Par-delà la théorie et la formation, la pratique sur le terrain reste, on le sait, le meilleur moyen d’éprouver ses compétences. Nous avons interrogé une directrice et une ancienne infirmière passée aux commandes d’un Ehpad sur ce qu’elles estiment être les qualités essentielles pour enfiler ce costume.
Quelles sont les qualités humaines indispensables à un directeur d’Ehpad ?
Sophie Bruel, ex-infirmière, directrice de deux Ehpad et d’un Ssiad en Basse-Normandie : Je pense que l’humanisme et l’altruisme sont deux valeurs très importantes. La patience, l’écoute, la tolérance, la pondération et la bienveillance sont également indispensables. Notre qualité d’accueil doit être exemplaire car l’Ehpad est le lieu de vie des résidents : nous travaillons chez eux. Je pense d’ailleurs que nous devons faire preuve d’un respect important et d’une ouverture d’esprit envers les personnes âgées, leur famille, leur histoire. Certaines personnes ont vécu de manière isolée pendant longtemps. La plupart ont besoin de réassurance, d’un accompagnement au quotidien pour vivre leur vieillesse et parfois leur mort dans la sérénité. Je crois également qu’un chef d’établissement doit être organisé, rigoureux et savoir gérer son temps car nous passons nos journées à régler des petits détails et des problèmes du quotidien. Il ne faut pas pour autant passer à côté du projet de fond de l’établissement. Enfin, je crois qu’il faut faire preuve de dynamisme et d’enthousiasme car nous avons une position de leader et de conduite du changement. Encore faut-il, pour cela, savoir prendre de la hauteur pour développer une vision à long terme de l’établissement.
Annick Bouffel, directrice de l’Ehpad Nédonchel (Nord-Pas-de-Calais) : Outre les qualités humaines, il est important pour le directeur d’adopter un bon positionnement face à ses obligations et aux contraintes tout en faisant preuve de compréhension des éventuelles difficultés de chacun. Nous devons faire preuve d’une grande disponibilité et d’une capacité à résoudre les conflits par notre présence, notre empathie, notre détermination mais aussi à trouver des solutions, dans le respect de la réglementation, des moyens humains, techniques ou financiers. Toutefois, nous devons veiller à ne pas devenir corvéables à merci car la limite peut être vite franchie.
Quelles sont les compétences professionnelles indispensables ?
Sophie Bruel : Ce métier requiert une grande diversité de compétences : comptabilité, gestion de budget, maîtrise de l’environnement juridique, conduite de projet, RH, management d’équipe, démarches qualité, gestion des risques… Mais s’il requiert des compétences techniques, ce poste s’appuie surtout sur l’humain et le relationnel. Il faut dégager une certaine confiance.
Annick Bouffel : Le métier est de plus en plus exigeant : il faut faire preuve d’une expertise à la fois globale pointue et spécialisée. La réglementation étant de plus en plus abondante et très spécifique, il faut avoir des compétences juridiques solides. Dans la fonction publique hospitalière dont je dépends, les Ehpad sont régis notamment par de nombreux codes ! Nous devons aussi assurer une veille de l’évolution permanente des textes réglementaires et législatifs.
Dans quelles situations ces compétences et qualités sont-elles mises à l’épreuve ?
Sophie Bruel : Au quotidien, dans nos relations publiques, dans la gestion des résidents ou des familles mécontentes, nous servons parfois de bouc émissaire aux personnes qui n’acceptent pas leur situation. Il nous arrive de nous faire insulter voire violenter physiquement. Encore aujourd’hui, dans la culture française, le mythe de l’enfant qui va s’occuper de vous lorsque vous serez âgé perdure. On entre donc en Ehpad avec aigreur et réticence. Il y a aussi des familles qui, parce qu’elles payent, estiment pouvoir tout réclamer, tout obtenir. Or, nous n’avons malheureusement pas les solutions à toutes les problématiques, nous devons imposer des limites. L’un des principaux problèmes tient au fait que nous n’avons pas la main sur les créations de postes. Or, la dotation en personnel est aujourd’hui inférieure à 0,5 salarié par résident… alors que les personnes âgées vieillissantes se projettent dans la situation où un enfant s’occupe d’elles à temps plein ! Nous sommes dans l’incapacité de leur offrir ce service et cela crée des tensions. Ces compétences se vérifient également lorsque nous devons gérer des dossiers techniques et rendre des comptes à nos tutelles sur des sujets comme l’hygiène, la sécurité, l’inspection du travail. Il est donc important de tisser un bon réseau et de trouver des partenaires avec lesquels il est possible de dégager des marges de manœuvres. A ce poste, l’isolement peut être fatal.
