La Haute autorité de santé (HAS) estime qu’entre 15 et 38 % des résidents d’Ehpad souffrent de troubles alimentaires. Et, aux dires de l’Agence régionale de santé du Centre, plus de la moitié des résidents qui entrent en maison de retraite médicalisée souffrent de dénutrition. Mais de quoi parle-t-on précisémment et comment y remédier ?
Les troubles alimentaires recouvrent les difficultés à s’alimenter correctement, de façon à couvrir les besoins nutritionnels fondamentaux. Leurs causes sont multiples et se chevauchent souvent chez les résidents d’Ehpad du fait de leur âge et des polypathologies dont souffrent plusieurs d’entre eux. Mais leur conséquence est souvent la même : la dénutrition.
Recommandations de la HAS : une démarche en cinq points
« Lors de chaque admission, j’effectue un bilan nutritionnel pour dépister toute situation de dénutrition. Cela induit le calcul de l’IMC (Indice de masse corporelle) de la personne, l’existence ou non d’une perte de poids, une liste des goûts et de dégoûts alimentaires, le repérage de troubles éventuels de la déglutition et des troubles alimentaires en lien avec une maladie neuro-dégénérative qui a un impact sur l’alimentation », explique Marie-Christine Le Gall, diététicienne au CHU de Rennes. Tous ces examens alimenteront le diagnostic du médecin coordonnateur.
Les recommandations de la Haute autorité de santé en la matière remontent à 2007 et se déclinent sous la forme d’une approche en cinq points :
- dépister la dénutrition chez tous les résidents de plus de 70 ans ;
- en estimer le degré de sévérité ;
- élaborer une prise en charge adaptée ;
- en surveiller les effets ;
- coordonner l’ensemble des acteurs de la prise en charge.
En outre, comme le précise Marie-Christine Le Gall, lutter contre la dénutrition implique une surveillance continue des consommations alimentaires de façon à adapter les menus aussi vite que possible.
Des causes organiques
Une mauvaise hygiène bucco-dentaire empêche la mastication de même qu’une sècheresse buccale ou des troubles de la déglutition. Une perte d’autonomie importante peut également empêcher de manger seul et entraîner une gêne et une perte d’appétence. Enfin, certains traitements médicamenteux altèrent l’appétit, de même que les infections et pathologies sous-jacentes.
Que faire ? Vérifier l’état de l’appareil dentaire et sa bonne adaptation à la mâchoire du résident mais aussi l’état de ses dents et la présence éventuelle d’une mycose ; adapter le traitement médicamenteux ; fractionner les prises alimentaires ; adapter la texture des aliments en les présentant sous forme hachée ou moulinée, par exemple.
Des causes psychologiques
L’attention portée à leur silhouette peut conduire les résidents à adopter des régimes restrictifs nuisibles à leur équilibre nutritionnel. Si bien que l’équipe de soignants peut aussi être confrontée au refus de s’alimenter de la part d’un résident. « Les six premiers mois qui suivent l’entrée en institution sont critiques. Il faut surveiller les résidents qui peuvent par exemple s’enfoncer dans la dépression. Les résidents peuvent ainsi refuser de s’alimenter, ce qui est à distinguer de l’anorexie », explique ainsi Marie-Christine Le Gall.
Autre cas de figure qui relève lui aussi de la pathologie : les résidents sont dans le contrôle de leur alimentation. « Ils mangent toujours la même chose, dans les mêmes quantités, surveillent leur poids et jeûnent si jamais ils enregistrent une prise de poids, même minime. Le refus de s’alimenter se caractérise par un refus du plateau en bloc, plusieurs fois de suite », détaille Marie-Christine Le Gall. Or, au regard de la loi, le résident peut exprimer un refus de s’alimenter. Ce qui pose un cas de conscience au personnel soignant dont le but est, précisément, de prodiguer des soins.
Que faire ? Il faut dépister une dépression éventuelle et définir une prise en charge adéquate mais aussi renforcer les soins de confort et de bien-être : vérifier qu’il n’existe pas de douleur physique méconnue ; prendre en compte la souffrance psychique ; proposer des mobilisations et des petits exercices physiques, des promenades et des soins de nursing doux ; chercher à préserver une image positive de la personne ; lui proposer des mets et des boissons qu’elle apprécie.
