Amorcées dès les années 2000 dans les hôpitaux, élargies au domaine médico-social en 2007, les filières gérontologiques permettent aujourd’hui d’améliorer la coordination des professionnels des secteurs sanitaire et médico-social autour des personnes âgées afin d’éviter les ruptures dans leur prise en charge et les pertes d’autonomie. Si l’efficience de l’outil est avérée en théorie, la situation est plus nuancée en pratique. – Dossier réalisé par Julie Martinetti
En 1999, un rapport de la député socialiste Paulette Guinchard-Kunstler révélait la nécessité d’une cohérence des politiques publiques en matière de coordination gérontologique et d’une prise en charge globale et pluridisciplinaire des personnes âgées dépendantes. C’est ainsi que les concepts de réseau et de filière de soins gérontologiques firent leur apparition, dès les années 2000, dans le droit français et se développèrent. Mais il fallut attendre 2007 et l’axe 3 du Plan solidarité grand âge 2007-2012 pour que cette logique, jusqu’alors uniquement sanitaire, soit élargie au secteur médico-social. De plus en plus étoffé, ce dispositif visant à créer une politique coordonnée de soins au profit du grand âge constitue aujourd’hui l’un des outils du Parcours de soin des personnes âgées en perte d’autonomie (Paerpa). Car, à l’origine très hospitalo-centrées, les filières concernent désormais les Ehpad et le domicile, pour lesquels elles représentent un soutien indispensable.
Nées du constat que près du tiers des séjours hospitaliers concernent les personnes âgées de 65 ans et plus et que cette proportion « va croissant avec l’âge », les filières gérontologiques sont en effet d’autant plus nécessaires que la population française vieillit et que les résidents des Ehpad souffrent de plus en plus de polypathologies et de maladies chroniques. Or, si ces troubles nécessitent de recourir plus fréquemment à l’hôpital, « on sait qu’une personne âgée hospitalisée au-delà de six à huit jours présente un risque de devenir dépendante », rappelle Évelyne Gaussens, Directrice de l’hôpital gériatrique privé Les Magnolias, à Ballainvilliers (91) (lire page 17). L’objectif de ces filières est donc précisément de mobiliser tous les acteurs implantés sur un territoire donné afin de renforcer l’accès à des soins de proximité, de mieux articuler ville et hôpital et de travailler en réseau. Ce partenariat permet d’éviter au maximum les admissions en catastrophe aux urgences mais aussi de limiter les hospitalisations injustifiées, d’optimiser les sorties d’hôpital et d’améliorer l’état de santé de la population âgée via la transmission d’un savoir-faire gériatrique.
Une palette de dispositifs
La filière gériatrique (aujourd’hui appelée gérontologique) est constituée des différentes phases de la prise en charge des personnes âgées dans chaque établissement de santé disposant d’un service d’urgences. Le service de court séjour gériatrique, support de la filière, assure la prise en charge en hospitalisation complète de patients âgés atteints de polypathologies dans le cadre d’une approche globale par une équipe pluridisciplinaire formée à la médecine gériatrique. On trouve, adossés à ce pôle, un centre d’évaluation gériatrique, des consultations spécialisées, un service ou un établissement de Soins de suite et de réadaptation (SSR) gériatrique, une Unité mobile de gériatrie (UMG), une Unité de soins longue durée (USLD). Autant de structures en relation avec les structures de santé ou d’hébergement partenaires mais aussi le secteur médico-social comme les Ehpad (accueils de jour et hébergements temporaires), les pôles gérontologiques ou encore la médecine de ville via les Services de soins infirmiers à domicile (Ssiad), les Services d’aide à domicile (Sad) et les professionnels libéraux.
Fin de vie et prise en charge de la douleur et psychiatrie
Les relations entre hôpitaux et établissements prennent la forme de conventions de partenariat définissant des protocoles en cas d’hospitalisation et de retour en établissement. Ces modes d’organisation sont particulièrement utiles pour la prise en charge de la fin de vie grâce à l’intervention, notamment, des équipes mobiles de soins palliatifs. La gestion de la douleur est l’un des autres points de relai important avec l’hôpital, assure Véronique Demaison, Directrice de la résidence des Chênes, à Couzeix (Haute-Vienne) : « L’Unité de recours de soins gériatrique (URSG), mise en place en 2005 à titre expérimental par le CHU de Limoges, propose du lundi au vendredi jusqu’à 15 h 00, un lit dédié aux Ehpad afin de prendre en charge les personnes âgées en souffrance pour trois semaines maximum. Cela permet aux structures de bénéficier d’un relai quand un résident nécessite des soins spécifiques par des professionnels de santé. » L’établissement peut également compter sur l’aide d’une équipe mobile psychogériatrique en partenariat avec le Centre hospitalier Stirole de Limoges. « Cette unité mobile se déplace dans les structures, évitant ainsi aux résidents les déplacements perturbateurs », précise Véronique Demaison.
