L’intergénérationnel est une culture du vivre ensemble. Elle représente la rencontre avec l’Autre, où se joue échange, identité, communication et distance sociale. Elle est sous-entendue dans les textes législatifs et répond totalement au principe d’ouverture émis dans les recommandations de bonnes pratiques professionnelles de l’ANESM.
L’intergénération est un outil de mise en relation au service du bien-être des participants et un support à la mémoire. C’est un échange nourrit d’un don et contre-don où chaque participant donne de sa personne sans pour autant en prendre conscience. Ces dons et contre-dons peuvent prendre la forme de dons concrets : c’est par exemple la boîte de chocolat offerte au moment de Noël par les parents des enfants aux résidents. Ce don traduit une représentation positive de la personne : elle reçoit un présent car elle le mérite, ce qui augmente son estime de soi. L’interaction enfant-personnes âgées produit donc une interaction personne âgée parent, ou selon les circonstances entre personnes âgées-assistantes maternelles.
Découvrir un autre regard
L’estime de soi est en effet une conséquence bénéfique des rencontres entre les enfants et les personnes âgées. La personne âgée qui peut avoir besoin d’aide ponctuellement ou régulièrement, change de statut en présence de l’enfant et peut se trouver en position d’apporter de l’aide à l’enfant, cela valorise les capacités de la personne âgée.
Car démence ne signifie pas incapacité. Chez les personnes âgées en unité sécurisée les bienfaits des activités avec les enfants sont incroyables pour certaines personnes, si nous prenons le temps de les observer et d’être patients ! Ce sont trois dames qui observaient de loin les enfants, l’animatrice les installe au plus près, elles s’éloignent de nouveau. La semaine suivante l’animatrice les replacent au plus près, elles restent et sourient. La troisième semaine, une des résidentes s’installe toute seule au plus près de l’animation et bouge les lèvres lorsque les enfants chantent !
C’est l’exemple de cette femme, en accueil de jour dans un Ehpad, ancienne institutrice atteinte d’une démence évoluée, qui se traduit par un manque du mot. Les enfants sortent de la crèche en faisant du bruit et spontanément, elle reprend son rôle de maîtresse en les mettant en rang deux par deux. La soignante présente est impressionnée, les mots qui sont sortis de la bouche, sont compréhensibles pour tous ! La magie de l’intergénération, et de l’animation, c’est de découvrir un autre regard sur les résidents et surtout, sur les résidents déments. L’être humain est un être social avant tout chose et jusqu’au bout, malgré la démence. Même si la communication ne se fait pas de la même façon.
Travailler sur la tolérance de chacun
Les échanges avec les tous petits (- de 6 ans) sont particulièrement enrichissant avec les personnes âgées atteintes de troubles cognitifs évolués : en effet, l’enfant n’est pas attaché au mot que le résident va prononcer, il est attaché au langage non verbal : sourire, posture du corps, mimiques, intonation de la voix…
C’est en cela que l’interaction est sécurisée avec l’enfant : la personne âgée ne peut perdre la face.
Elle est sécurisée pour une autre raison, l’enfant ne juge pas l’incapacité, au contraire, il détourne les aides matérielles du quotidien. Ainsi, le déambulateur permet à la fois d’aider une résidente à se déplacer mais l’enfant assis dessus faire rire : le déambulateur devient un panier pour mettre les jouets, un chariot où l’enfant s’installe et où la résidente pousse !
Sans s’en apercevoir, c’est la personne âgée atteinte d’une maladie de Parkinson, par exemple, qui se mobilise, fait bouger son corps, se met en mouvement ! L’enfant est un levier de motivation : lors d’un pique-nique au bord d’un lac avec le groupe d’enfant, Emilienne, 83 ans, atteinte d’une maladie de Parkinson, explique : « On n’avait pas de banc… alors, (…) on a fait comme les gosses, on s’est assis dans l’herbe ! Je ne me sentais pas capable de ça…. Et je me suis relevée toute seule !!! » C’est cette même résidente, qui pour le plaisir de faire rire les enfants, s’allonge par terre et passe dans un tunnel crée par les enfants avec des chaises. L’animatrice dira : « Ils se dépassent, ils se dépassent complètement ! Parce qu’ils veulent montrer qu’ils sont aptes à faire pleins de choses et ils sont tellement heureux de …. Pouvoir transmettre et…. se valoriser » L’intergénération permet de travailler sur la tolérance de chacun, de réfléchir sur la place de chacun dans la société et de combattre l’âgisme et le jeunisme.
