Les personnes qui travaillent en Ehpad sont soumises à une double contrainte : d’une part, respecter l’intimité et la vie privée des résidents, d’autre part, travailler en équipe, voire en réseau pour une prise en charge de meilleure qualité. Se taire et parler. Mais jusqu’où et dans quelles conditions car les personnels sont en effet tenus au secret professionnel ?
Qu’est-ce que le secret professionnel ?
Le secret professionnel est une disposition légale posée par l’article 226-13 du Code pénal : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire par état, par profession, par fonction ou en raison d’une mission temporaire est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. »
Cela implique que ce n’est pas une faculté ou une protection des salariés mais au contraire une obligation qui, sous peine de sanctions pénales, s’impose personnellement aux salariés des Ehpad, la responsabilité pénale étant personnelle.
Le secret professionnel, pourquoi ?
Il y a trois fondements au secret professionnel.
– C’est d’abord un enjeu de démocratie. La République est fondée sur le triptyque liberté, égalité, fraternité. Un des buts du secret professionnel est d’éviter toute discrimination entre les citoyens en raison de leur origine ethnique et raciale, de leurs convictions religieuses ou de leurs orientations sexuelles… Ces éléments, que l’intéressé peut afficher librement (il n’est pas tenu au secret en ce qui le concerne), ne doivent pas être révélés par le professionnel. La loi informatique et libertés du 6 janvier 1978 interdit d’ailleurs leur gestion informatique.
– C’est aussi une condition du respect de la vie privée qui est un Droit de l’Homme, protégé par la Convention européenne des Droits de l’Homme (art. 8) et par le Code civil (art. 9).
– C’est enfin une condition de la confiance que les personnes accueillies portent au professionnel : pas de confidence sans confiance en la confidentialité. Le résident doit pouvoir parler de sa situation de santé, de ses relations familiales, de ses douleurs et de ses erreurs en toute confiance dans le silence du professionnel.
Qui est tenu au secret professionnel ?
Le Code pénal définit de façon générale les personnes tenues au secret professionnel sous peine de sanction pénale (maximum 6 mois de prison et 15 000 euros d’amende) : ce sont celles qui sont dépositaires par état, profession ou mission d’informations à caractère secret. Ce sont celles que l’on appelle des « confidents nécessaires » : médecins, avocats, travailleurs sociaux, personnels de santé (infirmiers, pharmaciens, pédicures, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, diététiciens…) etc.
A ce titre, tout le personnel de l’Ehpad y est astreint en application au moins de deux textes :
– L’article L1110-4 du Code de la santé publique qui énonce que « toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s’impose à tout professionnel de santé, ainsi qu’à tous les professionnels intervenant dans le système de santé. »
– L’article L311-3 du Code de l’action sociale et des familles qui pose que sont garanties à toute personne prise en charge dans un établissement ou service social ou médicosocial (dont les Ehpad) « la confidentialité des informations la concernant ».
Cela concerne le personnel administratif, le personnel de service, les personnels chargés de soins ou d’animation. Cela concerne le personnel titulaire mais aussi les stagiaires et même les bénévoles intervenant dans l’établissement.
Le secret est un devoir des professionnels mais c’est également un droit des résidents, y compris après leur sortie de l’établissement et même après leur décès.
Sur quoi porte le secret professionnel ?
Les informations à caractère secret concernent tout ce qu’une personne peut estimer devoir être tenu secret. Il ne s’agit pas seulement de secret confié mais de tout ce qui est porté à la connaissance du professionnel en raison de sa profession même si la personne n’est pas au courant (par exemple, une pathologie que le professionnel décèle alors que le patient l’ignore). La jurisprudence précise : « appris, compris ou deviné à l’occasion de l’activité professionnelle ».
Les conditions de partage d’informations entre personnes tenues au secret professionnel
Rappelons tout d’abord que le secret n’est pas opposable à l’intéressé : il a droit de consulter son dossier social et médical et de se faire accompagner lors de cette consultation.
Vis-à-vis des tiers, le principe est que le secret est la règle et le partage d’informations l’exception. Toutefois, la prise en charge par un service ou une équipe oblige à partager.
Pour cela, les résidents et leurs familles sont informés dès avant l’admission qu’ils sont pris en charge par un ensemble de personnels qui travaillent en équipe. Cela est rappelé dans le livret d’accueil. Dans ce cas, « les informations les concernant sont réputées confiées à l’ensemble de l’équipe » (art 1110-4 du Code de la santé publique).
En deuxième lieu le partage, même entre professionnels, n’est autorisé que sur ce qui est strictement nécessaire à la prise en charge. Les personnes tenues au secret professionnel sont tenues au secret professionnel entre elles : elles ne peuvent partager qu’à la quadruple condition d’être impliquées dans la même prise en charge, que le résident soit informé (par exemple, par le livret d’accueil), qu’il ne s’y oppose pas et que ce soit dans l’objectif d’évaluation des actions à mener ou de la prise en charge. Ce qui exclut, bien sûr, la communication d’informations à l’extérieur de l’établissement.
En revanche, dans une équipe, chacun doit avoir les informations nécessaires à sa mission (les régimes alimentaires pour celui qui confectionne ou sert le repas, les veilleurs de nuit pour ce qui les concerne etc.). Dans ces situations, le partage a pour objectif l’intérêt de la personne accueillie et une meilleure prise en charge.
Les limites au secret professionnel
Bien sûr, il ne faudrait pas que le secret professionnel, instauré dans l’intérêt de l’usager, se retourne contre lui ou contre des tiers.
C’est pourquoi le partage d’informations entre professionnels est autorisé dans les conditions que nous venons de voir. Bien plus, l’article 226-14 du Code pénal autorise les professionnels à informer les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices dont il a eu connaissance et qui ont été infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique. Ces professionnels, tenus au secret professionnel, ne sont pas tenus de dénoncer ces comportements. En revanche, ils y sont autorisés et sont tenus de faire en sorte qu’il y soit mis fin « par leur action personnelle ou en provoquant des secours » (art. 223-6 du Code pénal).
Ainsi, le secret professionnel est un marqueur de la qualité de l’accompagnement car il respecte la dignité des personnes en même temps que leur protection.
Pierre Verdier
Docteur en droit et avocat au Barreau de Paris.
Ancien directeur de DDASS, il est co-auteur, avec Jean-Pierre Rosenczveig de l’ouvrage « Le secret professionnel en travail social et médico-social », coédition Dunod et Jeunesse et droit, 5° édition, 2012.