Un outil transversal
Par-delà la meilleure prise en charge globale des personnes âgées et la permanence des soins en établissement, les filières sont aussi un outil de management interne au sein de l’Ehpad. « Par ricochet, cela permet de soulager les équipes, notamment la nuit, quand nous n’avons pas d’infirmière », explique Véronique Demaison. Et pour les institutions comme les ARS, les filières constituent des « territoires de programmation, ajoute Serge Fayolle, référent pour les filières gérontologiques au sein de l’ARS Rhône-Alpes. Cela va nous permettre de planifier les ressources au niveau local : les filières vont pouvoir contribuer à l’identification des besoins qui ne sont pas satisfaits de façon à ce que nous puissions avoir une vision plus précise des attentes des personnes âgées sur le territoire. »
Davantage qu’une simple mise en réseau, elles favorisent aussi un échange de bonnes pratiques entre des mondes qui se connaissent encore mal : le sanitaire, le médico-social et les soins de ville. Ainsi, en Rhône-Alpes, les filières sont les vecteurs et les supports de formation des personnels des Ehpad, par exemple en matière de prise en charge spécifique de la maladie de Parkinson ou d’hygiène bucco-dentaire. « Cela permet d’avoir un échange entre établissements d’un même secteur géographique qui entrent dans une démarche commune de prise en charge, souligne Serge Fayolle. Cela permet aussi de comprendre ce que chacun est autorisé à faire et quelles sont les limites qu’il doit respecter. C’est intéressant car les personnels ne connaissent pas toujours les pratiques et les conditions de fonctionnement de leurs partenaires. Or, on sait que certaines ruptures de prise en charge sont uniquement consécutives au fait d’avoir contacté un service à mauvais escient… »
Malgré tous ces atouts sur le papier, la situation sur le terrain reste mitigée. Nombreux sont encore les Ehpad qui n’ont pas signé de convention avec leurs partenaires hospitaliers. Nombreux sont aussi les sceptiques qui, comme Daniel Carré, administrateur du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) Île-de-France, estiment que la filière n’est encore qu’un outil « informel, en phase de structuration, dépendant essentiellement des capacités d’initiatives des acteurs locaux concernés ». Pour Claude Jeandel, coordonnateur scientifique à la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG), la difficulté est, finalement, surtout de mettre en musique les conventions souvent entravées par des difficultés matérielles (financement, temps médical…).
Revoir le statut des médecins coordonnateurs et libéraux en Ehpad
Selon Éric Kariger, gériatre, Chef du pôle autonomie et santé au CHU de Reims, l’efficience des filières dépend en grande partie de la refondation des statuts, à ses yeux, « fragiles et théoriques » du médecin libéral et du médecin coordonnateur en Ehpad. « Soigner, prendre soin du résident, tenir à jour le dossier médical, informer l’équipe soignante, participer aux synthèses, à la commission de coordination gériatrique, aux formations… : vouloir que les médecins généralistes restent les médecins de famille de la personne âgée est certes louable mais ils n’ont ni le temps ni les compétences managériales du travailler ensemble ».
Pour le gériatre, faire en sorte que ce parcours de soins existe jusqu’au bout, en Ehpad, et que les hospitalisations aient lieu à bon escient et dans les meilleures conditions est impossible, dans l’état actuel des choses, sous la houlette du médecin libéral. Or, ce dernier est précisément, selon Éric Kariger, « l’acteur même qui permet le parcours de soins. Si le médecin traitant ne se donne pas les moyens d’échanger avec l’équipe pour expliquer les problèmes et les maux dont souffre la personne âgée, pour exposer sa vision et partager avec ses pairs un projet de soins, le médecin coordonnateur se retrouve impuissant. » Loin de remettre en question le principe de filière, « d’une grande modernité » car lié au parcours de soins qui obéit lui-même à la logique du « sur mesure pour un patient singulier », le Docteur Kariger en appel au législateur : « Si on ne veut pas que la filière soit une coquille vide, il faut qu’elle repose sur une organisation cohérente et sur des statuts des acteurs leurs donnant les moyens de leurs ambitions. Les équipes mobiles de gériatrie et de soins palliatifs en sont des facilitateurs. »
ÉGALEMENT AU SOMMAIRE DU DOSSIER
> Dominique Libault : “Le parcours de soins va plus loin que la logique de filière“
> Petit lexique des dispositifs de la filière gérontologique