Annick Bouffel : C’est un métier passionnant et prenant mais difficile. La chefferie vous fait parfois ressentir une certaine solitude. Nos difficultés sont souvent liées à nos budgets de plus en plus contraints et il devient compliqué de faire toujours plus avec toujours moins. Contexte de morosité économique, pensions de retraite de plus en plus faibles, degré de dépendance des personnes âgées toujours plus élevé, exigences accrues des familles… : le directeur doit non seulement observer une vigilance de tous les instants mais aussi développer des compétences relationnelles hors pair. Heureusement, il peut compter sur ses adjoints pour l’aider dans cette délicate mission… quand il en a !
Quelles questions convient-il de se poser avant de postuler à ce poste ?
Sophie Bruel : Il faut s’interroger sur ses motivations et sa maturité pour accéder à ce poste. Quelle légitimité ai-je pour encadrer une équipe ? Sur quels acquis m’appuyer ? Il est également très important de s’interroger sur sa disponibilité et sur sa tolérance à accueillir tout le monde, sans jamais être dans le jugement de valeur, ni de ses équipes ni des résidents. Au-delà des tâches et des contraintes, l’engagement humain est prépondérant. Il faut que cette prise de poste ait un écho spirituel et quasi-philosophique : plus qu’un métier, nous accompagnons des individus dans la dernière partie de leur vie.
Annick Bouffel : Ai-je pris en compte toutes les composantes de ce poste en compte ? Notamment un haut degré de responsabilités juridiques pour un salaire de base dans le public peu attractif, difficultés budgétaires et comptables. Suis-je prêt à assurer ce poste où la gestion des risques de toute nature est permanente et le principe de précaution mis provisoirement de côté ? Suis-je capable de dépasser certains moments de découragement où l’on se sent seul contre tous ? Syndicats, familles, résidents, personnels ont tous leurs propres revendications et exigences, sans compter, parfois, les injonctions administratives de toujours mieux faire mieux avec moins. On parle bien souvent de risques psychosociaux pour les personnels mais jamais des risques psychosociaux des directeurs. Ils sont pourtant bien réels.
Quel est selon vous le profil idéal d’un directeur d’Ehpad ?
Sophie Bruel : Quelqu’un de curieux, de respectueux, d’altruiste, d’observateur, de doué d’un excellent relationnel… mais surtout pas utopiste. Quelqu’un capable d’être modeste et d’adopter une juste position, ni en dessous, ni au-dessus. Quelqu’un de très réactif. Je pense que ce sont des choses que l’on apprend bien dans le soin.
Annick Bouffel : Il me semble important d’avoir une expérience de quelques années dans les maisons de retraite, les hôpitaux ou dans une autre structure médico-sociale ou sociale en tant que personnel administratif ou soignant. Et ce, pour mieux comprendre les contraintes des divers métiers au sein d’un Ehpad. Cela permet de mieux cerner les contraintes, l’usure des personnels, leurs attentes, leurs besoins mais aussi les avantages, le plaisir et la satisfaction que l’on en retire. Dès lors, il apparaît plus facile de mettre en œuvre des décisions, des modes de management, des types d’organisation pour optimiser le fonctionnement interne et externe de la structure au plus près de la réglementation mais aussi pour pour pallier tout dysfonctionnement préjudiciable à la bonne marche de l’établissement.