Vecteur de lien
Nous pourrions aussi évoquer la joie de cette résidente d’être appelé par une petite fille avec son prénom : « Elle m’a reconnue!» dira-t-elle en s’exclamant ! Le prénom c’est véritablement l’identification de la personne, elle est sujet et elle est reconnue dans un environnement collectif. Cette reconnaissance participe à l’estime de soi car elle rassure.
En effet, car Vincent Caradec, sociologue du vieillissement parle de la triple menace des personnes arrivant en Ehpad, celle entre autres d’être assimilé à tous les résidents dont ceux qui souffre de démence. Car pour nous adultes, nous n’avons plus conscience, que nos personnes âgées en Ehpad n’entendent plus leurs prénoms, ne sont que trop rarement toucher par un bisou, par une main qui tient une main. Le contact physique est en lien avec des soins et non en lien avec le plaisir de la relation. A vouloir trop protéger l’intégrité de la personne, nous l’isolons. L’intergénération et plus particulièrement, l’animation en Ehpad apporte ce plaisir. Prononcer un prénom, toucher une main, une joue, c’est reconnaitre la personne en tant qu’être et sujet à part entière. Ce toucher par le regard, par la parole, par le contact autre que le soignant dans le cadre du soin, permet un mieux-être de la personne ; son absence, lui, altère l’estime de soi.
Travailler sur l’intergénération permet de réfléchir à la place de l’animation en Ehpad. L’intergénération, comme animation permet au résident de surprendre les soignants dans leurs capacités restantes : « on leur a demandé de couper la banane en rondelles. (…) on a donné le couteau à plusieurs personnes et j’ai été agréablement surprise de voir qu’ils savaient couper en rondelles ». L’animation, a un impact positif sur le résident comme sur le soignant : « ça crée une dynamique… une vraie dynamique », « ça permet de souffler », « c’est jovial » ; « une animation c’est, on décompresse, on souffle, et on s’amuse, on chante, on rigole, on se lâche quoi ! ». Que ce soit pour le soignant comme pour le résident, chacun change de rôle, et s’ouvre plus facilement à l’Autre.
Le soignant n’est plus celui qui soigne par le soin, le soignant est un vecteur de lien. Et ce lien passe par une nouvelle vision du travail en EHPAD où l’animation dans le sens animer la vie donne du sens. Ainsi, quand les soignants participent aux activités ou font des activités intergénérationnelles ou autres, elles en tirent elle-même un bénéfice bien-être et réciprocité. La complexité du travail est de pouvoir montrer l’utilité pour chacun résident comme soignant de l’animation et de l’intergénération et surtout, cela nécessite une réflexion globale en termes d’organisation du travail. Cependant, l’intergénération n’est pas une solution miracle ! Nous nous intéressons aux effets sur les personnes âgées en Ehpad, et la sécurité affective et physique des enfants est à prendre en compte. Ainsi, dans certains cas, les animations intergénérationnelles ont été arrêtées au sein des unités sécurisée et repensées. Il ne suffit pas de placer deux groupes d’âges ensemble, la mise en relation se travaille avec l’animatrice et le personnel grâce à des projets et du temps. Elle touche certains résidents plus que d’autres.
En définitive, l’intergénération prouve que nous sommes et restons jusqu’au bout des êtres sociaux, des êtres de lien et cela malgré la démence. Voilà pourquoi l’intergénération en Ehpad prend tout son sens !
Céline ARNOULT, étudiante en Master 2 management de la santé et du social
Isabelle ALLIGIER.