responsabilités, la qualité des relations interpersonnelles et le plaisir de partager des savoirs, des capacités, des loisirs…
Selon le réseau québécois RIPPH (Réseau international sur le processus de production du handicap), la participation sociale vise la réalisation de ses habitudes de vie en milieu ordinaire. Les habitudes de vie se déclinent en activités courantes (nutrition, condition corporelle, soins personnels, communication, habitation, déplacements) et rôles sociaux (responsabilités, relations interpersonnelles, vie communautaire, éducation, travail, loisirs). La notion de démarche inclusive vise quant à elle la participation des personnes aux décisions qui les concernent : « Nothing about us without us » (« Rien sur nous sans nous »). Elle suppose, d’une part, que les projets soient orientés dans leurs objectifs vers l’inclusion des personnes. Elle implique, d’autre part, leur participation à la conception et à la mise en œuvre de ces projets (notion d’empowerment qui peut s’étendre à toutes catégories de population). Appliqué aux personnes vivant en Ehpad, on imagine facilement que le concept de démarche inclusive puisse aller bien au-delà de la simple consultation des représentants des usagers telle qu’on la conçoit au sein du Conseil de vie sociale par exemple.
Fernand Le Deun
Responsable de la formation des directeurs
d’établissements sanitaires, sociaux
et médico-sociaux à l’École des hautes études
en santé publique