Stéphanie Marseille
Troubles alimentaires et maladie d’Alzheimer ou neuro-dégénérative
Les troubles alimentaires peuvent se manifester à tous les stades de la maladie d’Alzheimer. Et ce, sous différentes formes : un besoin de déambuler en plein repas, l’oubli de manger, l’oubli d’avoir mangé, l’oubli de l’usage des couverts, des troubles de la déglutition. Les malades peuvent également souffrir d’hallucinations visuelles qui transforment, à leurs yeux, l’aspect des plats et les rend imangeables.
D’autres maladies neuro-dégénératives peuvent aussi interférer avec une bonne alimentation parce qu’elles s’accompagnent d’un syndrôme confusionnel ou de troubles de la vigilance. Cependant, des solutions existent à chaque stade de la maladie.
Trouble et solution
• Désorientation temporelle : oubli de manger, déambulation.
Solution : Une présence lors des repas pour inciter à manger.
• Incapacité à tenir des couverts.
Solution : Menu manger-main.
• Troubles de la déglutition.
Solution : Pas de distractions – adaptation des textures.
• Refus des plats salés, carnés.
Solution : Menus sucré enrichis en protéines.
• Alimentation exclusivement liquide.
Solution : Enrichissement en protéines.
Monique Ferry : « Le refus de manger impose une intervention pluridisciplinaire »
Chercheur Inserm à l’Université Paris 13, ancien médecin des hôpitaux en gériatrie et nutritionniste, le Dr Monique Ferry explique quelle méthodologie suivre pour enrayer la spirale de la dénutrition.
Vous plaidez pour une attention sans faille portée à l’alimentation des résidents en Ehpad. Pourquoi ? L’âge n’entraîne aucune dénutrition : celle-ci apparaît suite à un facteur déclenchant comme une infection. Or, la dénutrition aggrave toutes les comorbidités. Elle induit la spirale de la dénutrition : la perte de poids entraîne en effet un déficit immunitaire, une asthénie et une sarcopénie mais aussi une hypoalbuminémie suivies d’infections urinaires et respiratoires, de troubles psychiques, de risques iatrogènes, de risques de chute… L’alimentation en maison de retraite médicalisée n’est donc pas un acte banal, elle relève du soin de base. A ce titre, elle concerne tout le monde, du directeur au cuisinier.
Comment réagir face à un refus de manger ? Le refus de manger constitue toujours un signal fort : il faut intervenir sans tarder mais jamais seul. Il est impératif de l’aborder de façon pluridisciplinaire en recueillant tous les points de vue des professionnels qui côtoient la personne. Sans cette mise en commun des informations, on risque de passer à côté d’un détail essentiel. Car le refus de manger peut relever d’un simple dégoût pour les plats présentés, d’un régime restrictif autoprescrit, cacher une pathologie sous-jacente, par exemple, traduire une réaction à un conflit familial. Il peut aussi représenter la seule façon pour le résident de signifier à son entourage : « J’existe ».
Que conseillez-vous aux équipes de soignants ? Le refus de manger génère une situation très culpabilisante pour les soignants car il induit une rupture du soin et de la fonction nourricière. Il ne faut pas aborder le sujet avec le résident de manière frontale sous peine de le voir se braquer et se replier. Les professionels doivent se réunir et en parler entre eux puis avec le résident une fois qu’ils sont certains d’avoir éliminé toutes les causes classiques. Il faut chercher à stimuler son plaisir à manger et à bouger en proscrivant la monotonie des repas et tous les régimes qui affadissent le goût. Autant de conseils qui figurent dans les fiches pratiques de l’outil Mobiqual nutrition.
Restauration et nutrition : tout savoir
Vous trouverez dans ce numéro d’Ehpad Magazine la deuxième édition du Guide « Restauration et nutrition des seniors en Ehpad & SSR ». Outre l’essentiel de la réglementation et des recommandations en la matière ou encore une présentation des nouvelles approches, l’édition 2014 met l’accent sur les liens entre la nutrition et la maladie d’Alzheimer tant cette pathologie impacte la manière de se nourrir des résidents.