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Le désir n’a pas d’âge : en Ehpad aussi, les résidents peuvent vivre des histoires d’amour et manifester des besoins sexuels. Comment les prendre en compte ? La réponse n’est pas aisée pour les personnels qui peuvent toutefois bénéficier de formations.
Globalement, la vie affective des résidents est tolérée, considérée avec amusement et condescendance tant qu’elle se limite à des petits bisous. « À partir du moment où les démonstrations se font plus prononcées, le malaise s’installe et les équipes ont tendance à s’en référer à la bienséance pour intervenir », constate Éric Seguin, directeur du Sivu (Syndicat intercommunal à vocation unique) des rives de l’Elorn (Guipavas) qui chapeaute trois Ehpad bretons. Et pourtant, aux dires du directeur, la sexualité et le désir n’ont pas d’âge ! Toujours selon lui, les rencontres amoureuses sont bien plus fréquentes qu’on ne le croit. Les personnels sont aussi régulièrement confrontés aux manifestations d’un désir sexuel actif sans forcément savoir comment y réagir. « Un jour, j’ai appris qu’une résidente demandait que le pommeau de douche serve de sex toy. Je me suis alors rendu compte que certains soignants en éprouvaient de la gêne mais qu’ils n’avaient jamais trouvé les mots pour en parler et surtout pas à moi », reprend le directeur.
Rappeler le cadre légal et éthique
Les formations ayant trait à la vie intime des résidents ne sont pas légion. « D’ailleurs, elles abordent plus souvent la sexualité que l’intimité, la vie amoureuse ou affective », remarque Laurent Martin, gériatre qui dispense des formations au sein d’Agir en santé, organisme de formation professionnelle et agence spécialisée dans l’ingénierie gérontologique. Ces formations traitent en effet le sujet sous l’angle de la pathologie, certaines d’entres elles comme les démences frontales entraînant des désinhibitions sexuelles importantes. « La formation consiste à chercher le positionnement que l’on pourrait adopter en s’appuyant sur la Charte des droits et libertés des personnes âgées en institution. À quel moment est-il légitime que l’équipe soignante intervienne ? À quel moment est-il nécessaire de protéger les résidents ? Que faire en cas de démence entraînant une désinhibition sexuelle et une difficulté à gérer les pulsions pour les messieurs ? » : telles sont les problématiques évoquées, explique le gériatre.
Si ces questions sont importantes à maîtriser, il n’en reste pas moins que la sexualité, même hors pathologie, n’est qu’une partie d’un champ bien plus vaste, en l’occurrence celui du respect de l’intimité de la personne âgée en Ehpad. « La question de l’intimité est largement liée à celle du respect de la liberté. Or, la Charte des droits et libertés des personnes âgées en institution, notamment son article 4, sont systématiquement négligés », déplore Éric Seguin. Premier objectif des formations à la vie intime des résidents : rappeler le cadre légal, juridique et éthique qui doit être mis en place. Au Sivu de l’Elorn, Éric Seguin a ainsi élaboré un cahier des charges pour une formation visant à garantir l’effectivité du droit des résidents à la liberté et à l’intimité. « Cela passe par des gestes du quotidien tels que frapper à la porte et attendre la réponse avant d’entrer. Car, on l’oublie souvent, juridiquement, la chambre du résident lui appartient. Il est donc libre d’y faire ce que bon lui semble », insiste Éric Seguin.
Libérer la parole
« Enfin, on en parle ! » s’exclame Gisèle Mingant, aide-soignante en Ehpad depuis une vingtaine d’années. « Cela constitue déjà un réconfort et un soulagement pour les personnels. Il manque des espaces de débat dépassionné sur le sujet », renchérit Marie Cordebar, formatrice au sein de l’association Arabesque (organisme de formation, d’évaluation, de conseil et d’étude qui accompagne les professionnels et les bénévoles du champ sanitaire, social et médico-social). Au cours de ces séminaires, elle s’efforce d’apporter des connaissances théoriques et de décrire les phénomènes avec les mots adéquats. « L’une des situations qui met régulièrement les soignants mal à l’aise concerne les érections des résidents pendant la toilette. En équipe, on est tenté de faire de l’humour pour se distancier de la gêne. J’utilise les termes qui correspondent à la physiologie et j’explique par exemple en quoi la vascularisation change avec l’âge et entraîne des érections moins longues. Et j’invite les stagiaires à réfléchir à ce qui peut se passer dans la tête du résident à ce moment-là, à l’effet que cela peut avoir de rechercher des relations sexuelles avec un organe défaillant. Mettre des mots sur ces situations les dédramatise tout en donnant un cadre de réflexion », souligne Marie Cordebar. Une fois surmontée l’émotion, les stagiaires peuvent alors chercher des solutions adaptées à chaque Ehpad. « L’idée consiste à élaborer un référentiel d’attitudes. Il faut élaborer des attitudes respectueuses des résidents car la sexualité fait partie de leurs droits inaliénables. C’est une expression de vie qu’il est dommage de réfréner », conclut la formatrice.
Se réapproprier ses droits
À Plougastel, Éric Seguin n’entend pas en rester aux formations classiques. Le 14 février dernier, il a organisé un colloque sur la sexualité des résidents en Ehpad à l’intention des professionnels. « Notre démarche comporte plusieurs versants : la formation des professionnels puis la sensibilisation des résidents afin qu’ils s’approprient leurs droits en matière de vie affective et amoureuse, explique-t-il. Une fois par trimestre, à l’occasion d’un goûter, nous organiserons également un groupe de parole au sein duquel les familles, les résidents et les professionnels pourront exprimer leurs craintes et leurs attentes. » Car, selon lui, le frein majeur à l’épanouissement de la vie intime des résidents tient au regard porté par les proches et les enfants sur la sexualité de leurs parents âgés. Et en 2015, les professionnels seront invités à dresser la synthèse de leurs réflexions au cours d’une conférence de conclusion.
Stéphanie Marseille
Des agents en formationLes 170 agents des trois Ehpad du Sivu de l’Elorn, dirigé par Éric Seguin, s’apprêtent à suivre une formation de deux fois deux jours au cours des trois ans à venir. Celle-ci a débuté le 9 septembre dernier. Après un tour de table, place aux échange d’expériences. Exemple : « Le matin, il me faut distribuer les médicaments dans 60 chambres. Je frappe et faute de temps, j’entre. Une fois, j’ai toqué et je suis entrée dans une chambre pour prévenir un résident du passage du médecin et… je l’ai interrompu en pleine masturbation ! Je me suis excusée et je suis sortie », se souvient Morgane Adam, infirmière qui participe au colloque et à la formation organisés par le directeur pour « mieux respecter l’intimité des résidents et mieux réagir face à certaines situations ». L’apport premier de cette formation naissante est avant tout de permettre aux personnels de se sentir moins esseulés. « Nous nous sommes rendu compte que nous étions confrontés aux mêmes situations et que nous avions les mêmes questionnements dans nos trois Ehpad », confirme Lydie Boucher, agent d’hébergement. Même constat de la part de Gisèle Mingant, aide-soignante : « Cela fait du bien de partager toutes les situations que l’on peut vivre. On en parle en équipe mais cela ne suffit pas. Et pourtant, il faut apprendre à ne pas se montrer déplaisant et à ne pas être en situation de rejet du résident ». Un apprentissage qui est précisément l’objet de la suite de la formation. |