Les EHPAD, qui sont des établissements et services médico-sociaux accueillant des personnes âgées dépendantes, assurent à leurs résidents des soins médicaux et paramédicaux, des actions de prévention et d’éducation à la santé (articles D.312-155-0 à D.312-159-2 du CASF).
Les EHPAD disposent d’équipes pluridisciplinaires comprenant notamment un médecin coordonnateur, un infirmier diplômé d’Etat, des aides-soignants.
La stratégie de vaccination arrêtée par la Haute autorité de santé le 27 novembre dernier a prévu que la phase 1 de déploiement du vaccin bénéficie aux résidents des EHPAD et aux professionnels de santé présentant des facteurs de risques.
De ce fait, les EHPAD essuient les plâtres d’une vaccination nationale dont les débuts sont pour le moins objets de critiques.
Cela nous amène à nous interroger sur la responsabilité éventuellement encourue par les EHPAD et leurs chefs d’établissements dans le cadre de la vaccination de leurs résidents.
Il convient de distinguer la responsabilité civile (I) de celle pénale (II).
I. Sur la responsabilité civile des EHPAD
La responsabilité civile des EHPAD est susceptible d’être engagée sur deux fondements juridiques. D’une part, celui propre aux professionnels de santé (A), d’autre part celui de la responsabilité contractuelle (B). La responsabilité délictuelle ne nous semble pas devoir être étudiée.
A. La responsabilité sur le fondement de l’article L1142-1 du Code de la santé publique
L’article L1142-1 du Code de la santé publique dispose que :
« I. – Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute.
Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère.
- – Lorsque la responsabilité d’un professionnel, d’un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d’un producteur de produits n’est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu’ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu’ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, de la durée de l’arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire.
Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d’un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. »
L’article précité instaure un régime de responsabilité spéciale dite « pour faute » pour les professionnels de santé.
La responsabilité d’un EHPAD peut être recherchée sur ce fondement pour les fautes commises par ses professionnels de santé salariés que sont les médecins coordonnateurs.
L’article 55-1 du décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, inséré par le décret n° 2020-1691 du 25 décembre 2020 entré en vigueur le 26 décembre 2020 prévoit que :
« I. – Une campagne de vaccination contre la covid-19 est organisée dans les conditions prévues au présent article.
[…]
VII. – Le médecin coordonnateur de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes peut prescrire et administrer les vaccins aux résidents et aux personnels de l’établissement dans lequel il exerce. Les médecins traitants des résidents concernés sont informés des prescriptions réalisées. »
Le texte ne prévoit pas que la charge de la gestion de la vaccination en EHPAD repose sur ces derniers au travers des médecins coordonnateurs.
Toutefois, le Guide « Organisation de la vaccination en EHPAD et USLD » du Ministère de la santé prévoit que l’EHPAD doit « informer les médecins traitants de la nécessité de réaliser les consultations pré-vaccinales, identifier les médecins traitants qui ne pourront pas les réaliser, mobiliser en conséquence le médecin coordonnateur ou un autre médecin en appui ».
De fait, il est demandé au médecin coordonnateur, et donc aux EHPAD, d’organiser la consultation pré-vaccinale par le médecin traitant et, à défaut, de la réaliser lui-même.
On peut s’interroger sur le caractère normatif d’un tel guide toutefois, il peut s’apparenter à des recommandations de bonne pratique lesquels ont un caractère contraignant.
Pour mémoire, le Conseil d’Etat utilise classiquement deux critères pour déterminer si un acte est de « droit souple » : un critère organique d’abord qui tient à la qualité de l’auteur de l’acte, un second ensuite qui touche à l’objet et aux effets de l’acte.
En l’espèce, il semble que le non-respect de ce guide exposerait un EHPAD à ce que sa responsabilité puisse être engagée sur le fondement de l’article L1142-1 du Code de la santé publique du fait de la faute de ses salariés médecins coordonnateurs dans le cadre de la vaccination.
La responsabilité des médecins coordonnateurs d’EHPAD parait pouvoir être recherchée de deux manières différentes dans le cadre de la vaccination sur le fondement de la responsabilité des professionnels de santé.
Sur la délivrance de l’information par le médecin coordonnateur
Si le médecin coordonnateur vient à assurer la consultation pré-vaccinale, alors il lui appartiendra de délivrer l’information sur le vaccin.
En effet, l’article L1111-2 du Code de la santé publique, qui s’applique aux vaccinations (cf. Conseil d’État, 6 mai 2019, Ligue nationale pour la liberté des vaccinations, décision N°419242), précise que :
« I. – Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.
[ …]
Lorsque, postérieurement à l’exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver.
Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l’urgence ou l’impossibilité d’informer peuvent l’en dispenser.
Cette information est délivrée au cours d’un entretien individuel.
[ …]
III. – L’information prévue au présent article est délivrée aux personnes majeures protégées au titre des dispositions du chapitre II du titre XI du livre Ier du code civil d’une manière adaptée à leur capacité de compréhension.
Cette information est également délivrée à la personne chargée d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne. Elle peut être délivrée à la personne chargée d’une mesure de protection juridique avec assistance à la personne si le majeur protégé y consent expressément. »
Le médecin coordonnateur doit informer le patient de la gravité de la maladie que l’on cherche à éviter ainsi que du taux d’efficacité de la vaccination.
L’information doit porter sur les risques connus de l’acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.
Contrairement à ce qu’indique le Ministère de la Santé dans son guide sur l’organisation de la vaccination en EHPAD et USLD, l’information sur les « effets secondaires connus » (Guide, page 14/45) ne suffit pas.
En effet, lorsqu’il est envisagé de recourir à une technique d’investigation, de traitement ou de prévention dont les risques ne peuvent être suffisamment évalués à la date de la consultation, notamment parce que la technique est récente, comme en l’espèce, l’information du patient doit porter non seulement sur les risques fréquents ou graves normalement prévisibles déjà identifiés, mais aussi sur le fait que d’autres risques ne peuvent être exclus en l’absence de recul suffisant (CE 10 mai 2017, n° 397840 : JurisData n° 2017-008782).
De plus, il faut informer le patient des conséquences prévisibles en cas de refus de vaccination.
Enfin, le texte prévoit de l’information du patient de tout risques connus postérieurement à la vaccination.
L’information est large et doit porter sur la composition du vaccin notamment pour prévenir les cas d’allergies à certains composants du vaccin.
Comme pour un acte de soins, il faut, pour un acte de prévention, préciser les alternatives.
Il faut préciser le degré et la durée de protection du vaccin. En l’espèce, on ne les connaît pas, ce qu’il faut indiquer.
Le créancier de l’information est le patient. Toutefois, le mandataire judiciaire lorsque la personne bénéficie d’une mesure de protection est également créancier de l’information.
En outre, même s’ils ne sont pas à proprement parler créanciers de l’obligation d’information, il faudra démontrer avoir informer la personne de confiance désignée ou un proche.
2. Sur le recueil du consentement par le médecin coordonnateur
Après avoir délivré l’information, le médecin coordonnateur doit recueillir le consentement en vertu de l’article L1111-4 alinéa 4 du Code de la santé publique qui dispose que :
« Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment.
Comme toujours, la preuve du respect de son obligation repose sur le médecin et donc, s’agissant d’un médecin coordonnateur salarié, in fine sur l’EHPAD.
Il devra se ménager la preuve du recueil du consentement.
B. La responsabilité sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil
L’article 1231-1du Code civil dispose quant à lui que :
« Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. »
Comme on l’a vu, le non-respect du guide « Organisation de la vaccination en EHPAD et USLD » du Ministère de la santé exposerait un EHPAD à ce que sa responsabilité puisse être engagée.
Or, ce guide précise que le médecin coordonnateur doit « informer les médecins traitants de la nécessité de réaliser les consultations pré-vaccinales, identifier les médecins traitants qui ne pourront pas les réaliser ».
Ainsi, le médecin coordonnateur doit informer les médecins traitants de chaque résident afin de faire réaliser les consultations pré-vaccinales.
Cette obligation qui ne consiste pas en un acte de soins ou de prévention n’est pas régie par l’article L1142-1 du Code de la santé publique et sa méconnaissance relève du droit de la responsabilité contractuelle.
On pourrait considérer que si le médecin coordonnateur n’a pas informé le médecin traitant, ou ne l’a pas fait à temps, ou n’a pas mis suffisamment de moyen afin de le contacter, il aurait commis une faute contractuelle.
Le préjudice en lien avec cette faute pourrait être une perte de chance d’éviter de contracter le virus.
Le médecin coordinateur doit se ménager la preuve des diligences effectuées afin d’informer le médecin traitant.
II. Sur la responsabilité pénale des EHPAD
La responsabilité pénale des EHPAD est bien sûr envisageable et il ne faut pas douter qu’elle sera recherchée, à juste titre ou pas selon les cas.
En revanche, elle sera beaucoup plus difficile à retenir.
La responsabilité d’une personne morale ne peut être retenue que si l’infraction a été commise en son nom par l’un de ses organes ou de ses représentants. C’est-à-dire qu’il faudrait démontrer que le directeur de l’EHPAD a donné pour instruction au médecin coordonnateur de ne pas respecter les obligations précitées ou encore qui ne lui a pas donné les moyens suffisants d’y satisfaire.
Il y aura sans doute des cas où l’on pourra démontrer que le médecin coordonnateur n’a pas bénéficié des moyens nécessaires pour remplir ses obligations.
On pense notamment à des EHPAD au sein desquels la désorganisation est telle qu’elle ne pouvait que conduire un non-respect de ses obligations par le médecin coordonnateur.
Toutefois il faudra démontrer la connaissance par le directeur de ces difficultés et sa volonté de ne pas y remédier.
En outre l’infraction qu’il paraît le plus opportun de retenir pourrait être celle de mise en danger de la vie d’autrui qui n’est pas en soi une infraction facile à caractériser notamment au regard de la démonstration de la violation d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence.
En l’espèce, il pourrait s’agir de celles imposées par le guide dont le caractère normatif ne manquerait alors pas d’être contesté.
En conséquence si la responsabilité pénale des EHPAD ainsi que celle de leur chef d’établissement ne semble pas pouvoir être aisément retenue, la responsabilité civile est quant à elle davantage encline à l’être.
En revanche, de façon très pragmatique, que d’aucuns qualifieraient de cynisme, les préjudices en lien avec les fautes ne sauraient être très importants, s’agissant d’une population âgée dont la perte de chance de survie, fût-elle démontrée, se traduiraient par l’allocation de sommes peu importantes, qu’il reviendrait de surcroit aux assurances de prendre en charge, déduction faite de la franchise.
Fabrice DI VIZIO
Avocat à la Cour